Nous sommes en 1934 à Belle-île-en-mer dans le Morbihan. Nous entrons dans une maison de redressement, un centre d'éducation surveillé, une colonie pénitentiaire ou un bagne pour enfants, appelez cet endroit comme vous le voulez, c'est le centre de Haute-Boulogne...
L'adolescent que certains surnomment "la Teigne" est encore mineur et subit depuis des années, comme tous ses camarades, des violences et des humiliations incessantes de la part des gardiens censés les éduquer.
Le soir du 27 août 1934, une révolte éclate après que le jeune
Camille Loiseau, qui subit les brimades les plus fortes malgré son jeune âge, et qui a été surnommé "mademoiselle" par les gardiens qui abusent de lui, ait osé manger son fromage avant l'entrée ce qui était formellement interdit. Les adolescents n'en peuvent plus de travailler, d'avoir faim, d'être enfermés au cachot, de subir des maltraitances de toutes sortes et d'être obligés d'obéir dans l'instant, avec la menace toujours bien présente d'être envoyés dans un centre encore plus dur.
Ils sont là parce qu'ils ont simplement volé des fruits ou du pain parce qu'ils avaient faim. La plupart sont orphelins ou ont été abandonnés par leur famille.
Pendant la révolte, beaucoup en profitent pour s'enfuir mais pour aller où, ils sont sur une île et toutes les issues sont surveillées de près. Très vite, une véritable "traque à l'enfant" s'organise car les gendarmes ont offert 20 fr pour chacun des enfants capturé, et même les touristes se sont joints aux recherches car cela représente une belle somme pour l'époque, le prix de 4 miches de pain de 3 kg.
Parmi les 56 enfants du centre qui se sont enfuis, tous seront retrouvés sauf un, Jules Bonneau. C'est l'histoire de ce jeune homme encore mineur au moment des faits que nous raconte l'auteur.
Caché au fin fond d'un bateau de pêche qu'il comptait voler, il va être recueilli par Ronan, le patron, qui au péril de sa famille et de sa vie, va décider de l'intégrer dans son équipage en tant que mousse, en le faisant passer dans un premier temps pour son neveu. Mais il devra avouer la vérité à ses marins, d'autant plus que Sophie, sa femme, n'est rien d'autre que l'infirmière du centre de détention, et qu'elle sait très bien ce que les gardiens font subir quotidiennement aux jeunes.
Jules va devoir apprendre à faire confiance, à laisser derrière lui la violence (la rage !) qui l'habite, à oublier l'abandon de sa mère et le manque d'amour, le rejet de ses grands-parents, la défection de son père...et la vie qu'il a eu jusqu'à présent.
L'auteur s'est inspiré d'une histoire vraie pour écrire son roman, il s'est mis dans la peau de ce jeune homme encore mineur et des personnes croisées sur sa route.
Heureusement, le lecteur comme notre jeune homme au milieu de ces faits de violences gravissimes, va rencontrer de belles personnes, de la générosité et des mains tendues.
L'histoire est révoltante et les propos bouleversants, comment ne pas être en effet touchés en plein coeur par la vie de ses jeunes "délinquants" maltraités, qui déjà qu'ils n'ont jamais connu l'amour d'une famille, doivent subir la violence de ceux qui sont là pour les éduquer et les guider vers l'âge adulte. A la place, ils sont exploités, humiliés et violentés, vivent dans le dénuement le plus total et la faim, et ils sont mis au cachot à la moindre rébellion, parfois suite à un simple regard jugé irrespectueux.
Le lecteur ne peut lâcher le livre tant qu'il n'a pas terminé la dernière phrase, lu la dernière lettre, et l'épilogue. Je vous invite d'ailleurs à ne surtout pas chercher à savoir par avance ce qui adviendra du jeune Jules.
L'auteur qui a lui même vécu une enfance traumatisante (je dois absolument lire son livre intitulé "
enfant de salaud" à ce sujet) n'a eu aucun mal à se mettre dans la peau du jeune Jules. Son récit est un cri de révolte qui bouscule le lecteur tant il sent le vécu et le lecteur ne peut que s'attacher à ce jeune homme et aux belles personnes qui vont l'aider à se cacher, à se reconstruire, à desserrer les poings et à tenter de se libérer de son trop plein de rage.
En parallèle, l'auteur replace l'histoire dans le contexte de l'époque, la guerre d'Espagne, la montée du nazisme et des "Croix de feu" en France, la résistance des pêcheurs bretons, la société de l'époque et sa notion de bien et de mal.
Pour info, ce centre a réellement existé et a fermé ses portes en 1977. Avant de devenir une colonie pénitentiaire, on y détenait des Communards, puis ensuite vers 1880, le centre est devenu un centre de détention pour mineur. Les plus jeunes n'avaient que 12 ans. L'auteur s'est sérieusement documenté sur le fonctionnement de ce centre avant d'écrire ce roman.
Jacques Prévert présent sur l'île au moment des faits sera scandalisé par la traque et écrira un poème « La Chasse à l'enfant ».
Marcel Carné en fera un film en 1947...intitulé "La fleur de l'âge" qui restera inachevé.
C'est un livre marquant ! L'auteur a une écriture forte et percutante, à la fois sensible, pudique et tellement juste. Il nous raconte cette histoire qui fait écho à sa propre vie et dont on ne sort pas indemnes, pour que nous n'oubliions pas qu'il n'y a pas si longtemps que cela en France, on résolvait les problèmes d'éducation en enfermant des enfants dans des bagnes.
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