Citations de Vincent Engel (135)
Une conduite lente mais nerveuse dans la circulation dense du matin, et l’impression d’être un tigre se faufilant entre des moutons gras et idiots, ce bétail abruti qui avait tacitement cautionné un programme d’éradication des vieillards improductifs, sans songer qu’il se retrouverait un jour dans la même situation que leurs parents.
" ... Ces mythologies nationalistes qui reviennent massivement et dont l'influence se mesure chaque jour davantage. "
(page 52).
- [...] Tu sais, j’adore ma mère, je lui dois tout… La voir dans cet état me brise le cœur, et plus encore de ne pas pouvoir en prendre soin moi-même. Mais je suis si rarement chez moi, j’ai des horaires épouvantables… Elle s’inquiéterait tout le temps, je devrais engager une aide-soignante à demeure, et c’est si désagréable d’avoir une étrangère chez soi.
C’était évident. Bien plus désagréable que de placer son parent dans une institution remplie d’étrangers… Il tint sa réflexion pour lui et songea à sa propre mère ; il ne savait que trop ce qui se passait dans ces institutions, et il était hors de question qu’elle y mette jamais les pieds.
La fuite, face aux agresseurs plus puissants, était, dans tout le règne animal, une preuve de sagesse. Seul l'humain, gorgé d'honneur, de jalousie, de principes, de vertus, affrontait le danger de manière absurde et s'entêtait dans des plans qui finissaient par l'obnubiler, dût-il s'y perdre.
Les rassemblements à Nuremberg, les défilés aux flambeaux des nazis m’ont horrifié. Mais le plus insupportable, c’et qu’il y avait sur les visages quelque chose de grandiose et de sublime à quoi nombre d’individus, les intellectuels en tête, ne savent résister. C’est pour cela, entre autres, que les nazis triomphent : ils dominent l’image et la parole. Pour leurs adversaires, il ne reste déjà plus que le silence et la nuit
(Fayard, p.461)
Il me faut l’avouer : je n’écris que pour moi. Que pour ce geste de l’écriture qui abolit et le temps et le monde.
(Fayard, p.572)
... je considère que le seul paradis qui nous attend réside dans la mémoire affectueuse de ceux qui nous survivront.
...la sacro-sainte culpabilité sans laquelle les Eglises s'effondreraient et les hommes seraient libres!
Les domaines toscans, comme tous les autres, peuvent parfaitemment se passer de leur maître pendant de longues périodes sans qu'on se rende compte de leur absence. Une maîtresse efficace les gouverne : l'habitude.
Les beaux rêves font les vies tristes.
L'espoir, c'est une habitude qui vous colle aux chaussures. Et même aux pieds, lorsque vous enlevez vos chaussures. À votre peau. C'est une forme d'acné. Sauf que ça vous rend beau, l'espoir. Mais ça vous rend aussi triste que l'acné. Désespéré.
Cette lettre est comme un adieu sur un quai; on ne sait plus que dire mais l'on dit n'importe quoi pour rester ensemble quelques instants de plus.
Les hommes souffrent de ne vivre qu'une vie, de surcroît tellement étroite, et que les choix comme les nécessités retrécissent encore davantage. Et rien ne réduit plus une destinée que le regard des autres, quels qu'ils soient.
J'ai toujours été fasciné par ce soin extrême que l'homme cultivé met à façonner avec un art aussi accompli les outils par lesquels il est conduit à occire ses semblables, comme s'il comptait sur la beauté pour reléguer l'horreur du geste au second rang. Et l'art sert-il à autre chose, sinon à rendre la mort appréciable ou anecdotique, et à faire de la vie une vague nécessité interchangeable ?
- La politique ! Qui veut se lancer dans ce cirque aujourd’hui, sinon celles et ceux qui vendraient père et mère ? Vendre ou tuer… d’une manière ou d’une autre ! Vous avez la chance de ne pas avoir d’enfants, Me Geoffroy ; vous ignorez au moins cette déception-là. Il y en a d’autres, faisons confiance à l’infinie ingéniosité humaine pour s’avilir…
C'était triste, mais acceptable, ces morts par milliers chez les vieux. Des fantassins sans valeur qu'on sacrifiait sur le front, de la chair à virus, des victimes sacrificielles aux dieux aléatoires...
p.183
... mais qu'est-ce qu'un adolescent, sinon un être contraint de perdre les richesses de l'enfance pour tenter désespérément d'obtenir la reconnaissance des adultes ?
En substance, il lui avait dit cette fois qu'il y a, au plus profond de chacun, une part de nous qui ne vieillit jamais. Pas une part d'enfance, car un enfant a déjà vieilli un peu et vieillira encore ; une véritable part d'éternité, que le temps ne peut altérer.
... des millénaires de religiosité ont paré la souffrance de vertus rédemptrices, qui sont à mes yeux la pire des insanités. La souffrance ne sert que ceux qui la font subir. C'est une obscénité.
La pitié a pris la place de la piété.
Pitié pour ces malheureux privés de tout et qui viennent encore s'accuser des péchés les plus graves quand ils essaient simplement de survivre.
Et les puissants qui se creusent la cervelle pour inventer des peccadilles plutôt que d'avouer la vérité.