Citations de Vincent Engel (135)
On trompe plus facilement une foule qu'un individu. Dans l'incertitude et l'illusion, chacun entretient le doute chez son voisin, plutôt que de reconnaître qu'il s'égare.
Et puis, von Elpen a pris du temps pour me parler. Il m'a exposé son programme politique : je n'y ai pas saisi grand-chose, mais je n'ai pas fait de commentaire. Il voulait régénérer notre pays, le débarrasser de ses parasites, rendre à notre peuple sa fierté... Je n'étais pas contre, tout se tenait logiquement. C'était presque de la sagesse. Du bon sens. Je n'osais pas en parler avec Katrin, parce qu'elle n'était pas de ce côté-là de la sagesse.
Alba avait toujours vécu dans une illusion, la réalité ,'était pour elle qu'une toile terne qu'il fallait couvrir de leurres, de couleurs de chimères
son jeu était à son image, libre violent excessif parfois passionné, parfois désespéré..
A présent, sa famille prenait plus de place dans le cimetière que dans les rues de Montechiarro. Adriano suivit le père Baldassare et les quelques villageois qui les avaient accompagnés jusqu'à l'entrée où on l'embrassa encore, mais avec plus d'empressement qu'à l'annonce du décès de ses parents ; la vie, décidément, était impatiente, et il fallait être riche pour pouvoir s'adonner au malheur.
Ils découvraient que la vertu était démunie quand un seul s'en moquait.
... il remplissait une fonction d'artifice, cautionnant de son titre une parodie qui l'en rendait indigne.
... Mais on ne rêve jamais seul ; les songes des uns croisent ceux des autres, et de leur choc naissent les orages, les cauchemars du réel. Les beaux rêves dont les vies tristes, Népomucène...
La fidélité des morts était un leurre pour apaiser les vivants.
L'homme crie où son fer le ronge
Et sa plaie engendre un soleil
Plus beau que les anciens mensonges.
Louis Aragon.
Arianna serait une fleur sans rêve, soumise à la cueillette ou à la faux du faneur, elle ne se prendrait plus pour un oiseau ; les garçons étaient des oiseaux, des rapaces libres d'aller, de chasser, de piller le nid d'autrui. Le prêtre l'avait proclamé : les femmes étaient les racines des familles, telle était leur noble tâche. Bénies soient-elles, qui offrent leurs entrailles, leur corps, leur jeunesse, leur vie, leurs rêves !
Certains soulageaient leurs douleurs en les partageant.
- Un souci ? Votre secrétaire pratique l'euphémisme.
- Et le point de croix. (p.26)
=> ZEUGMA
Les lanceurs d'alerte étaient devenus des criminels et les grands prêtres de la religion technologique avaient achevé de rassurer le bon peuple, ravi de pouvoir continuer à vivre sans devoir trop changer ses habitudes. Amen. (p.8)
- La révolte est ce qu'il y a de plus précieux chez l'homme - et ce l'adulte s'évertue à tuer le plus vite possible.
- Mais vous disiez que..
-Je ne parlais pas de la révolte, seulement de la révolution. La révolte est une étincelle, une flamme. elle peut devenir aussi bien le bûcher des révolutions et des tyrannies, la flambée bourgeoise du réformisme, l'âtre solitaire et frêle de l'anarchisme.
Je crois avoir appris une chose durant ma longue existence: les hommes souffrent de ne vivre qu'une vie, de surcroît tellement étroite et que les choix comme les nécessités rétrécissent encore davantage. Et rien ne réduit plus une destinée que le regard des autres, quels qu'ils soient; on se trouve si difficilement soi-même qu'on s'empresse de ramener l'histoire de ceux que nous croisons à quelques traits, à deux ou trois banalités dont le but essentiel est de conférer un peu de relief à la nôtre. Pour se guérir de cette malédiction, certains d'entre nous s'inventent des portions plus ou moins longues d'autres vies en donnant à voir à quelques-uns ce qu'ils cachent soigneusement aux autres. L'artifice est fragile sans doute et peut sembler dérisoire; on finit parfois par ne plus s'en sortir, de ces facettes et de ces mensonges !
- Savez-vous qu'un de ces nouveaux sorciers que sont les photographes m'a demandé de poser pour lui, ici, dans ce palais ! Quelle horreur vous imaginez ? J'aime trop l'art et la peinture ; je me battrai jusqu'au bout contre cette invention diabolique qui veut ravir l'âme de notre culture !
-Ne juge pas trop vite Adrianno. Le comte n'en veut pas à sa femme. Il la comprend, je crois. Tu vois, être noble et riche ne permet pas toujours d'être maître de son destin...
Laetitia s'est libérée. Cela ne se fait pas sans souffrance..
-Et vous, père Baldassare, vous ne la condamnez pas ?
-J'ai appris à ne plus condamner les gens qui cherchent à être heureux sans trop faire souffrir leurs proches.
Au nom de quoi nous nous sommes arrogé le droit de proclamer que certains humains sont "illégaux", alors que les lois sont des inventions humaines et qu'aucune d'entre elles ne peut se placer au dessus du principe qui les fonde toutes : l'humanité.
Et ma mère seule sut vaincre les Allemands en s’enfuyant du ghetto avant que l’on nous en chasse. Elle a emporté son rire et ses yeux et sa main sur la mienne, alors que mon père avait perdu les planches et l’argent de celles qu’il avait vendues, et nous ne l’avons plus revue ailleurs que dans nos yeux, tout le temps, ma mère dans mes yeux que je ne voyais plus que je n’entendais plus à qui j’aurais voulu dire tant mais surtout l’écouter mais elle n’avait jamais beaucoup parlé beaucoup agi libre sauf maintenant dans le grand cri silencieux de sa mort, de la mort de sa souffrance aussi - vainqueur anéanti par sa victoire-, et elle dans mes yeux ne nous vit pas partir là dont je ne dirai rien, là dont je tairai le nom, après de longs trains noirs et gris, après le ghetto, après notre maison notre famille et notre naissance et celle de ses parents bénis soient-ils dans l’ignorance du monde où ils la projetèrent - après leur grand silence des noms effacés en lettres de feu et tant pis si vous croyez que j’ai choisi d’être juif à cette époque à cet endroit pour pouvoir exterminer ma famille et me retrouver seul - mais un romancier aussi médiocre que moi ne choisit pas le récit qu’il raconte, pas plus qu’il n’a choisi sa vie, et maintenant je me tais.