Je refuse d'être à la mode!
Non, je ne rêve pas de devenir cuisinière, d'ouvrir un restaurant. Je n'irai nullement me ridiculiser dans une de ces émissions qui pullulent, où tout est gourmand-croquant et le moindre ingrédient atteint d'un nanisme inquiétant: la petite mousse, le petit filet d'huile, le petit navet. L'ostracisme du légume joufflu m'exaspère. Je milite pour l'obésité de la citrouille nourricière fondue dans un velouté qui ne croque pas sous la dent.
Ceci étant, je ne refuserai aucune invitation dans un restaurant 3 étoiles, dussé-je prendre place sur une chaise lilliputienne et me battre avec de petits couverts. Mais…
Ma découverte, grâce au talentueux Blain, de Monsieur
Alain Passard m'a causé les émois de la grande gastronomie en une bande dessinée où a explosé toute une gamme d'émotions insoupçonnables: intérêt, curiosité, étonnement, moquerie, incompréhension, rire, stupéfaction, commisération.
Voyager dans les cuisines de Monsieur Passard, c'est côtoyer l'absurdité d'une pièce de
Ionesco, la raillerie d'un
Molière dans
les Précieuses Ridicules, la perfection absolue d'un
Gustave Flaubert, la passion amoureuse d'un Solal épris d'une carotte. C'est rencontrer non un Martien mais un hybride d'humain et de petits légumes.
Lors d'une escapade dans ma propre cuisine, j'ai tenté de m'extasier sur la beauté de la vapeur d'eau qui s'élevait de la casserole. Mais n'est pas
Alain Passard qui veut. Aucune extase ne m'a emportée.
Puis, j'ai tenté un ratatinement de mon mètre cinquante-neuf pour coller à l'équipe de l'Arpège et faire une PETITE chapelure de chou-fleur, et une PETITE anglaise.
J'ai tenté d'admirer le fond de la casserole mais je préfère l'exposition Matta que je viens d'aller voir.
J'ai cuisiné la transparence (sic) sans agressivité. Mon fond de casserole m'a contemplé d'un oeil narquois, identique à lui-même, me battant, lui, en brèche.
J'ai quitté la cuisine pour revenir à ma lecture.
Chez
Alain Passard, tout est beau: le PETIT copeau de beurre, son PETIT citron (lui est beau beau beau), un PETIT pétale rouge sur du vert.
Chez moi, le beurre reste matière grasse et la feuille d'épinard me séduit moins que Brad Pitt.
Le sel même en fleur ne me fait pas tourner la tête.
Le chef, lui, compose en fonction des couleurs mais pour ce faire efface sa main (sic). Moi qui pensais que "pas de bras, pas de chocolat". En fait, c'est "pas de main, chou rouge et sauge". Ça ne rime pas mais l'exercice est plus difficile.
Allez cuisiner en vous auto-effaçant! Et sans chercher à cuisiner, tentez de gommer une partie de votre anatomie. Si vous y parvenez, je vous mitonne quelques petites carottes.
Mains effacées ou pas selon l'exigence créative du moment, le cuisinier, devant son piano, contemple la beauté intérieure des betteraves. Et oui. La betterave est un tubercule singulier qui se caractérise par sa beauté intérieure. Regardez-la bien avant de la découper car elle vous regarde le coeur plein de gratitude, emplie de compassion pour votre appétit meurtrier. de quoi changer sa perspective habituelle.
Là, je perds mon sérieux, béotienne que je suis. Cet homme est fou!
Nan, sans plaisanter, ce n'est plus un métier, cuisinier, pas même un sacerdoce. Etre chef étoilé, c'est écouter les légumes pousser, s'extasier devant une fraise, frémir devant un navet sali encore par un peu de terre, vibrer pour un haricot vert, considérer que le petit pois n'est petit que s'il a la taille d'un oeuf d'esturgeon. C'est jouer de la mandoline et du piano debout (ce qui est peut-être un détail pour vous) et ne vivre que pour l'engeance potagère.
Je suis certaine que si je portais le roseau pensant à
Alain Passard, il le débiterait en minuscules tronçons avant de le caraméliser.
Non, décidément non, je ne suis pas cuisinière. Malgré tout le respect que je devrais montrer à ce professionnel (un tantinet excessif), il m'est plus éloigné qu'une langoustine (décortiquée et débitée en trois escalopes).