Après «
La Châtelaine du Liban », qui se passait en Syrie et … au Liban,
Pierre Benoit ne s'éloigne pas trop pour placer l'intrigue de son roman suivant, «
le Puits de Jacob ». Si le début de l'histoire se passe à Constantinople, avec de rapides incursions à Salonique, Beyrouth ou Alexandrie, la majeure partie du récit se passe en Palestine, plus précisément dans la région de Naplouse (aujourd'hui en Cisjordanie, sous contrôle palestinien). «
le Puits de Jacob » est le nom d'une colonie de colons juifs.
Il y a deux histoires dans cette histoire : la destinée individuelle d'Agar Mosès, petite fille juive née dans un quartier pauvre de Constantinople, et celle d'un des premiers établissements de colons juifs en Palestine, dans ce qui sera bien plus tard partagé entre Israël et l'Etat Palestinien.
Agar naît en 1896 à Balata, quartier défavorisé de Constantinople. Dernière de sept enfants, elle perd son père très tôt et vit dans une très grande misère, brillante élève elle est quand même objet d'opprobre, à la fois en tant que pauvresse et juive. Devenue couturière un hasard la met en présence d'une actrice de music-hall et d'une grande dame qui décèlent en elle des dons de danseuse. Elle mène une carrière erratique dans divers ports du Proche-Orient avant d'échouer à Caiffa (aujourd'hui Haïfa), en Palestine. Là elle fait la connaissance d'Isaac Cochbas, qui lui fait connaître «
le puits de Jacob » une colonie juive située près de Naplouse, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Jérusalem. Pour la jeune juive c'est une révélation. Sa vie aventureuse l'en détachera, mais une force invincible la ramènera toujours vers la terre de ses ancêtres.
En 1925, il n'était pas évident d'aborder un tel thème en littérature : l'affaire Dreyfus n'était pas si loin que ça (Dreyfus lui-même ne mourra qu'en 1935), l'antisémitisme était toujours bien présent.
Pierre Benoit lui-même, sans être antisémite, avait des réticences contre le sionisme, jusqu'à un voyage en Palestine, où saisi d'émotion il a « senti la fierté que pouvait inspirer à une âme juive la masse de souvenirs glorieux qui se lèvent à chaque pas qu'on fait sur cette âpre et vieille terre ». Ces souvenirs, ce sont ceux de la Bible, et plus précisément de la Torah, qu'Isaac Cochbas va insuffler dans l'âme d'Agar. de ce jour,
Pierre Benoit est convaincu que le sionisme « vivait d'une vie qui lui était propre ».
L'excellente préface de
Roger Ikor résume bien le propos :
Pierre Benoit, de par ses ouvrages précédents, avait acquis une réputation de « conteur », terme quelque peu péjoratif qui l'assimilait à « l'aède grec, au conteur arabe, ou à Ma mère l'Oye ». En s'attaquant à ce sujet pour le moins délicat, il prouve qu'il peut aborder un sujet qui a du fond, et ce, de façon objective, « sans transports d'enthousiasme, ni bienveillance paternaliste », il dépeint ces premiers kibboutzim, non pas comme des militants d'une idéologie, mais des juifs sincères pratiquant leur foi. Venant d'un auteur (
Pierre Benoit) qui était réputé pour être proche de l'Action française, ce roman surprend agréablement et fait de l'auteur « un homme qui, en tous cas, était honnête devant les choses et humain devant les hommes ».
Comme à l'habitude le récit est mené de main de maître.
Pierre Benoit vous prend par la main à la première ligne et ne vous lâche qu'à la dernière. Un très beau roman, à lire sans préjugés (surtout en le replaçant dans le contexte de l'époque et en ne faisant pas d'amalgame avec la situation politique actuelle), pour moi un des plus beaux romans de
Pierre Benoit.