Femme adultère… Ça me remet soudain en mémoire que, pas plus tard qu’avant-hier, j’ai été purement et simplement congédié par Maryse, ma maîtresse du moment. C’est cela, congédié, jeté comme un malpropre ! Oh, cela s’est fait dans les règles, sans éclats, le plus gentiment du monde… « Tu vois, Arthur, m’a-t-elle dit avec son plus charmant sourire, j’ai peur que mon mari ne se doute de quelque chose. Il est nerveux ces temps-ci, même agressif. Tu verrais, ajouta-telle avec un petit gloussement, qu’il fasse appel à tes services pour me surveiller ? Mon pauvre chéri, je vois d’ici la tête que tu ferais ! » Là-dessus, elle a éclaté franchement de rire. Moi, par contre, je n’avais pas, mais pas du tout l’envie de partager sa bonne humeur. La salope ! J’aurais plutôt eu la tentation de l’étrangler, ne serait-ce que pour faire taire son rire idiot.
J’étais saqué, bel et bien saqué ! Mais Maryse boutonnait déjà son manteau de castor (assassine !) qui avait dû coûter la peau des fesses à son mari et, effleurant ma joue de ses lèvres soigneusement repeintes : « Mon petit Tuthur, je ne te fais pas de peine, j’espère. Mais il faut me comprendre, n’est-ce pas ? Et puis j’y tiens quand même un peu à mon Robert. Oui, elle tenait surtout au fric de M. Robert Du Breuil – avec particule, s’il-vousplaît – son banquier de mari ! Et en plus elle m’appelait Tuthur ! J’ai horreur qu’on m’appelle Tuthur ! C’est un diminutif dont seuls quelques amis d’enfance et ma mère ont l’exclusivité.
Évidemment, tout ceci, ce n’est pas mes oignons. C’est l’affaire des flics et comme je ne suis pas spécialement dans leurs petits papiers, ils n’ont pas recours aux bons et loyaux services d’un privé de mon espèce ! Bref, toujours est-il que pour l’instant, je me rabats sur des enquêtes du genre « célérité et discrétion ». Filatures de P.-D.G. « tropoccupé-pour-être-honnête », ou encore de femmes adultères qui ne se rendent pas chaque jeudi après-midi – comme elles l’assurent à leurs maris – à la réunion des dames de la paroisse. Ce que j’appelle mes affaires « Bidet and Co. »
JE SUIS sans affaire en ce moment. Que voulez-vous, la vie n’est pas toujours rose pour un modeste détective privé en cette paisible ville de Calvin. Enfin, quand je dis paisible, c’est un euphémisme en ce moment. Nous avons vécu depuis mars dernier, une période assez mouvementée, période durant laquelle les journalistes en mal d’inspiration n’ont pas hésité à trouver des titres des plus fumeux, du genre : « Chicago sur Léman » ou encore : « La Saint-Barthélemy du bout du lac » !
Il est vrai que cela canardait dur. Plusieurs hold-up dont un avec prise d’otages, un policier tué et plusieurs autres blessés par les auteurs d’un de ces braquages. Sans compter les crimes passionnels, les viols et les vieilles dames agressées en pleine rue. Et hier encore, un paisible libraire assassiné dans son arrière-boutique à coups de barre de fer, tout ça pour quelques dizaines de francs, de quoi tout juste se payer une dose. Et après on recommence…