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Citations de Sorj Chalandon (2556)


Recueillement
(Samedi 23 avril 2011)

Nous n’étions que nous, ma mère et moi. Lorsque le cercueil de mon père est entré dans la pièce, posé sur un charriot, j'ai pensé a une desserte de restaurant. Les croque-morts étaient trois. Visages gris, vestes noirs, cravates mal nouées, pantalons trop courts, chaussettes blanches et chaussures molles. Ni dignes, ni graves, ils ne savaient que faire de leur regard et de leurs mains. J'ai chassé un sourire. Mon père allait être congédié par des videurs de boites de nuit.
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Un médecin m’avait expliqué que la trêve charriait l’inquiétude. Les hommes s’endormaient au son du canon. Le vacarme devenait la norme. Lorsqu’il cessait, les nuits étaient blanches.

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Ce n'était ni méchant ni moqueur. Mais l'impression qu'il y avait toujours un jugement derrière le rideau. Les Britanniques surveillaient nos gestes, l'IRA surveillait notre engagement, les curés surveillaient notre pensée, les parents surveillaient notre enfance et les fenêtres surveillaient nos amours. Rien ne nous cachait jamais.
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La Colonie pénitentiaire maritime et agricole de Haute-Boulogne avait été construite sur le glacis de la citadelle Vauban, une muraille noire jetée à pic sur des criques abruptes, pour anéantir les jeunes canailles. Pour nous écraser sous les charges, affamer nos corps, essorer nos esprits.
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Pour châtier les salauds comme mon père, ils ont utilisé la paperasse qui avait servi à condamner les héros. Certains formulaires écrasaient la dictature vichyste par les mots RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, un tampon neuf à l’encre si tendre qu’elle laissait encore apparaître les traces de l’État voyou.
(page 124)
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« Change tes larmes en encre », m’avait conseillé l’ami François Luizet, reporter au Figaro, qui m’avait surpris, quelques années plus tôt dans le sud de Beyrouth, assis sur un trottoir, désorienté, sans plus ni crayon ni papier, à pleurer les massacres que nous venions de découvrir à Sabra et Chatila.
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Sorj Chalandon
■ FOUS DE GUERRE.
C'est une armée de pauvres bougres qui ouvre le défilé de la victoire, le 14 juillet 1919 sur les Champs-Elysées. Les aveugles, les manchots, les sans-jambes, poussés sur des brancards de misère. Avant le bruit des brodequins cloutés, le cliquetis des cannes et le grincement des fauteuils à roues.
Voici les gueules cassées. Les visages ne sont pas réparés, seulement ravaudés. Ils sont la preuve des épreuves endurées. On ne cache pas ces malheureux. Ils sont honorés. Un peu de leur chair est mêlée à la terre d'Alsace, de Champagne, de Lorraine. Le public a peur de ces visages, s'en détourne mais les célèbre comme des héros.
Et puis, il y a les autres. Des milliers d'hommes mis hors de combat que l'armée escamote. Des malheureux que la France ne veut pas connaître.
Pourquoi ? « Mais parce qu'ils n'ont rien, ils simulent ! » accusaient les officiers. Des soldats sans blessure apparente. Et aucun médecin pour nommer l'étrange mal qui les frappe. Le syndrome de stress post-traumatique, qui ne sera reconnu en France qu'en 1992.
Pour raconter le martyre de cette multitude ignorée, Grégory Laville et Jean-Yves Le Naour se sont intéressés à l'un de ces hommes. Baptiste Deschamps, rude gaillard de la Vienne, parti en août 1914, à 35 ans et la fleur au fusil, laissant derrière lui une femme et ses trois enfants.
Envoyé sur le front des Flandres, Deschamps voit tous ses camarades fauchés par un obus. Il n'est là que depuis trois mois. Il saute dans un fossé, se plie en deux et ne parvient plus à se relever. C'est comme ça que les brancardiers le retrouvent, en position foetale. Et qu'il est envoyé vers un hôpital de l'arrière, avec les estropiés et les mourants.
Pour les médecins militaires, le soldat Deschamps n'a rien. Il ne marche plus, mais personne n'en comprend la raison. Et ils sont des milliers comme lui, à agacer les vieilles badernes. Souffrant de spasmes, de soubresauts, hurlant de terreur. Aucun chercheur ne s'est penché sur la révolte du corps. La sidération d'un organisme martyrisé par la guerre.
[...] Après la médecine douce, les praticiens se font barbares. Les poilus appellent ça le 'torpillage'. Un mélange de chocs électriques, d'insultes et de menaces. Supplanter cette 'maladie de la volonté' par la douleur physique. Baptiste Deschamps se rebellera. Il frappera son médecin. Lui qui risquait la peine de mort pour 'voies de fait sur un supérieur' ne sera condamné qu'à 6 mois de sursis par un tribunal militaire. Son affaire fait éclater le scandale. Médecine militaire contre médecine civile, la France est divisée. Mais plus préoccupée par ses enfants héroïques qui meurent au front que par ces étranges damnés qui ne tiennent plus debout.

• article dans 'Le Canard enchaîné', 07/11/2018 - à propos de l'émission 'Quand la Grande Guerre rend fou', diffusée le 09/11 sur France 3, à voir en replay
>> https://www.dailymotion.com/video/x2a0dbf
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- Tu vas me faire une promesse, a murmuré maman.
J'étais assis, elle penchée au-dessus de moi.
Je n'ai pas répondu. J'ai attendu, mon cœur noyé dans le sien.
- Ne fais jamais d'enfant, Michel. S'il te plaît. C'est trop de souffrances.
Et puis elle est retournée voir son fils, sans écouter ce que mes yeux disaient.
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Je n'ai jamais reconnu d'élégance à mon ennemi. Je cherchais à le tuer, il cherchait à m'abattre. La guerre n'avait jamais été rien d'autre.
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Sorj Chalandon
Comme leur mère avant elles, et la mère de leur mère, Halimata, Fanta, Diaryatou ou Maryam ont été mutilées avant leur puberté. Du Mali au Soudan en passant par l'Ethiopie ou la Guinée, 200 millions de fillettes ont ainsi été martyrisées à travers le monde. Une gamine excisée toutes les quatre minutes. En France, on estime à 60 000 le nombre de petites filles secrètement amputées, pour perpétuer une tradition sanglante vieille de 26 siècles.
« Laisse errer mes doigts dans la mousse où le bouton de rose brille », écrivait Verlaine, dans 'Printemps'. Seul organe humain entièrement dédié au plaisir, le clitoris est vécu, dans certaines sociétés, comme mettant en danger la domination masculine. Pas de jouissance pour la reproductrice ! Le mâle seul a droit à la volupté. Et il n'est pas question ici de croyance. L'excision n'est pas un précepte religieux. Aucun texte, dans aucun livre sacré, ne préconise l'assassinat de l'orgasme féminin.

- extrait de l'article 'Petit bout de femme' (Le Canard enchaîné, 22/11/2017), à propos de l'émission 'Excision, le plaisir interdit', à voir le 28/11/2017 à 22h55 dans 'Infrarouge' sur France 2.
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Venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, mort en paysan. Venger ma mère, morte en esseulée; j'allais tous nous venger de la mine. Nous laver des Houillères, des crapules qui n'avaient jamais payé leurs crimes. (...)
Rendre justice aux veuves humiliées, condamnées à rembourser les habits de de travail que leurs maris avaient abîmés en mourant. (p. 130)
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- Nous n'attendions pas des honneurs insignes, des récomprenses exceptionnelles, des traitements de faveur. Nous ne nous apprêtions pas à jouer le rôle de héros nationaux...
L'un des gars a dit ça devant la tombe ouverte. C'était le seul que mon père appelait "compagnon". Ils avaient combattu ensemble dans une section du Loiret, puis en région parisienne. Ils avaient été arrêtés ensemble, déportés ensemble. Et ils étaient revenus de camp avec du cœur en moins.
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Il a fait la moue. Laissé couler ses lèvres, son menton, son corps tout entier . Il a haussé les épaules comme on chasse une douleur. Et puis il a posé son regard sur moi. C'était doux, calme, étrange . Il m'a observé. Comme lorsque nous étions espions, dans les rues de mon enfance . Chacun derrière son mur, complices, porteurs de secrets, nos talkies-walkies à l'oreille . Il m'a contemplé, lèvres closes. Son silence sur nous, en voile de crêpe noir. Personne d'autre que le père et le fils. Le chef et son soldat à l'heure de la défaite. Ma mère était ailleurs, et les odeurs sombres et le froid du dehors et Noel bientôt . Nous nous tenions par les yeux. Nos vies, nos peaux , nos coeurs. Il venait d'avoir quatre vingt dix ans. J'en avais soixante et un . Son vieux fils. Nous avions les mêmes paupières tombées, la même bouche amère. Mon père sommeillait en moi.
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Ronan m’avait dit un jour :
- L’ami, c’est celui qui t’ouvre sa porte au milieu de la nuit sans te poser de questions.
(page 393)
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J'espérais qu'un jour ce lieu serait sanctifié. Le procès de Klaus Barbie aiderait à ramener la Maison en pleine lumière. Mais j'avais peur qu'il ne reste rien de ce froid, de ce silence, de cette odeur ancienne. Rien des bureaux, rien de la pomme tracée sur une ardoise, rien de l'amour de Paulette et Théo, rien des enfants vivants, à part un mémorial célébrant leur martyre. Une nécropole élevée à leurs rires absents.
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La Teigne, 11 octobre 1932

Tous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien.
Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans un bruit.
Interdit à table, le bruit. Le réfectoire doit être silencieux.
- Silencieux, c'est compris ? a balancé Chautemps pour impressionner les nouveaux.
Sauf à la récréation, la moindre parole est punie.
Le surveillant-chef empêche même les regards.
- Je lis dans vos yeux, bandits.
Cet ancien sous-officier marche entre les tables, boudiné dans son uniforme bleu.
J'y vois les sales tours que vous préparez.
Sa casquette de gardien au milieu de nos crânes rasés.
Moysan, Trousselot, Carrier, L'Abeille, Petit Malo, même Soudars le caïd, tous ont la tête dans les épaules. Notre troupe de vauriens semble une armée vaincue.
- Vous êtes des vicieux !
Chautemps frappe une table avec sa coiffe à galons. Il s'est approché de moi.
- La Teigne, baisse les yeux !
Je soutiens son regard.
Le coup va partir. Je le sais.
Il se racle la gorge. C'est le signe de sa colère.
- La Teigne!
Personne n'a le droit de m'appeler comme ça. Jamais.
C'est mon nom de guerre, gagné à force de dents brisées.
Moi seul le prononce. Je le revendique et les autres le craignent. Aucun détenu, aucun surveillant, pas même Colmont le directeur ne peut l'employer. « La Teigne », c'est mon matricule et ma rage. Mon champ d'honneur.
Chautemps s'approche. Je suis à table en bout de banc, le cinquième de ma rangée. Je ne vois que des dos courbés.
Même en prison, les gars se font face à table, ils discutent comme au restaurant. Mais ici, à la Colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne, on nous a installés les uns derrière les autres, des rangées de nuques, avec interdiction de se retourner.
- Regarde ton assiette !
Une gamelle en fer-blanc.
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Les victimes comme Loiseau étaient la monstruosité de ce système. Il était innocent et je déteste les innocents. J'ai plus d'appétit pour le bourreau que pour sa victime. Je déteste les persécutés. Je déteste les yeux baissés. Je déteste les plaintes. Je déteste les dos courbés. Je déteste ceux qui s'en vont mourir les mains vides.
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Les récifs, les courants, les tempêtes. On ne s’évade pas d’une île. On longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. Même si certains ont tenté le coup.
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Michel parlant de sa femme : « J’aimais d’elle tout ce que son cœur disait de moi. Merci pour ton amour, pour ta patience, pour le cadeau de ta présence. Merci d’être là, à me regarder m’abîmer sans sourire. Merci pour ta pudeur, ton élégance. Merci de me comprendre et de me respecter. »
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Il avait de la justice une image de télévision, avec effets de manches, rebondissements, coups de théâtre. Il était fasciné par les tribuns et dégoûté par les plaintes. Ses héros de prétoire s’appelaient Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jacques Isorni. Le premier avait fait acquitter Céline, le second avait défendu Pétain.
(page 135)
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