Dans ce premier tome, nous découvrons Isaac
Sofer, peintre, un brin macho, un poil cachotier, très jaloux, admirateur de récits de piraterie et du grand peintre Duffon. On découvre également Alice, sa compagne, qui, contrairement à son grand enfant de conjoint, garde la tête sur les épaules. Car il faut être un brin insouciant pour suivre le premier marin amateur d'art venu qui vous tendrait une bourse bien remplie sous le nez… Ah, l'argent…
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Excellente série qui démarre d'une manière un peu énigmatique. En effet, alors que le titre nous décrit un Pirate du nom d'Isaac, le personnage n'a jamais mis un pied sur un bateau et n'est que peintre ; comment diable va-t-il faire sa rencontre avec la piraterie ? de la meilleure des manières, puisqu'on gardera à tout jamais ce sentiment d'un héros (un antihéros d'ailleurs) dépassé par les évènements, embarqué contre son gré par de fieffés filous adeptes de la manipulation et de la contrition psychologiques !
Outre ce pitch alléchant (et des dessins géniaux), j'ai apprécié l'ambigüité qui nait du fait qu'on ne voit jamais un seul tableau d'Isaac. Est-il vraiment bon peintre ? Les gens sont-ils simplement polis avec lui afin de ne pas le froisser ? Mystère, et mystère brillamment entretenu ! Chapeau.
Je regrette un peu que le passage dans les jardins (où Mainbasse envoie Isaac dessiner les femmes des hommes au pouvoir) ne soit pas à l'origine d'une intrigue plus poussée où Isaac aurait, encore une fois, joué le rôle de pion. On le voyait venir, mais non. La chose est largement compensée par les méditations existentielles et métaphysiques d'un capitaine Mainbasse mégalo philosophe.
Enfin, et même si l'on sent qu'ils s'éloignent pour mieux se retrouver, voir Alice et Isaac tomber dans les bras d'autres entraîne un petit pincement au coeur tellement ils filaient le parfait amour en début de l'histoire.
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Mon avis sur la série dans son ensemble et sur l'édition luxe (intégrale des 3 premiers tomes) :
J'étais réticent au noir et blanc, j'avais des aprioris sur le style graphique de Christophe Blain, mais j'avoue volontiers que je me fourvoyais. Isaac le pirate est une pépite !
Dans sa réalisation, tout d'abord. le dessin peut être sommaire lorsque l'action défile, précis lorsqu'il nous faut nous appesantir sur des détails ; trop habitué à des planches uniformes et lisses dans leurs réalisations, c'est avec cet album que j'ai pris conscience du poids des dessins sur la lecture et sur l'ambiance générale. Même la plus petite case noire, totalement noire, placée à merveille et pensée à la perfection s'imbrique parfaitement dans la narration et contribue à forger l'ambiance et à faire qu'on ne peut s'arracher à sa lecture. Cette foutue case noire. Géniale. Parfaite.
Dans son histoire et ses personnages, ensuite. Sous ses abords vaniteux, prétentieux, machos et imbu de lui-même, Isaac se révèlera humain, affable, doux et franc, un peu niais ou trop bon, il se laissera entraîner dans une aventure qui le dépassera et qui, certainement, ne le laissera pas indemne. L'aventure est grandiose et théâtrale ; les péripéties nombreuses et variées ; l'ambiance prenante et l'environnement bien dépeint.
Dans sa globalité, enfin. Car on pourrait croire à une fable gentillette, mais c'est tout sauf rendre justice à Christophe Blain. Son oeuvre est profonde, réfléchie, drôle et poignante. Sous couvert d'un humour sarcastique et pincé, de jeux de mots fins et bien choisis, on touche à des ressorts universels tels que, dans le désordre, la loyauté, l'amour, la justice, la folie, le mal-être, la nostalgie, la distance, la solitude, la gaieté, la fidélité, la camaraderie, les manipulations, la vie, la mort, les rêves de grandeur, la religion, l'au-delà, la futilité de l'existence…
Pour se détendre ou pour entamer une réflexion philosophique, pour rire un bon coup ou pour se remettre en question, Isaac le pirate sera là.
D'autant que les aventures rocambolesques de ce petit bonhomme n'ont pas fini de nous réjouir et de nous tenir en haleine.