Nous avions emprunté le bac au départ de Salvador deux jours avant, afin de traverser la Baie de tous les Saints, destination finale pour les eaux du fleuve Jacuipe.
La route n'avait pas semblé trop longue jusqu'à Itacaré. Petit joyau colonial remis au goût du jour pour les touristes comme nous. Certains bâtiments étaient parés de couleurs pastel et retrouvaient leur superbe d'antan. Un américain de NY s'était expatrié ici pour allier sa passion du surf et le business. Ma fille ainée, parlant couramment la langue, avait récupéré à la réception de l'hôtel, les coordonnées téléphoniques. Indépendamment de deux hôtels dans la ville, il possédait une plantation de
cacao à une vingtaine de kilomètres. Nous souhaitions visiter une de ces propriétés qui avaient fait l'expansion économique de l'état de Bahia au début du siècle passé. Ma fille lui proposa de nous déplacer avec notre véhicule, mais il nous en dissuada et vint nous chercher avec sa Land Rover. Nous compriment rapidement la raison pour laquelle il avait été si insistant. Les roues disparaissaient parfois dans la boue, nous obligeant à rouler au pas durant le plus clair du temps. Nous croisions de temps à autre, des paysans se rendant à la ville, montés sur leurs mules. La solution d'un autre temps, mais de loin la plus pratique, car leurs montures pouvaient se frayer un chemin sur les bords de la piste. En lisant ces lignes écrites par l'auteur de loin le plus populaire du Brésil, ce souvenir est remonté à la surface. Les routes, faites parfois de latérite, prenaient, sous l'effet des pluies quotidiennes, l'allure d'un champ de boue, un peu comme si les mulâtresses avaient mélangé la terre aux fèves de
cacao avec leurs pieds charnus. Une manière de se purifier sur le sol de leurs ancêtres, espérer des jours meilleurs comme à l'époque où les colonels, propriétaires terriens richissimes et décadents faisaient la pluie et le beau temps.
L'américain de petite taille, blondinet au teint mat, qui aimait inviter ses amis new yorkais à surfer les vagues dans les criques de rêve aux alentours, avait recréé les étapes de la production de
cacao, mis en valeur la résidence du colonel de l'époque. Décorée avec goût, elle attendait le touriste en quête d'autenticité l'espace d'une nuit voire plus.
Une dizaine d'année auparavant, lors d'un bref passage à Bahia dans le le quartier de Péhlorinio, j'avais loué une chambre très simple mais avec une vue spectaculaire sur la baie. Nous étions à la fenêtre comme au sommet d'un bélvédère en pensant que
Jorge AMADO avait peut-être imaginé les lignes de son roman après avoir contemplé ce spectacle grandiose. Décédé un an avant notre venue, il avait pour habitude de séjourner dans cet hotel. Une plaque à son nom fixée à la droite de l'entrée rappelait son souvenir.
À la foi enraciné et communiste, il a su nous transmettre l'âme du Nordeste, une pauvreté endémique étroitement confrontée aux soubresauts du développement économique, comme ce fut le cas dans la période décrite ici. le moment précis où la région devient leader dans la production de
cacao. Plus cigales que fourmis, les acteurs ne sauront que faire de cet argent providentiel, coulant à flot. Il ne servira qu'à nourrir la fête, les casinos de jeu, attirer la prostitution dans un décor de carnaval.
Amado dépeint cette ambiance avec des personnages dont il nous livre toute la psychologie, tout en s'amusant à taxer
Freud de romancier érotique.