AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,33

sur 123 notes
5
21 avis
4
9 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis

J'avais été bouleversée par le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xème, sorti en 2017. Ruth Zylberman y racontait le destin d'enfants juifs sous l'Occupation. Ce livre est son prolongement, toujours centré sur la période 1940-44 mais cette fois en élargissant les bornes temporelles pour remonter à 1850 et aller jusqu'aux attentats de 2015.

Comme une concentration de la l'histoire de France à travers l'autobiographie d'un immeuble de rapport comme il en existe des milliers, dans une rue banale, une porte cochère bleu, une cour pavée surmontée de quatre façades en carré. Une histoire en mouvement, des ouvriers communards ( déjà déportés, vers la Nouvelle-Calédonie ) aux différentes vagues d'immigration, juive d'Europe de l'Est, portugaise, maghrébine. Une histoire à hauteur d'homme qui bruissent de vie.

Ruth Zylberman est partie d'une carte établie par le géographe Jean-Luc Pinol à partir des données collectées par Serge Klarsfeld sur les enfants parisiens déportés entre 1942-44. Puis du choix d'une adresse, le 209 rue Saint-Maur avec ses neufs noms d'enfants. S'ensuit un formidable enquête de détective sur plusieurs années pour retrouver les survivants de cette époque ou leurs descendants, en compulsant les annuaires, les recensements, les archives jusqu'au miracle des rencontres. L'auteure nous fait comprendre tout son processus d'écriture, ses coulisses, au gré des hasards et des coïncidences, des Etats-Unis à Israël en passant par l'Australie, glanant, creusant, grattant la moindre piste qui s'ouvre à elle.

Le livre se fait souvent récit personnel lorsque Ruth Zylberman, elle-même fille d'une déportée, dévoile son ressenti, en toute sincérité, sans narcissime aucun. C'est très fort de découvrir les doutes qui l'habitent, son souci délicat face à son pouvoir de déstabilisation, respectant la pudeur de chacun et les mythes construits pour pouvoir survivre à la tragédie de la perte des parents.

Cette émotion à fleur de peau de l'auteure renforce le récit et son «  histoire avec sa grande hache » ( selon les mots de Georges Pérec ) qui s'abat sur la centaine de locataires juifs vivant dans l'immeuble durant l'Occupation : 52 seront déportés. le 209 est à la fois un piège pour ses occupants lorsque des voisins dénoncent, mais aussi un refuge pour les enfants qui seront cachés par les Justes de l'immeuble. L'intérêt de l'échelle d'un immeuble est justement de laisser voir la collectivité et ses interactions dynamiques, bien au-delà de l'histoire familiale de chacun. Un peu justement comme dans La Vie mode d'emploi de Pérec, déjà une autobiographie d'un immeuble parisien.

Et puis, il y a ces moments inoubliables, exceptionnels de densité, leur souffle romanesque saisit le lecteur qui chavire quasiment à chaque page tellement ça palpite de vie et de dignité.

Lorsque le couple Dinanceau cache dans une pièce de 6m2 une famille juive qu'il connait à peine, pendant 2 ans, à la barbe de leur fils engagé dans les LVF ( Légions des volontaires français, section combattant aux côtés de la Wehrmacht ) ... lorsque le père menace son fils de mort s'il ose les dénoncer ...

Lorsque Henri, caché dès la rafle du vel d'hiv', orphelin élevé dans une famille d'accueil américaine, revient au 209 à plus de quatre-vingt ans, encore plein de colère face à son enfance volée ... lorsque le vieux monsieur redevient un enfant, bouleversé par la poignée d'une porte que ses parents auraient pu toucher ... lorsque ses souvenirs, enfouis, occultés par une volonté radicale, resurgissent ...

Lorsqu'Odette fait le cadeau à Ruth Zylberman de lui montrer une vieille lettre racornie, la dernière écrite par ses parents à Drancy avant leur extermination à Auschwitz ... lorsque la lettre dit «  nous sommes vivants » et que Odette la reçoit en le croyant et qu'aujourd'hui, elle trouve cela de plus en plus insupportable, cette lettre, en fait sans espoir ...

Histoire totale, histoires extraordinaires d'un immeuble ordinaire, des voix qui s'élèvent pour dire, pour rappeler, avec force et douceur. Un livre empli de lumière, qui redonne foi en l'être humain. Magnifique, absolument magnifique.

PS : Je vous conseille vivement la lecture de ce formidable récit ainsi que du documentaire qui l'a précédé, Les Enfants du 209, rue Saint-Maur, Paris Xème, disponible gratuitement sur Arte Tv : https://www.arte.tv/fr/videos/065861-000-A/les-enfants-du-209-rue-saint-maur-paris-xe/
Commenter  J’apprécie          10718
« Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l'écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l'odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d'une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité des hommes. » Citation de Sylvain Tesson.

La sensibilité de Sylvain Tesson rejoint mon ressenti. Pénétrer dans un espace sacré, dans une grotte, dans une maison, c'est un peu comme pénétrer dans un livre. Les pierres nous racontent une histoire, elles peuvent nous émouvoir, nous attrister, nous angoisser, nous procurer du bien-être, nous communiquons avec elles.

C'est ainsi qu'au détour de l'une de ses multiples déambulations, dans la quête d'une forme de terre natale où Ruth pourrait poser sa caméra, parmi tous ces immeubles parisiens, qu'elle s'est arrêtée devant une porte cochère bleue. Pourquoi cette porte plutôt qu'une autre ? Elle était entrouverte, un peu comme une invitation. Elle est entrée, s'est glissée sous une voûte et s'est retrouvée au milieu d'une cour pavée surmontée de quatre façades en carré. C'est à ce moment là, dans cette cour, qu'elle a réalisé qu'elle avait enfin trouvé « son Amérique » : le 209, rue Saint-Maur Paris Xème.

De retour chez elle, elle consulte une carte éditée par Serge Klarsfeld. A cette adresse, ce sont neuf enfants juifs qui ont été déportés. Il lui faut reconstituer l'histoire de cet immeuble, redonner vie à tous ces êtres disparus et dont les pierres conservent le souvenir : ce palimpseste d'êtres de chair et de sang, gorgé de sentiments. Les pierres ont tant de choses à raconter, sur le combat des êtres humains, sur leur lâcheté, sur leur idéologie, sur leur solidarité et leur fraternité.

Ruth Zylberman a effectué une enquête titanesque sur cet immeuble. C'est passionnant. Elle remonte rapidement à la naissance de la rue Saint-Maur. Parcourt les Plans, les Archives Nationales - des photographies figurent dans le livre - et c'est ainsi que nous partons de 1840, où le 209 n'était encore qu'un jardin. Elle va rechercher l'origine de la propriété afin de pouvoir contacter les héritiers des propriétaires de l'époque, et reconstituer ainsi l'histoire du 209, rue Saint-Maur.

Ce quartier a toujours hébergé des ouvriers, des artisans, des immigrés. Avec ses retranchements, ses passages, ses ateliers, ses cours qui « deviennent les jours de lutte, autant de réduits pour des « coups de main », l'arrondissement favorise la rébellion. Foyer d'agitation en juin 1848, coups de feu avec les barricades de la Commune, atrocités de la guerre de 1870, celle de 1914/1918, pour parvenir à la seconde guerre mondiale, la rafle du Vel d'Hiv jusqu'à nos jours, c'est plus d' un siècle et demi de l'Histoire du Xème que nous murmurent les pierres. Magnifique ouvrage où nous sommes accompagnés et où nous accompagnons la présence de tous ceux qui ne sont plus. Hommage à ceux qui ne sont rien au regard de l'immensité de l'Univers mais qui sont tout au regard de ceux qui les aiment.

De ces neuf enfants déportés comme des habitants de l'immeuble, Ruth va parvenir à retrouver des survivants qu'elle va réunir au 209, rue Saint-Maur comme Odette de Tel Aviv, Albert de Nevers, ou Henry aux Etats-Unis. C'est une lecture particulièrement intense, dotée d'une très belle humanité. Ce récit résonne de toutes ces voix qui ne sont plus, de tout ce passé mêlant beauté et laideur, et nous vibrons avec elles.


« Nous autres du 209, les pauvres, les morts et les vivants, les disparus et les revenants, nous autres les communards et les artisans, les résistants et les dénonciateurs, nous autres les jeunes filles amoureuses et femmes de mauvaise vie, nous autres les Kabyles et les Polonais, les Juifs, les Portugais et les Bretons, les Marocains et les Italiens, nous autres, Odette, Albert, Henry, Charles, et les autres – Nous autres du 209 – c'était la forte et fière affirmation d'une patrie imaginaire dont l'étendard serait ce toit de ciel découpé en carré au-dessus de la cour." Tous ils ont été en quête d'une terre, d'une grande famille au 209, rue Saint-Maur.

Je remercie Kirzy pour son billet si sensible qui m'a incitée à lire ce livre et à regarder le documentaire, tourné par Ruth Zylberman, sur le 209, rue Saint-Maur. A la suite de sa chronique, j'ai regardé le documentaire une première fois puis une seconde fois après la lecture de ce livre. Ils sont indissociables et complémentaires. le documentaire est toujours visible et il permet de mieux s'imprégner de l'intensité des retrouvailles.


Commenter  J’apprécie          6517
Quel livre magnifique! Je remercie tout de suite Babelio et les éditions Seuil en collaboration avec Arte pour ce récit qui suit le documentaire Les Enfants du 209 rue Saint-Maur.
Comme Perec qui avait choisi plus ou moins arbitrairement le 23 juin pour suivre les personnages de l'immeuble de la Vie Mode d'Emploi, Ruth Zylberman a choisi, elle, le très réel 209 rue Saint-Maur, dans le Xème, pour retracer leurs histoires en parallèle à la grande.
Le 209 est composé de quatre bâtiments de six étages qui se font face autour d'une cour intérieure, et il a été construit pendant le XIXème siècle. Aujourd'hui partagé entre petits appartements logeant des locataires immigrés et d'autres appartements réaménagés en lofts par de jeunes couples propriétaires, il garde la trace du temps passé et des petites gens qui y ont vécu, se succédant les uns aux autres au cours des décennies, descendant les mêmes escaliers, fréquentant les mêmes pièces communes, s'interpellant et s'épiant d'une fenêtre à l'autre tandis que des générations d'enfants jouaient à se cacher dans les longs et étroits couloirs sombres des bâtiments.
Ruth Zylberman, au cours de ses recherches minutieuses, retrouve des traces de certains locataires, photos ou articles de journaux à l'appui retraçant des moments de gloire, de bonheur, mais aussi de souffrance et de violences touchant aux faits historiques qui ont marqué leur vie de manière indélébile, la Commune et ses barricades, la grande guerre, la deuxième guerre mondiale, les vagues d'immigration, l'attentat du 13 novembre 2015.
Tous ces récits, cependant, sont largement dominés, presque étouffés par ces cinq années qui ont bouleversé à jamais la vie d'un nombre incalculable de victimes, les années 39-45. L'immeuble en effet a été habité par des résistants, des collabos mais surtout par une centaine de Juifs, des familles pour la plupart et donc, des enfants, les enfants du documentaire. Ruth parvient en tirant les fils des rencontres, à retrouver la quasi-totalité des enfants ayant survécu, et encore vivant au moment de la réalisation du documentaire. Exilés, orphelins, meurtris, ces enfants ont 75, 80 ans et ont fui le 209 rue Saint-Maur après la guerre. Ruth les rencontre, attrape des bribes de souvenirs refoulés souvent, et avec une patience incroyable, réécrit la vie de ces personnes qui ont vécu l'une des plus grandes tragédies ayant jamais existé. Etre témoin des refoulements et des stratégies mises en place pour survivre à la mort de familles entières est terriblement bouleversant. Ces personnes ont encore dans leur regard une fragilité d'enfant et une profonde tristesse, et sans aucun doute un sentiment de solitude impossible à combler.
Sous les témoignages, le 209 prend peu à peu vie. C'est une lecture étourdissante car les générations finissent par se mélanger et à vivre en parallèle les unes autour des autres, les appartements se décloisonnant, certaines portes disparaissant, des chambres ayant caché des familles entières aussi au gré des rénovations.
Les pas entendus dans l'escalier ne sont pas les mêmes pour tout le monde, ils peuvent apporter la joie et le réconfort de savoir que le père ou le mari rentre du travail tout comme ils peuvent provoquer la terreur des rafles nazis sous leur bruit de bottes.
C'est un documentaire d'une densité effroyable si on pense que ces vies ont vécu dans un seul et même immeuble: qu'en est-il de l'immeuble voisin et de ceux des rues voisines, ceux des autres arrondissements, des autres villes françaises, européennes, et du monde?
C'est un travail de rechercher incroyable que Ruth Zylberman a fait là, juste à temps avant que toutes ces mémoires directes ne tombent dans l'oubli. En lisant ce livre, j'ai vécu une expérience intense.
Merci encore à Masse critique.
Commenter  J’apprécie          413
Un lieu comme une réserve où puiser des innocents : bouleversant chef d'oeuvre.

Au 209 de la rue Saint-Maur, Paris X ème. Un immeuble de 300 âmes.
Mais il y a déjà si longtemps, si longtemps que la mémoire se froisse...

La vie s'est arrêtée le 16 juillet 1942...La vie a repris pour ses derniers locataires le 19 août 1944.


Les fenêtres se sont refermées une à une
depuis le jour où la police
déclencha la rafle du Veldiv.
Ils sont vieux, ils sont jeunes, ce sont des artisans, souvent des étrangers.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
est abandonné dans le noir.



Ils étaient venus chercher l'espoir,
la liberté, la bienveillance,
Paris pour eux avait un goût de paradis,
de délivrance. Ils nous faisaient confiance.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
est délaissé ce soir encore.



Certains avaient passé avec la concierge
un pacte, une surveillance.
La fenêtre a secoué son balai.
La police parisienne a refait son ménage.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc,
trône encore comme un mouchoir.



La folle ronde des jours grince
en contrepoint la dissonance des noms rayés.
la Muette sillonne les couloirs,
les locataires vont s'emmurer.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre un carré de tissu blanc
s'égoutte dans la nuit.


Il y a déjà si longtemps
ma soeur aînée avait quatre ans.
Un visage incrusté dans un carreau
fixe la cours où l'on recherche des survivants.
Au troisième étage sur le bord de la fenêtre
on distingue Ruth Zylb...Toujours lisible sur le carré de tissu blanc .
Commenter  J’apprécie          395
Lorsque Ruth Zylberman tombe un peu par hasard sur la carte des enfants habitant Paris qui ont été déportés entre 1942 et 1944 (carte éditée par Serge Klarsfeld et Jean-Luc Pignol, géographe lyonnais), elle ne se doute pas que cela l'entrainera dans un long, passionnant et dévorant travail de recherche.
Quand elle pousse, pour la première fois, la porte du 209 rue Saint-Maur, elle est loin de s'imaginer qu'elle va entrer dans les méandres de toutes les vies menées dans cet immeuble, somme toute banal en apparence, et que "comme un oignon, couche par couche , elle va creuser" ces murs témoins de vies volées.
Quand, poursuivant ses recherches, elle n'imagine pas que la chance, le hasard, va la mener, de Tel Aviv , Melbourne à New York, à la rencontre des anciens locataires du 209.
Cette enquête a fait l'objet, en 2017, d'un magnifique documentaire, pour lequel l'auteur-cinéaste a récolté de nombreux prix.
Épilogue logique, Ruth Zylberman a adapté son documentaire par un récit magnifique sur les traces du passé.
Exemplaire et indispensable.


Commenter  J’apprécie          240
Cette enquête sur l'histoire d'un immeuble, de sa construction à nos jours , s'arrêtant plus particulièrement sur la période de la seconde guerre mondiale et en particulier des rafales du Vel d'Hiv est à la fois passionnante, émouvante mais un peu difficile à suivre. Un plan des lieux, les lignées de certaines familles etc... auraient aidé à la lecture parfois trop complexe pour s'y retrouver. Par chance j'ai visionné le documentaire sur Arte ce qui m'a permis, à mi-chemin, de visualiser certains protagonistes et m'y retrouver bien que le livre est bien plus détaillé que le documentaire que ce soit sur le travail de recherche que sur les sentiments de l'autrice. Un travail de fourmi sur ce que les pierres peuvent conserver de l'Histoire, des drames mais aussi du quotidien de plusieurs époques et de ce que la mémoire humaine peut avoir effacé parce qu'inconnus, oubliés volontairement ou pas. Complexe pour d'y retrouver parmi ces quatre cages d'escaliers mais profondément touchant.
Commenter  J’apprécie          210
J'avais entendu Ruth Zylberman sur France Inter, et cela m'avait donné envie de lire son livre, donc quand je l'ai vu dans la dernière Opération Masse critique, je l'ai sélectionné et j'ai eu la chance de le recevoir, ce dont je remercie l'équipe de Babelio et l'éditeur.
Le moins que l'on puisse dire est que je n'ai pas été déçue, et que j'ai dévoré ce livre en passant par toutes les émotions possibles.
Il est à la fois passionnant par son côté enquête historique, et profondément émouvant au fur et à mesure que l'on découvre l'histoire des habitants du 209 rue Saint-Maur, en particulier bien sûr ceux qui y ont vécu pendant la guerre, mais pas uniquement car de tout temps cet immeuble a accueilli dans les 4 escaliers autour de sa cour intérieur une population d'ouvriers et d'immigrés aux trajectoires variées.
L'objet de ce livre est ainsi de faire l'autobiographie d'un immeuble sis 209, rue Saint-Maur, depuis sa construction au XIXème siècle jusqu'à nos jours, en insistant particulièrement sur ce qu'il est advenu des enfants juifs qui y habitaient pendant la guerre.
L'idée est à la fois originale et géniale, et le résultat de l'enquête est en même temps surprenant, instructif et émouvant.
Le livre est illustré de quelques photographies qui donnent un éclairage complémentaire à l'histoire, mais en le refermant, je n'ai surtout qu'une envie : voir le film de Ruth Zylberman sur les enfants du 209, rue Saint-Maur.
Commenter  J’apprécie          180
Un lieu, 209 rue Saint Maur, un nom, Jean-Baptiste Collemant, marchand de fruits. Celui-ci achète en 1840 un terrain à l'administration de l'hôpital Saint-Louis. le terrain est vendu en 1845 à un boucher qui fait construire un immeuble destiné à loger les classes populaires à l'emplacement du 209 rue Saint-Maur. Et voici que sort de l'oubli par la magie des mots et la volonté d'une femme à la recherche du passé, l'histoire d'un immeuble parisien et de ses occupants. Histoires souvent fugaces, parfois juste des noms, jusqu'au recensement de 1936 que Ruth Zylberman compulse en détail pour retrouver l'identité des locataires au moment de la seconde guerre mondiale. Parmi les personnes recensées figure une centaine de Juifs. La plupart d'entre eux viennent de Pologne qu'ils ont fuie pour la France, pays de la révolution et des libertés. Ils sont venus avec leurs enfants, puis d'autres enfants sont nés en France. Sur ces cent personnes, 52 ont été raflées et déportées à Auschwitz. Il n'y aura que 3 rescapés : Albert, Sonia et Isidore. Ruth Zylberman a enquêté méthodiquement. Elle a réussi à retrouver les survivants du 209 rue Saint-Maur : Odette, Albert, Berthe, Jeannine, Thérèse, Henri, Sonia… C'est leur histoire qu'elle nous restitue fidèlement : la peur, l'incertitude, les séparations violentes puis l'attente du retour. On s'émeut avec eux de leur mémoire retrouvée, des souvenirs qui jaillissent à la vue de vieilles photos ou à la lecture de fiches scrupuleusement gardées par l'administration. On se réjouit de leurs retrouvailles dans la cour de l'immeuble. On pleure sur les parents à jamais disparus et peu connus.
Ces visages, je les découvre avec émotion dans le documentaire réalisé par l'auteure avant la rédaction de ce livre qui offre une histoire plus complète et détaillée de cet immeuble au portail bleu qui renferme dans ses murs des centaines de vies minuscules, disparues dans la grande histoire mais arrachées au néant par la ténacité d'une femme à l'écoute de ce « murmure des âges » entendu depuis l'enfance dans les rues de Paris.

Commenter  J’apprécie          150
Un roman formidable, bouleversant, sincère et profond.
Partie de 0, Ruth Zylberman retrace la vie d'un immeuble de Paris, le 209 rue saint Maur, de 1850 à nos jours.
Travail de longue haleine: pendant 5 ans, elle recherche, décortique, détricote, lance des bouteilles à la mer, investigue et puis .. rencontre ces femmes et ces hommes, témoins ou acteurs de cette vie, théâtre d'épisodes douloureux de l'histoire contemporaine : les communes, les rafles des juifs, la précarité, ...
Un roman teinté d'humilité et d'humanité. Merci Mme Zylberman !
Commenter  J’apprécie          146
C'est l'histoire d'un immeuble parisien.

C'est l'histoire d'une enquête menée par Ruth Zylberman, écrivaine et cinéaste.

......s'agirait juste de choisir. Un immeuble. Un seul. Un immeuble avec lequel je n'aurais aucun lien et dont,
pourtant, je saurais tout. Je le filmerais, je l'écrirais aussi peut-être....

carte qui venait d'être éditée par l'historien Serge Klarsfeld et un géographe lyonnais : la carte des enfants déportés de Paris entre 1942 et 1944. Une carte de Paris comme je n'en avais jamais vu :

De retour chez moi, j'ai vérifié les noms associés à cette adresse sur la carte aux points rouges. Il y avait les noms de neuf enfants.

Neuf enfants déportés depuis un même immeuble, c'est beaucoup, mais ce nombre ne me surprend pas
vraiment : le 209 est grand, même si je ne sais pas encore combien de locataires y vivaient exactement. Surtout,
la rue Saint-Maur était au coeur du Yiddishland – Belleville,

Son enquête commence dans deux directions : histoire de la rue Saint-Maur et de l'immeuble, lui-même et recherche des enfants arrêtés, enfin  des habitants du 209 jusqu'à aujourd'hui.

le chemin de Saint-Denis, pas encore devenu rue Saint-Maur, (qui) menait, au Moyen Âge, de l'abbaye de Saint-Denis à celle de Saint-Maur-des-Fossés.

En 1840, l'emplacement du 209 n'était qu'un jardin. Avec les grands travaux du baron Haussmann on construisit un immeuble de rapport. Autour d'une cour, quatre bâtiments de six étages où s'installent des locataires modestes, des artisans avec leurs ateliers. Ce quartier ouvrier fut déjà en 1848 un "foyer d'agitation et un fief d'opposition au Second Empire". Elle retrouve une photographie de la barricade de la rue Saint Maur le 25 juin 48, la tradition insurrectionnelle  s'est transmise pendant la Commune de Paris. Au XXème siècle, l'immeuble se peuple de juifs polonais, tailleurs, coupeurs, tricoteurs, presseurs....Souvent communistes.

Comme tant de juifs exilés de sa génération, il avait laissé derrière lui la tradition et la religion de ses parents
pour adopter la nouvelle foi en un monde meilleur.

Mais tous ceux-là avaient quitté la Pologne parce que c'était un État fasciste. Et puis la France, c'était le pays des droits de l'homme, de la Révolution... dans leur esprit... comme ça devrait être dans l'esprit de tous les Français. »

Après la guerre, les anciens occupants déportés retrouvent (ou  non) le 209. Plus tard, d'autres locataires, portugais, algériens, marocains prennent le relais. l'immeuble se dégrade,  victime de squatteurs avant d'être mis en vente par appartements et rénové par une nouvelle population plus aisée qui regroupe les logements, transforme les chambres en lofts et vastes appartements.  Gentrification.  L'écrivaine fait un véritable travail d'archéologue, retrouvant au niveau des parquets les vestiges des anciennes cloisons.

L'essentiel de la recherche de Ruth Zylberman s'oriente autour des rafles du Vel d'Hiv. Elle retrouve des témoins et reconstitue la population d'alors

reconstitutions

Avec des meubles d'une maison de poupées, elle stimule la mémoire des survivants, maintenant des vieillards, mais enfants à l'époque. Tous ne désirent pas se souvenir et ont effacé toute trace de leur enfance au 209 quand ils ont perdu leurs parents, trouvé une famille d'adoption, parfois loin aux Etats Unis, en Australie.

Cette quête me fait penser à celle de Mendelsohn dans les Disparus. Comme lui, elle le conduit en Israël, en Amérique, en Australie..

Elle fait rencontrer les anciens voisins après des décennies, rencontre très émouvante. Une communauté de voisins se dessine. Solidarités : au quotidien comme dans les circonstances exceptionnelles des arrestations. Une famille cache les voisins juifs alors que le fils combat sous l'uniforme de la Wehrmacht. La concierge a convenu d'un code indiquant l'arrivée de la police en balayant la cour d'une certaine façon. Des rumeurs et commérages...Des accents resurgissent. Enormément d'émotions!
Lien : https://netsdevoyages.car.blog
Commenter  J’apprécie          121



Autres livres de Ruth Zylberman (1) Voir plus

Lecteurs (332) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3227 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}