Ce roman pourrait être divisé en trois parties pas tout à fait bien délimitées. Dans la première, on fait la connaissance du narrateur, Henri Sorge, 24 ans, fonctionnaire à l'Etat-Civil, habitant une grande ville dans un pays non défini. Il sort juste d'une maladie qui n'est pas beaucoup mieux définie et semble très fébrile, prêt à tout moment à faire une rechute. Il entretient des rapports très étranges avec ses voisins, ses collègues, sa famille et les autres en général. Une volonté de se fondre dans la masse, de travailler utilement, de se soumettre entièrement à la loi, se mélange avec une conscience aigüe, mais non dite, de sa particularité, du caractère oppresseur de cette même loi et des rapports hiérarchiques. Dans ce quotidien plutôt sordide se mélange quelque chose de bizarre, d'indéfinissable, comme un cauchemar morbide. Cauchemar qui ne fait que s'accentuer quand le narrateur se trouve embarqué dans une histoire de révolte et d'épidémie, où les malades sont des révoltés et les révoltés des malades. Une ambiance de guerre civile où la méfiance, la dénonciation, la haine se déchaînent. le narrateur regarde tout ça de très haut, comme sa propre lutte morale. Lui-même est malade, mais il ne semble pas que ce soit à cause de l'épidémie et c'est une sorte de révolté soumis. Quant à la dernière partie...
Blanchot a créé là un vrai monde personnel, étrange, pas tout à fait extraordinaire (sauf la fin), mais comme à-côté. Ce sont les regards, souvent fixes, les odeurs, les sons, la lumière qui sont presque doués de qualités corporelles ; les paroles qui sont à la limite, d'abord elles semblent absurdes et puis après on ne sait plus. On pourrait certainement parler de maladie, de guerre, de totalitarisme ou de mal, de religion, de loi, mais ce ne serait certainement pas tout à fait juste. C'est une histoire qui se suffit à elle-même, un tout, et ce tout se mélange, lutte. Un roman très difficile, opérant du côté du bouleversement.
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Lecture très exigeante, très dense, à la fois philosophique, onirique, pleine de références théologiques et d'effets stylistiques déroutants.
Dense et un peu étouffant : je fais une pause au milieu.
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On comprend les temps moderns.
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Avec une rapidité bouleversante, ce corps se cassa en deux, se résorba et à la place se forma une épaisseur brûlante, une étrangeté moite et avide qui ne pouvait rien voir et rien reconnaître. Oui, je le jure, je suis devenu un étranger et plus je la pressais, plus je la sentais devenir étrangère, acharnée à me rendre présent quelqu'un d'autre et quelque chose d'autre. Personne ne me croira, mais, à cet instant, nous avons été séparés, nous avons senti et respiré cette séparation, nous lui avons donné un corps. C'était une évidence, enfin nous ne nous touchions plus.
Mais, moi, je n'entre pas dans les maisons, je ne me promène pas dans les rues. Je vais sous terre et, là, je rencontre des gens d'une toute autre sorte : des gens murés, tombés dans une région d'humiliation et de honte et qui font de cette honte leur fierté, tombés hors de l'existence officielle et qui, pour n'y pas revenir, préfèrent vivre hors de l'existence, sans nom, sans jour, sans droit. Pour eux, ce que vous appelez la lumière juste, c'est la profondeur de la fosse, et ce qui est votre liberté est leur prison. Et ils ne sont ni dévoués, ni travailleurs, ni bons, ils n'ont pas d'esprit civique, ils ne donnent rien à personne et ils ne répètent pas à chaque instant comme vous : ah ! je voudrais vous aider, je voudrais vous éclairer. Ce qu'ils demandent, ce n'est pas d'êtres riches, c'est d'être pauvre contre vous, criminels contre vous.
(...) le fleuve , lui aussi, semblait avoir coulé à travers le temps, affirmant avec sa vaste tranquillité qu'il n'y avait ni commencement ni terme, que l'histoire ne construisait rien, que l'homme n'existait toujours pas, que sais-je ? De cette assurance montait comme une tromperie suffocante, le rappel d'un mensonge, d'une duperie dans fin, une insinuation faite pour dégrader des sentiments nobles.
Je crois que quoique je fasse, je travaille utilement. Lorsque je parle, lorsque je réfléchis, je travaille, c'est évident. Tout le monde saisit cela. Mais même si je regarde n'importe quoi... ce bureau, ces bustes, oui, je travaille encore à ma manière : il y a là un homme qui voit les choses comme il faut les voir, il existe, et avec lui existent toutes les notions pour lesquelles nous avons lutté pendant tant de siècles. Je sens parfaitement que si je changeais ou si je perdais la tête, l'histoire s'écroulerait.
- Vous raisonnez trop, dit Iche.
Oui, glacer les gens d'effroi, les attirer dans le mal à force de leur faire craindre, c'est impressionnant, c'est une prouesse, mais c'est un drame sans lendemain. Il faut aussi que le mal vive, comprenez-vous, il faut que la maladie travaille dans la profondeur, lentement, sans fin, qu'elle ait le temps de transformer ce qu'elle touche, qu'elle fasse de chacun une tombe et que cette tombe reste ouverte. Il le faut ! C'est ainsi que s'infecte l'histoire.
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