Si vifs, l’éclat jaune, l’éclat rouge…
Si vifs, l’éclat jaune, l’éclat rouge
des arbustes en fleurs, les premiers dans la cour,
ne connaissant ni les noms ni les murs :
pourquoi nous retenir de voir, aujourd’hui
justement ? Ce n’est pas pour nous que nous regardons,
mais pour tous ceux dont les chambres sont closes
et les paupières. Quand ils rouvrent les yeux parfois,
nous croyons qu’ils nous scrutent, exigent-ils une présence
ou veulent-ils apaiser une image
venue d’eux-mêmes, d’eux-seuls ? Là où nous sommes,
du côté du spectacle, nous ne transmettons rien,
nous ne recevons rien non plus. Spontanément la main
tremble et s’avance et sur le front qu’elle caresse,
ride après ride, efface l’ombre et prononce les mots fidèles
à ce matin de mars comme aux visages.
Où que tu ailles, l'humus,
le sable, prends modèle
sur les ondes, allège-toi.
Ne sois que souffles
et vois : une glycine
a débordé le mur.
Ne coupe aucune fleur,
tu t'élargis
dans l'air des cimes.
Oublie tous les noms
sauf ceux du jardin,
à la fois ceux des plages.
Pleines mains sur ce tronc,
écoute, équitable,
le silence, la sève.
Rien n'est invisible,
dis à présent
le parfum des lilas.
Pluie fine, la chair en liesse,
la clairvoyante, réveille
un chant de grive.
Les ailes, le cœur,
laisse-les battre,
laisse-les battre ensemble.
Ariane
extrait 2
Caillot de sève obscure,
la gorge de même, la gorge captive,
comment rejoindre l’horizon
si l’on éteint l’aubier,
la force du silence ?
Nuit de personne, nuit sans paupières,
je m’y reconnais tout de suite :
avancer, se donner,
n’avoir confiance qu’en l’épaule.
…
Ariane
extrait 1
Je veux dormir, je porte un masque,
la chambre délaissée,
les draps sont trop blancs, sont trop lourds.
Assèche, arase,
le sable court après le sable,
en aura-t-il cessé bientôt
de s’en prendre aux murs comme à la mémoire ?
et malgré moi les mains se lancent,
malgré l’espace infirme elles espèrent.
Elles me sont rendues,
compactes, muettes.
…
Dans la lumière inachevée
Extrait 1
Que reste-t-il du regard d’un enfant ?
Une maison de pierre grise, sa cour obscure
et là-haut le donjon en ruine, j’avais trois ou quatre ans,
une voix m’appelait dans la profondeur du matin,
tous les matins, je levais la tête, je voyais mon père.
Pourrions-nous voir et entendre et toucher
si nous n’étions portés par cet élan qui vient de loin,
plus loin qu’une mémoire ? Je disais la Roche en Ardenne,
j’entrais aussitôt dans la sphère où l’on s’enchante
des murmures de l’eau qui repoussent les berges,
du soleil bleu des toits pendant l’averse :
j’étais au centre, j’étais parmi les ondes
sur la colline ou sur le pont de l’Ourthe.
…
À l'occasion de l'édition 2021 (Auteur/lecteur) du Festival Résonances, les rencontres du patrimoine littéraire et de la création, nous vous proposons ici "Trajectoires d’écoute", une série d'entretiens avec Pierre Dhainaut, par Thomas Demoulin.
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