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Je peine à trouver les mots pour parler de ce livre, tant il m'a bouleversée jusqu'aux larmes parfois.
Je ne savais absolument rien du centre d'éducation surveillée de Belle-Ile-en-Mer qui n'était autre qu'un bagne pour enfants. Leur quotidien est effroyable, fait de sévices et de privations alors qu'ils n'avaient le plus souvent qu'un seul tort, celui de ne pas être né dans la bonne famille
Une muraille haute de 6 mètres encercle la colonie et leur cache l'océan, rendant l'évasion impossible : « Les récifs, les courants, les tempêtes. On ne s'évade pas d'une île. On longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. »
Ils ne savaient pas bien sûr que c'était impossible, alors, un jour, ils l'ont fait.
Lors d'une soirée d'été 1934, ils parviennent à s'échapper. Tous seront repris, sauf le narrateur. Jules Bonneau surnommé La Teigne est âgé de 18 ans, abandonné par ses parents il vient de la terre, mais ne veut pas y retourner, il se rêve marin. Pour survivre, il a appris très tôt qu'il fallait être un dur, ne pas pleurer, oublier la peur, la faim, le froid et serrer les dents.
« Rester coi, sec, nuque raide. N'avoir que les poings au bout de tes bras. »
L'auteur nous parle d'une renaissance, celle de son héros, celui devant qui s'ouvre peut-être le champ des possibles grâce à des rencontres improbables.
Avec ce nouveau roman, Sorj Chalandon nous propose là une histoire poignante, extrêmement bien documentée, qui raconte la violence de l'enfermement. Même si ce livre est terrible, il en ressort une forme d'espoir et d'humanité.

Je vous invite à découvrir ou redécouvrir le magnifique poème de Jacques Prévert : « La chasse à l'enfant » que cite l'auteur dans ces pages.

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant… »

Je remercie très vivement les Editions Grasset qui m'ont permis cette lecture en avant-première via NetGalley.
#LEnragé #NetGalleyFrance
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Enfance désossée, démolie, brique à brique, peur à peur, sang à sang. Putain, (pardon), c'était il y a moins d'un siècle. La gégène aux femmes hystériques, Cayenne aux voleurs de poule et les colonies pénitentiaires aux orphelins.
D'une écriture martiale, nerveuse, frappée, Sorj Chalendon offre en pâture ces gosses de rien livrés à des bourreaux en mal de vice.
En nous contant l'histoire de Jules Bonneau - le pas célèbre - il nous plonge dans les eaux glaciales de ces années 30 où fascistes en herbe, croix de feu nostalgiques et braves citoyens étaient tous des parangons de vertu.
Belle Île, ses paysages bucoliques, sa majesté océane comme théâtre d'un enfer orchestré par l'état français.
C'est violent, c'est âpre. Les respirations sont aussi rares que les sourires de la Teigne, cet enragé forgé aux fers de la misère, de la douleur et de la solitude.
Putain ( pardon), mais c'est vraiment ça, notre humanité à l'état de nature?
Alors, on s'interroge. On se dit que le monde a progressé, qu'on n'encage plus les enfants, que la peine de mort n'a plus cours, que les femmes ont le droit d'avorter et même de voter...
Et puis arrivent les images des rivages de la Méditerranée qui recrachent leur quota de petits noyés, celles des gosses morts sous les balles au nom de la sécurité d'état...
Âmes sensibles s'abstenir. C'est un livre coup de point, coup de rage, coup de gueule, un texte sans concession et surtout intemporel. La beauté de l'écriture fait presque injure au fond, mais rejoint le cri de guerre d'un Prévert qui a un jour écrit sur ces gamins.
Pardon, encore, pour ma virulence. J'ai pleuré comme une gosse sur tous ces petits frangins fracassés au nom de la raison d'état, et Jules, mort à 28 ans pour avoir craché sa rage sur les allemands restera longtemps un compagnon d'infortune et de colère.
Chapeau bas, Monsieur Chalendon.
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C'est un plaidoyer contre le système carcéral que Michel Foucault et Victor Hugo n'auraient pas renié.
Jules Bonneau, dit « la teigne », a été abandonné par sa famille. Il est l'un des nombreux pensionnaires de la colonie pénitentiaire maritime et agricole de Belle île-en-mer, cette prison pour mineurs, cet Alcatraz de vergogne qui ne choque pas grand monde, quelques mois après les terribles émeutes de février 1934. L'heure est à la correction et aux règlements de compte. Ces mômes bagnards, il paraît qu'on leur donnait une seconde chance alors qu'en fait, on leur épuisait le corps, on leur essorait l'esprit.
Il y a pourtant quelques âmes éclairées pour dénoncer les abus de cet enfer d'un autre temps : une infirmière sensible à la souffrance humaine, un patron pêcheur épris de justice et un poète que l'innocence inspire depuis toujours (« Sans la confiance, tu es seul au monde »).
C'est à leur patience et à leur courage que Jules devra son salut. Il reste son propre ennemi. La violence coule dans ses veines. On l'a dressé à ne pas aimer, à se méfier d'un sourire. Lui-même doute de sa rédemption, s'imagine éternel condamné.
La première partie du livre est un uppercut. Enfermés derrière l'océan, les gamins s'écharpent et se défendent avec une furie d'adulte, entre vengeances et punitions. J'ai préféré la suite, la fuite de Jules et son retour à la lumière.
Ancien journaliste, Sorj Chalandon ne déçoit pas. Son histoire est documentée, frappée au sceau du réalisme. Seul petit reproche : un léger abus des rêves qui n'en sont pas, procédé narratif malicieux pour imaginer le pire mais qui finit par lasser.
Bilan : 🌹🌹
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De Belle Île en Mer on connaît la mer, la plage, la destination touristique, mais elle habite aussi un fantôme : la colonie pénitentiaire de Haute-Colombe, bâtie sur des fondations de Vauban, qui a d'abord reçu des personnes hostiles aux régimes en cours, avant de recevoir des enfants. Ils n'étaient par forcément de grands délinquants ; il y avait des jeunes ayant commis de menus larcins, des orphelins que personne ne pouvait ou ne voulait accueillir.

Jules Bonneau y atterrit après avoir volé trois oeufs, à l'âge de 7 ans, parce qu'il avait faim. Il a eu une enfance dure, son père a fait la première guerre mondiale dont il est revenu assez amoché (bien sûr on ne parlait pas de Stress Post Traumatique à l'époque) et s'est mis à boire, sa mère est partie. Comment se construire sans ces conditions ?

Le juge l'envoie à la Colonie pour le remettre dans le droit chemin, il a treize ans. Très vite il devient « La Teigne », subit les moqueries à cause de son patronyme (Jules Bonnot célèbre bandit de l'époque)

En guise de remise dans le droit chemin, c'est la maltraitance qui commence dès son arrivée : les coups, les attouchements, les viols, tant par les plus grands que par les surveillants, une maigre pitance et le travail harassant qu'ils doivent fournir : main d'oeuvre gratuite. Il fait la connaissance de Camille Loiseau, un orphelin, le souffre-douleur du bagne.

Pendant les repas, le silence est obligatoire, on doit terminer la soupe qu'on lape dans son écuelle comme un animal, avant de manger le fromage. En ce soir du 27 août 1934, un des enfants déroge à la règle et les matons lui tombent dessus, craignant pour sa vie, les autres se révoltent et c'est l'évasion. Enfin, la tentative d'évasion car comment s'échapper d'une île, alors que la plupart ne savent pas nager ? de surcroît, la population locale se fait un plaisir de participer à la chasse, de dénoncer en échange d'une prime de 20 francs ! délation qui va faire les beaux jours de l'Occupation nazie quelques années plus tard !

Tous sont repris sauf un, notre ami Jules que l'établissement déclarera disparu en mer. Il réussit à survivre grâce à Ronan, un patron pêcheur qui va l'accueillir chez lui. Auprès de Ronan et son épouse, il découvre une sorte de famille. A l'image de Jean Valjean, il a trouvé un protecteur, voire un mentor.

Sorj Chalandon s'est inspiré d'une émeute qui a vraiment existé et a donné vie à l'enfant qui n'a jamais été retrouvé, il lui a créé une famille, une histoire très bien construite à laquelle on adhère dès la première ligne. Il dit lui-même que, sans la colère intense qu'il habite car il a été victime de violence enfant, il n'aurait pas pu écrire un récit aussi fort.

Les phrases sont courtes, percutantes, et donnent encore plus de force, de rythme au récit. Elles vibrent comme les matraques qui s'abattent sur ces enfants dont on a volé à tout jamais l'enfance.

On rencontre au passage un poète qui écoute Jules en prenant des notes sur un carnet et qui publiera un magnifique poème tiré de cette rébellion et la battue qui a suivi : « La chasse à l'enfant », il s'agit de Prévert bien sûr.

Il ne faut pas oublier que cette Colonie Pénitentiaire, qui était l'antichambre du bagne, car les plus récalcitrants, à leur majorité prenaient la direction de Cayenne, n'a fermé ses portes qu'en 1977.

Il y a des auteurs que j'adore retrouver à chaque nouvelle publication ou nouvelle rentrée littéraire, et Sorj Chalandon en fait partie, comme Serge Joncour, ou Franck Bouysse ou Léonor de Recondo, entre autres et ce roman est mon premier coup de coeur de la rentrée 2023.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur

#LEnragé #NetGalleyFrance !

Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Un conseil, avant de débuter cette lecture, faire un tour sur le Net et se renseigner sur le pénitencier de Belle- île- en mer. C'est une bonne entrée en matière.

"Tous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien . Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans bruit."

La première phrase donne le LA ... C'est l'entrée dans la colonie. Il y a des gosses, des éducateurs et le grand air de l'océan. Mais les gosses sont des parias de la société, "dangereux". Ils sont voleurs de poules, orphelins, enfants maudits de parents délabrés.
Les éducateurs sont de sales brutes, d'anciens soldats carrément dingues. On échange ses idées avec des coups, coups de gueule, coups de nerfs de boeufs, coups de poing, coup de sexe. Les gosses suivent l'exemple des grands alors ils cognent aussi. Il y a les faibles et les caïds. C'est la jungle, pour survivre pas de sentiments, pas de solidarité, ça ramollit.
Parmi les colons ils y a Jules Bonneau ( comme celui de Bonny and Clyde, mais ça ne s'écrit pas pareil !), surnommé la teigne, mais pas le pire !
Page 105: la veille il y avait une drôle d'ambiance électrique. Mais aujourd'hui le petit Camille a bouffé son bout de fromage moisi, avant l'eau trouble qui sert de bouillon.Il n'a pas respecté l'ordre. On le cogne, l'assomme et là sans prévenir, ça dégénère en mutinerie, cinquante six colons s'évadent.
S'en suis une chasse à l'homme, toute l'île se mobilise, c'est la dernière attraction pour les touristes en fin de vacances. 20 francs de récompense par gosse retrouvé. Ça excite et cette course à la vermine fera de bons souvenirs !
Dans la foule il y a Jacques Prévert, ulcéré , abasourdi, qui écrit un de ces plus beaux poèmes, pas pour faire joli mais pour dénoncer.
La première partie du livre est une mise en image, une mise en visage, une mise en action de ce lieu de terreur qui ne fermera qu'en ...1977!
Le reste du roman est l'histoire inventée de Jules , celui qu'on n'a jamais retrouvé et c'est là que Sorj Chalendon insuffle au roman un dimension très personnelle. La teigne restera -t-elle la teigne? Des rencontres d'amour peuvent - elles apaiser les saignés de la vie. Je crois que Sorj Chalendon a une rage en lui qu'il exprime et qu'il tente d'expliquer à travers l'histoire de Jules.
Une écriture qui sort des tripes !
Un très beau livre.
Très cinématographique comme le suggère Michel.
J'allais oublier, ça se passe en Bretagne, sur une île, dans un milieu de pêcheurs...tout ça n'est pas anodin !
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Beaucoup de choses ont été écrites sur le dernier livre de Sorj Chalandon. J'ai écouté des interviews de l'auteur avant de me plonger dans "l'enragé". Je n'aurai pas dû être surprise. Et pourtant lors de la lecture du livre j'ai reçu un grand coup de poing dans la figure.

Certes j'avais entendu parler de ces maisons de correction et je me doutais que ce n'était pas la joie tous les jours mais la plongée dans cette univers a été violente.

J'ai suivi avec douleur les aventures de Jules Bonneau : son enfance ravagé par l'abandon de sa mère et par la haine de son père; son parcours et son arrivée à Belle-Île-en-Mer. Son évasion et sa volonté de vouloir vivre indépendant. Je l'ai plaint, je l'ai accompagné comme on doit accompagner un enfant et aussi j'ai eu peur de ses réactions - non il ne va pas pouvoir faire cela..- et finalement j'ai respiré avec lui quand il est passé au bord du gouffre sans tomber.

Mais ce qui m'a le plus touché c'est le ressenti de la part d'ombre et de lumière de chacun des personnages : les pêcheurs, l'infirmière, les co-detenus, les gendarmes, le personnel pénitentiaire.... J'y ai vu le reflet de notre société résumé en 400 pages. 

Et pour moi c'est en cela que le roman est le plus réaliste et le plus touchant.

Un excellent roman que je n'oublierai pas.

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l'enragé, c'est Jules Bonneau, enfermé dans une colonie pénitentiaire, ou ses déclinaisons linguistiques, une maison d'éducation surveillée, un centre de détention pour enfants et adolescents, et ce qui se rapprocherait le plus de la réalité, un bagne pour enfants. Ces lieux enferment des mômes ayant volé une pomme, un pain, trois fois rien, des orphelins, des vagabonds, des mendiants mais pas de criminels comme certains voudraient le faire croire.

Jules séjourne à la colonie maritime de Belle Île en Mer depuis son adolescence. La colonie maritime, un bien joli nom pour cacher les atrocités qu'il s'y passe et Belle Île, une île paradisiaque pour abriter toute la laideur de ce centre pénitentiaire où la maltraitance sous toutes ses formes règne en maître, à l'abri du regard des autochtones.

En août 1934, 56 colons s'échappent de cette prison. Un seul ne sera pas retrouvé, Jules Bonneau, alias La Teigne, bientôt 21 ans.

A partir de ce fait historique, l'auteur imagine l'histoire de Jules. Comment ce jeune homme a pu échapper à ses bourreaux ? Les habitants aidant à récupérer les évadés se voyaient remettre une récompense de 20 francs. Alors beaucoup n'hésitait pas à dénoncer ses pauvres gosses. Mais pas tous. Et Jules fera aussi de bonnes rencontres.

Avec des phrases courtes, nerveuses, rageuses, parfois sans verbe, Sorj Chalandon nous fait ressentir l'urgence, la colère contre les injustices, les humiliations, l'impuissance. La frustration de ne pas pouvoir faire grand chose face à ce monde d'adultes violent, pervers. Alors certains colons roulent des mécaniques. Il faut se montrer courageux, ne surtout pas faiblir dans ce monde où les plus forts fracassent les faibles.

Encore une fois, Sorj Chalandon met à profit son talent de conteur pour nous livrer une histoire forte et dénoncer un fait historique dont la France n'en sort pas grandie.

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Dis Sorj, où tu m'emmènes ? Oui, je le tutoie, on a déjà voyagé ensemble à Izieu, en Irlande, au Liban, au fond de la mine. Dis, on va où ? Belle-Ile un « bagne » pour enfants en 1932 ? OK, c'est parti.
Ligne 10 : J'ai faim, j'ai froid mais j'ai surtout la haine, je m'appelle La Teigne et je ne baisserai pas les yeux.
Je suis un gaffe, un ancien poilu et j'arbore mes décorations ça me rassure, un colon, une enfance assassinée, la loi et l'ordre. Mes galoches écorchent mes pieds, cette nuit j'ai pleuré de colère, et demain je traquerai des voyous sur la lande
J'émerge brusquement, c'est qui celui-là ? On dirait un « personnage de roman », du carton-pâte, un pas incarné, sans chair. Non, encore un autre ? Il se passe quoi ?
Pendant 180 pages, je t'ai suivi, tu m'as transportée, convaincue, et puis sont arrivés des caricatures des stéréotypes, un socialiste, un communiste, un basque (on est en 32, je sais déjà ce que tu veux lui faire faire), des croix-de-feu, une faiseuse d'anges, des salauds ordinaires…
Arrête, c'est un inventaire à la Prévert avec Prévert dedans…. Et j'ai l'impression de me retrouver en cours d'instruction civique, ça c'est bien ça c'est mal. Que le noir du début n'est là que pour porter l'idée de rédemption et qu'on n'est peut-être plus dans les années trente, comme si ton propos avait brutalement changé. Je n'y ai pas cru, à tes Justes, à tes gens bien, à tes bonnes personnes bienveillantes tellement dans l'air du temps, je n'ai pas réussi à desserrer le poing, à prendre la main que tu m'as tendue.
Je raccroche vaille que vaille mais le coeur n'y est plus. Je referme le livre, le voyage est fini.

Ce n'est qu'un ressenti de lecture, des pensées pour moi-même, certains lecteurs trouveront peut-être le trait trop noir au début, certains seront transportés tout du long, c'était juste un rendez-vous manqué.
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Sorj Chalandon est un de mes auteurs préférés. Que ce soit dans ses autobiographies ou dans ses fictions, il m'émerveille à chaque fois par la qualité de sa plume et la beauté de ses écrits. Ce nouveau cru est donc passé, dès sa sortie, sur ma table de chevet.

Il nous entraine à Belle-Ile-en-Mer afin de mettre en lumière une institution incroyable, peu connue du grand public, qui a sévit au XXème siècle. Il s'agit d'un centre d'éducation destiné aux enfants ! Les petits délinquants, les voyous turbulents et même certains orphelins étaient emprisonnés dans cet établissement. L'objectif annoncé était de les « rééduquer » mais la réalité tendait plus vers un isolement des problèmes.

A travers les yeux de l'un de ces gamins, on assiste, effaré, aux conditions de vie de ce bagne où les châtiments succèdent aux maltraitances. le destin du jeune homme bascule heureusement lors d'un évènement exceptionnel. de ses longues années de labeur, en passant par son évasion, jusqu'à sa nouvelle vie, l'auteur nous fait vivre les douleurs, les joies, les rêves, les colères de cet écorché vif, toujours sur ses gardes.

Avec son écriture à l'os, l'auteur ne s'encombre pas de fioritures pour faire vivre son personnage. Il s'exprime par des phrases courtes, au fil des pensées du narrateur. Ce mode d'expression sied parfaitement à son âge et à son rang social. le résultat est une plongée totale dans l'esprit torturé de cet enfant que la vie a malmené.

Sorj Chalandon est un écrivain bouleversant dont chaque nouveau livre me prend aux tripes. « l'enragé » fait partie des meilleurs de ses textes. Autant vous dire que les émotions sont au rendez-vous et que mon petit coeur n'a pas été épargné. C'est intense, oppressant, parfois révoltant mais malgré tout, une belle histoire humaine, que vous n'oublierez pas !
Lien : https://youtu.be/VSkN_6vhV2A
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Avec ce 11ème roman, Sorj Chalandon nous emmène sur Belle-Ile, en Bretagne, en 1932, dans la colonie pénitentiaire pour enfants, que les journalistes appelaient à juste titre un bagne pour enfants.
Nous y suivons en particulier, Jules Bonneau, dit La Teigne, 18 ans, qui y est « colon » depuis cinq ans. Il a été abandonné par sa mère alors qu'il n'avait que cinq ans, son père le laisse à ses grands-parents qui le battent et l'expédient à la première bêtise au bagne.
Le 27 août 1934, 56 enfants se révoltent et arrivent à s'enfuir ; tous seront repris sauf un, Jules, dans les pas duquel nous nous attachons.

Lorsqu'on se plonge dans un roman de Sorj Chalandon, on sait que l'on ne lira pas un feel-good mais plutôt un roman social, dur comme peut l'être la vie parfois, dont les personnages sont souvent broyés par L Histoire.
Ce livre ne déroge pas à la règle. le destin des enfants du bagne nous tord les tripes, nous bouleverse surtout lorsqu'on sait que ce n'est pas pure imagination de l'auteur, mais que des enfants abandonnés à la naissance, vagabonds, petits chapardeurs, y ont subi les pires sévices, sous couvert d'éducation : ils étaient battus, violés, affamés, isolés. Seule la rage permettait de survivre dans cette jungle où les enfants reproduisaient entre eux la violence subie. L'auteur décrit magnifiquement cette rage comme s'il en avait été rempli lui-même en écrivant son texte. l'enragé, c'est Jules mais c'est aussi Sorj.
Ce roman, c'est l'histoire d'une rédemption grâce à l'aide, l'amour, la camaraderie, le soutien d'un patron pêcheur et de ses hommes face à l'inhumanité de la population de l'île qui a chassé les enfants fugitifs comme du gibier pour recevoir 20 francs et celle des hommes politiques qui se gargarisent de l'existence de tels centres. Ils vont lui redonner une dignité, qu'on lui a toujours déniée, qui lui permettra de devenir un homme qui fera ses propres choix. Mais la violence intériorisée depuis la toute petite enfance refait parfois surface.
Sorj Chalandon inscrit son histoire dans L Histoire agitée de cette période : prise de pouvoir par Hitler, atmosphère délétère de la montée du fascisme et du communisme en France, la guerre civile espagnole avec le massacre de Guernica en avril 1937. C'est aussi une peinture sociale saisissante avec la vie difficile des marins-pêcheurs qui risquaient (et risquent encore) leur vie à chaque sortie. On y découvre également l'horreur des avortements clandestins avec les faiseuses d'ange. Et surtout la violence omniprésente dans la société qui sort d'une guerre et va rentrer dans une autre, qui pervertit les principes d'éducation en considérant qu'elle est l'unique moyen de remettre des « délinquants » sur le droit chemin.
Ce qui m'a frappé,par ailleurs, c'est que contrairement à de nombreux romans, la mer n'est pas décrite comme un espace de liberté, comme une possibilité d'aventures mais comme une prison, un mur liquide qu'il est bien plus difficile de franchir que des murs physiques. C'est celle aussi qui prend la vie des pêcheurs tout en étant nourricière.
Sorj Chalandon nous révèle la genèse du célèbre poème de Jacques Prévert « La chasse à l'enfant » qu'il a écrit, alors qu'il était sur Belle-Ile et qu'il a assisté au comportement ignominieux des habitants et des touristes.
Ce roman, enfin, est un hommage à tous ces enfants passés dans ce bagne inhumain, dont certains sont morts de mauvais traitements ou se sont suicidés de désespoir. L'émotion naît de ces destins brisés mais aussi de l'écriture cinglante, acérée, dure, qui ne travestit pas la réalité pour la rendre plus supportable. J'ai eu plusieurs fois envie de hurler, comme si Jules m'avait transmis sa rage.
Un magnifique roman.
#LEnragé #NetGalleyFrance
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