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Citations de Vincent Engel (135)


En 1849, le comte Bonifacio Della Rocca avait fêté seul ses trente-neuf ans ; ses parents étaient morts et, jusqu’à ce jour, il n’avait pas songé à se marier. Il fréquentait peu le monde, occupé à gérer le domaine familial et préférant consacrer ses loisirs à la lecture. Il savait qu’il lui faudrait sans doute se marier un jour et avoir un héritier, comme le lui soufflait l’instinct de sa race ; mais il savait aussi qu’il ne rencontrerait personne correspondant à ses aspirations dans cette région retirée qui avait perdu, au fil des derniers siècles, toute habileté à engendrer des êtres dotés d’assez d’intelligence pour apprécier les miracles de beauté qui s’offraient à eux en pareille abondance. Et comme il ne quittait que rarement la villa, et seulement pour de brèves visites à Sienne ou à Florence chez des marchands ou des banquiers, il avait peu de chances de rencontrer l’épouse qui aurait comblé ses attentes.
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Baldassare ne révéla pas à Adriano que, de retour chez lui après la première visite, le gamin avait déclaré qu’Adriano avait bien de la chance, lui, de savoir où se trouvait sa mère ; outre que, le répétant, l’adulte n’eût su rendre l’innocence de l’enfant, qui seule exemptait son propos de cruauté, Baldassare savait que cela l’eût mené sans plus de détours possibles à l’histoire qu’Adriano attendait. Ce n’était d’ailleurs pas tant de narrer le drame vécu par Bonifacio Della Rocca qui effrayait Baldassare ; ce mystère constituait surtout une barrière efficace derrière laquelle le prêtre protégeait le pauvre secret de son propre passé.
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En octobre 1855, soit deux mois après l’arrivée d’Adriano au collège, le père Baldassare profita des premières fraîcheurs d’automne pour effectuer la visite promise. Adriano fit à cette occasion sa première sortie dans Sienne. Avec habileté, le religieux l’entraîna dans les différentes contrade, à la cathédrale devant laquelle Adriano demeura figé plusieurs minutes, sidéré par l’élégance et la taille de l’édifice strié de vert et de blanc, cherchant à imaginer comment – et pourquoi – des hommes avaient pu se lancer dans de telles réalisations. Devant les pavements, Baldassare entreprit de lui expliquer que les hommes avaient de tout temps ressenti le besoin, dès que les conditions de vie leur en laissaient le loisir, d’exprimer leurs sentiments, leurs aspirations et leurs croyances au moyen de l’art.
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La fraîcheur des lieux fit frissonner les deux voyageurs. La nurse les guida jusqu’au bout d’un long couloir garni de tableaux à la thématique champêtre : des toiles bucoliques où des bergers veillaient sur des moutons dolents, effeuillaient des fleurs ou tentaient de séduire une bergère ; des repas s’orchestraient dans des cours de ferme, sur de grasses prairies, et les convives s’interpellaient en riant. Une évidente sérénité se dégageait de ces tableaux, médiocres sans doute mais dont la simplicité même semblait une protection contre les tourments de la vie, les trahisons et les souffrances.
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C’est là, sur le chemin de la villa Bosca, qu’Adriano conclut un pacte avec sa ville, une alliance de soleil et de poussière, celle qui lui collait au visage. Sans savoir ce qu’il disait exactement, il prononça d’une voix rauque une prophétie que Baldassare se garda de lui faire préciser :

– Je reviendrai...

Ils se remirent en route.
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L’enfant se retourna tout en faisant couler de l’eau sur son visage et dans sa bouche ; c’est alors qu’il découvrit son pays, somptueux dans son indifférence aux désarrois des hommes, qui portait le soleil comme une parure de fête ; et, au loin, couronne de pierres sur sa colline, tenue à la plaine par des rubans de cyprès, Montechiarro, comme jamais encore Adriano ne l’avait contemplée, qui semblait n’attendre que les hommes pour être enfin heureuse, et qui peut-être l’était sans eux, malgré ses pierres branlantes et les vicissitudes de ses habitants ; ville et pays étaient d’une autre espèce, d’une race supérieure à laquelle les humains s’étaient laissé asservir – à cause de leurs faiblesses, de leur soif de pouvoir ou de leur difficulté à vivre –, mais qui attendait toujours que les esclaves se libèrent et la rejoignent dans le bonheur.
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Adriano ne put estimer où ils en étaient de leur marche lorsqu’un changement mit fin à son hébétude. Baldassare avait arrêté sa monture et buvait à longs traits ; il tendit l’outre à Adriano et, d’un geste du bras, désigna quelque chose derrière l’enfant.

– Regarde, Adriano... On devrait pouvoir être heureux dans un tel pays.
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Ils se mirent en route, silencieux et songeurs, écrasés par la chaleur. Adriano essayait de profiter des ombres mêlées de la bête et du cavalier pour alléger sa marche, bien que le soleil fût d’aplomb ; Baldassare plissait les yeux et retardait autant que possible le moment où il céderait à la tentation de saisir le récipient rebondi qui ballottait contre sa jambe. Chemin faisant, Adriano perdit le fil de ses pensées ; il percevait, comme de loin, le fonctionnement mécanique de son corps, concentré sur ses jambes, et, dans le même temps, s’en détachait de plus en plus, pas après pas. La sueur ruisselait sur ses tempes et brouillait sa vue, l’obligeant à tenir ses paupières presque closes. Il se laissait glisser au gré d’une musique sourde, symphonie de cigales et autres insectes scandée par les sabots de la bête et les battements du sang à ses tempes. La route montait, descendait, sinuait, et les deux compagnons s’abandonnaient à l’allure nonchalante du baudet.
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Ils quittèrent le Giardinetto et arrivèrent chez Nardo qui les attendait, son âne prêt à partir.

– J’ai mis une outre pleine d’eau.

Baldassare tendit une pièce qui disparut sans commentaire dans la main du paysan.

– Parfait. Allons-y, Adriano. La route est longue jusqu’à la villa Bosca.

– La villa Bosca ? Vous m’emmenez chez le comte ?

– Le comte Bonifacio Della Rocca... oui, Adriano.
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La pente était raide jusqu’au Giardinetto et le père peinait davantage que dans la montée du cimetière.

– Je m’arrêterai chez Nardo pour lui emprunter son âne... Nous avons une longue route à faire et je tiens à vivre au moins jusqu’à ce soir... jusqu’à ce que je sois tranquillisé sur ton avenir...

– Mon avenir, père Baldassare ?

Adriano s’étonnait que l’on puisse se poser une question à laquelle une seule réponse semblait envisageable : son avenir serait pareil au passé de ses parents, et ce n’était pas la peine d’enfourcher un âne sous le soleil de juillet pour si peu.

– Oui, Adriano ; j’aimerais t’offrir ce qui, malheureusement, est refusé à la plupart de tes semblables : la possibilité de construire une vie qui ne soit pas dictée par la nécessité de survivre.
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Adriano se demanda un instant si, contrairement à son habitude, en raison de la solennité de l’événement, Baldassare n’allait pas poursuivre cette discussion derrière ses propres murs ; mais le prêtre passa devant sa porte sans ralentir et, avant l’église San Stefano, bifurqua dans la ruelle qui grimpait vers le Giardinetto puis replongeait vers la porte des Pèlerins. Les maisons bordant ces chemins étroits étaient misérables, mais elles semblaient confortables à Adriano ; dans son quartier, de l’autre côté de Montechiarro, près de la porte du Soleil, les masures étaient plus délabrées encore.
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Ils remontèrent à pas lourds vers la porte de Sienne. Souvent, en passant sous cette arche antique et délabrée, le religieux murmurait qu’un jour ou l’autre, si l’on ne se décidait pas à la restaurer, quelqu’un se ferait tuer par la chute d’une pierre. Cette fois-ci, il ne fit aucun commentaire.

– Vous avez demandé qu’on répare la porte ? hasarda l’enfant.

– Tu sais, je n’ai pas grand-chose à dire... Je ne suis à Montechiarro que depuis cinq ans, et je ne suis même pas originaire de la région.

– Si vous dites que le passé, c’est important, pourquoi refusez-vous de me raconter votre histoire, votre arrivée à Montechiarro ?

– Tout ce qui vient du passé n’est pas bon à prendre, et ma vie ne t’apportera rien qui puisse t’aider à affronter la tienne.
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À présent, sa famille prenait plus de place dans le cimetière que dans les rues de Montechiarro. Adriano suivit le père Baldassare et les quelques villageois qui les avaient accompagnés jusqu’à l’entrée où on l’embrassa encore, mais avec plus d’empressement qu’à l’annonce du décès de ses parents ; la vie, décidément, était impatiente, et il fallait être riche pour pouvoir s’adonner au malheur.

Les gens s’éloignèrent et Adriano resta seul avec le père Baldassare et le soleil.

– Viens, Adriano, nous avons à parler, toi et moi.
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D'après Einstein, il n'y a que deux infinies : l'univers et la bêtise humaine. Et encore, l'univers, ce n'est pas sûr. Je confirme. L'univers est fini, il suffit d'un baiser pour l'anéantir.
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On est toujours seul quand on est amoureux, seul et singulier. On croit toujours que ce qu'on vit est exceptionnel.
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On s'est mis en route sans parler. J'aime le silence. La plupart des gens deviennent fous quand ils doivent rester silencieux, ou quand ils sont en face de quelqu'un qui ne parle pas tout le temps. Je sentais la chaleur du corps de Jim à côté de moi, mais aucune tension. Mon silence ne le dérangeait pas. Le sien me faisait plaisir.
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Et puis Antoinette est tombée malade; Un méchant cancer, même si aucun n'est gentil. Elle s'était vite retrouvée à l'étage où travaillait maman, celui des soins palliatifs, où la médecine assure vaille que vaille le service après espoir.
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Elle me parlait d'une ville légendaire, près des Indes magiques, dont le nom était Maramisa ; et des siècles de fuite et de souffrance, la dispersion d'un peuple jadis puissant aux vents de l'histoire et aux confins des horizons.
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Il en a marre de porter la croix des autres ! La culpabilité ! Clé de voûte de toute notre éducation ! Matrice de nos cancers, de nos ulcères, de nos misères ! Notre plus précieux patrimoine, enrichi de génération en génération, généreusement transmis comme les pains et les poissons de l’Evangile, les pains et les poissons de nos Écritures misérabilistes et nauséabondes !
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Des plus orgueilleuses et des plus puissantes civilisations ne restaient bientôt que quelques alignements de pierres recouverts par le sable ou noyés dans la jungle. Maramisa seule substituait à travers des hommes et des femmes qui, à travers le temps, se transmettaient un héritage illisible et une fidélité à une énigme indéchiffrable.
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