De Belle Île en Mer on connaît la mer, la plage, la destination touristique, mais elle habite aussi un fantôme : la colonie pénitentiaire de Haute-Colombe, bâtie sur des fondations de Vauban, qui a d'abord reçu des personnes hostiles aux régimes en cours, avant de recevoir des enfants. Ils n'étaient par forcément de grands délinquants ; il y avait des jeunes ayant commis de menus larcins, des orphelins que personne ne pouvait ou ne voulait accueillir.
Jules Bonneau y atterrit après avoir volé trois oeufs, à l'âge de 7 ans, parce qu'il avait faim. Il a eu une enfance dure, son père a fait la première guerre mondiale dont il est revenu assez amoché (bien sûr on ne parlait pas de Stress Post Traumatique à l'époque) et s'est mis à boire, sa mère est partie. Comment se construire sans ces conditions ?
Le juge l'envoie à la Colonie pour le remettre dans le droit chemin, il a treize ans. Très vite il devient « La Teigne », subit les moqueries à cause de son patronyme (Jules Bonnot célèbre bandit de l'époque)
En guise de remise dans le droit chemin, c'est la maltraitance qui commence dès son arrivée : les coups, les attouchements, les viols, tant par les plus grands que par les surveillants, une maigre pitance et le travail harassant qu'ils doivent fournir : main d'oeuvre gratuite. Il fait la connaissance de
Camille Loiseau, un orphelin, le souffre-douleur du bagne.
Pendant les repas, le silence est obligatoire, on doit terminer la soupe qu'on lape dans son écuelle comme un animal, avant de manger le fromage. En ce soir du 27 août 1934, un des enfants déroge à la règle et les matons lui tombent dessus, craignant pour sa vie, les autres se révoltent et c'est l'évasion. Enfin, la tentative d'évasion car comment s'échapper d'une île, alors que la plupart ne savent pas nager ? de surcroît, la population locale se fait un plaisir de participer à la chasse, de dénoncer en échange d'une prime de 20 francs ! délation qui va faire les beaux jours de l'Occupation nazie quelques années plus tard !
Tous sont repris sauf un, notre ami Jules que l'établissement déclarera disparu en mer. Il réussit à survivre grâce à Ronan, un patron pêcheur qui va l'accueillir chez lui. Auprès de Ronan et son épouse, il découvre une sorte de famille. A l'image de Jean Valjean, il a trouvé un protecteur, voire un mentor.
Sorj Chalandon s'est inspiré d'une émeute qui a vraiment existé et a donné vie à l'enfant qui n'a jamais été retrouvé, il lui a créé une famille, une histoire très bien construite à laquelle on adhère dès la première ligne. Il dit lui-même que, sans la colère intense qu'il habite car il a été victime de violence enfant, il n'aurait pas pu écrire un récit aussi fort.
Les phrases sont courtes, percutantes, et donnent encore plus de force, de rythme au récit. Elles vibrent comme les matraques qui s'abattent sur ces enfants dont on a volé à tout jamais l'enfance.
On rencontre au passage un poète qui écoute Jules en prenant des notes sur un carnet et qui publiera un magnifique poème tiré de cette rébellion et la battue qui a suivi : « La chasse à l'enfant », il s'agit de
Prévert bien sûr.
Il ne faut pas oublier que cette Colonie Pénitentiaire, qui était l'antichambre du bagne, car les plus récalcitrants, à leur majorité prenaient la direction de Cayenne, n'a fermé ses portes qu'en 1977.
Il y a des auteurs que j'adore retrouver à chaque nouvelle publication ou nouvelle rentrée littéraire, et
Sorj Chalandon en fait partie, comme Serge Joncour, ou
Franck Bouysse ou
Léonor de Recondo, entre autres et ce roman est mon premier coup de coeur de la rentrée 2023.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur
#LEnragé #NetGalleyFrance !
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