Citations de Yves Simon (216)
Mets-toi dans la tête que lorsque l'on est submergé de réel, important ou pas, chacun à sa mesure, il n'y a pas de place pour imaginer autre chose que ce que l'on vit.
Vous savez ce que j'appelle la violence du lopin, Walser ? C'est brandir ses racines comme une arme de discussion, c'est croire que l'endroit d'où l'on vient autorise, pour cette seule raison, l'arrogance.
Mais il savait que les rencontres sont rarissimes, celles qui émeuvent, transforment et tracent une frontière sur le temps pour qu'il y ait un avant et un après.
Elle songea que la paroi entre la vie et la mort était si frêle qu'il suffisait parfois d'un mot, ou d'une absence de mot, pour qu'elle se fracture
Nous vivons entourés de gens absents.
… et je sais alors que personne ne viendra résoudre cette énigme : éprouver de la nostalgie pour quelqu'un qui n'a jamais existé.
Savez-vous comment nommeraient leur souvenir des Cambodgiens, des Libanais, des Vietnamiens ou des Français? La guerre. Un seul et unique même mot pour évoquer la peur, la faim, le vacarme des obus, vécus en des lieux et des dates différentes.
Vous ressemblez à un souvenir de guerre.
Lorsque l'un d'entre eux aurait voulu casser leurs nonchalances pour aborder des sujets plus sérieux, ils auraient énoncé, dans le désordre, les valeurs et préoccupations qui auraient été les leurs et auraient dit : solidarité, tolérance, tiers-monde... Ca aurait consisté, dans la pratique, à prononcer ces mots-là à chaque occasion où le sérieux l'emportait sur le dérisoire, ne rien en faire, mais se sentir heureux d'émettre des pensées généreuses.
Parce que tu es le monde tel que je ne l'avais pas imaginé, dis-je à Irène... Et si je ne t'avais pas rencontrée, je serai incomplet et infirme de ce qui me serait demeuré caché à jamais, inculte moi aussi de cette partie des choses qui font souffrir, donnent du plaisir et posent au cœur les justes questions.
Doucement, ils s'amarraient l'un à l'autre.
La littérature est remplie de sentiments que nous aurions aimé ressentir une seule fois dans notre vie. C'est pour cette raison qu'elle nous retient tant, qu'elle est une balise de nos espérances les plus folles, que ce soient celles de l'amour ou de l'ascèse, de la folie ou de la rigueur, un repère qui, lorsqu'un jour par hasard il survient dans notre propre environnement, nous rend atones et désemparés d'être arrivés dans notre existence à un point ultime de la littérature.
Ce soir-là, je sus que ma vie allait devenir une fuite en avant, avec cette femme à mes côtés, que je serais le fou, le fugitif, celui que l'on regarde et de qui l'on se gausse, pour s'être mis à l'intérieur d'une prison dont personne n'aperçoit le moindre barreau.
Méfiez-vous, dit Vladimir, l'amour est souvent une très petite chose que vous n'apercevez pas, parce que vous cherchez l'invention grandiose construite pendant votre enfance, et qui n'existe pas ... Mais la très petite chose, un jour envahit tout ...
Je crois que nos vies ont besoin de subir des arrivées et des départs, que des vides se comblent ou au contraire que des absences viennent sanctionner une mollesse. La fatigue survient - j'y ai beaucoup pensé - lorsque nous ne nous sentons plus à l'intersection de ceux qui nous ont précédés et de ceux dont nous sommes les contemporains. Deux lignes-forces de deux temps différents et que nous ne maîtrisons pas, mais que nous pouvons infléchir... Chaque fois qu'il y a rupture dans l'un ou l'autre sens, nous nous retrouvons démunis, sans niches, décalés de cette pliure que fait l'Histoire avec notre actualité. Alors le mal réapparait : une fatigue, un dégoût.
"Vos test HIV, pour vous et votre amie, sont négatifs", m'annonça le docteur Ferguson. Je lui avouai que j'avais surtout peur, depuis quelques semaines, d'avoir attrapé le sexe comme maladie transmissible. "Cette fille est un virus, insistai-je auprès du docteur Ferguson, elle est en train d'atteindre mes défenses immunitaires qui, comme vous le savez, sont importantes chez les écrivains... La drogue, l'alcool, le Grand Nord, la Collaboration, rien ne les effraient ils se sortent de tout ! Mais le sexe, docteur, en plein siècle sida, suis-je anachronique ?"
Comme souvent, le docteur Ferguson ne répondit pas à ma question, me posa une perfusion et me demanda, en échange, de me réhabituer à écrire des romans plutôt que d'essayer de les vivre.
Chaque année, mettre à jour la liste des sentiments disponibles.
Depuis le départ de Justine, je m'endormais le soir avec une bouillotte.
- Vous vous souvenez d'elle ?
- Oui, puisque je l'ai aimée.
- Qu'entendez-vous par là ?
- Aimer ?
- Oui, aimer.
- J'étais bien avec elle. J'étais malheureux avec elle. Quand elle fut absente, je suis entrée dans une cathédrale pour m'agenouiller, penser à Dieu et à ce visage qui s'enfuyait.
À l'instant où il sortait de ma voiture, le vieil autostoppeur que j'avais embarqué à la sortie de Mâcon-Nord se retourna et dit : - Où allez-vous ? - Je n'sais pas. - Comment saurez-vous que vous êtes arrivé ?
(La Compagnie des femmes)
Les anges portent des ailes invisibles qui viennent par inadvertance effleurer la peau de ceux qu’ils protègent, les picotements, les chatouillements, ce sont eux.