Est-il possible de parler de ce livre sans se mettre à raconter sa vie ? Pour
Jean-Paul Dubois, c'est raté… Dans sa magnifique préface, l'écrivain toulousain dit tout le bien qu'il pense de ce livre mais, surtout, il parle de sa chienne. Il ne l'avait pas oubliée bien sûr : grâce à
Cédric Sapin-Defour, il l'a revue.
«
Son odeur après la pluie » est un journal de bord de la relation qui se forge entre le « maître » et « l'animal ». Un dominant et un dominé ? le schéma est trop simpliste… Apprentissage mutuel est un terme plus adapté. Difficile de ne pas être bouleversé par ce témoignage. L'auteur analyse cette tranche de vie pour lui, une existence pleine pour son chien, avec lucidité et intelligence. Alliant la précision du scientifique et la faconde du lettré,
Cédric Sapin-Defour entraîne le lecteur sur un terrain glissant. Celui du souvenir. En l'occurrence, le souvenir s'appelle Cayenne, notre dernier chien. Né à Mafate, il fut arraché de son paradis par la roublardise de nos deux derniers enfants et la complicité d'une copine qui, de ce fait, devint la marraine de cette petite boule de poil. Cayenne avait déjà cette bonne humeur et ce sourire qui ferait passer la Joconde pour Elisabeth Borne. (Pour ceux qui considèrent qu'un chien ça ne sourit pas, votre lecture peut s'arrêter ici, la suite est encore plus agaçante…)
Cayenne était un Royal Bourbon. le métissage, à la Réunion, n'est pas une spécificité humaine. Les hasards de la reproduction confèrent aux canidés « péi » des variations qui empêchent d'utiliser les habituelles taxonomies de Canis familiaris. le chien réunionnais est à l'espèce canine ce que
Dali est à la peinture : du surréalisme… Cayenne était un golden retriever bonsaï…
Cayenne fut le chien des enfants puis des petits-enfants. C'était tellement vrai que nous répondons depuis aux délicieux surnoms de Papy et Mamy Cayenne… Cayenne était aussi le chien du quartier, celui qui guidait les enfants vers l'arrêt de bus, d'abord les nôtres puis tous ceux de « Ravine Sèche ». Nous ne connaissions pas tous les voisins mais tout le monde savait situer la maison de Cayenne. Jeune, il ramena comme cadeau des dizaines de savates dérobées dans le voisinage où le pourcentage d'unijambistes semblait défier les lois de la statistique. Il nous fit aussi don de quelques poussins qu'ils ne croquaient pas mais que nous rendions plein de salive à une poule courroucée. Ce chien n'avait aucune éducation d'où une propension à faire des conneries proche du sublime. En cela, il semblait valider les griefs des opposants à la pédagogie positive.
Cayenne était un randonneur infatigable doublé d'un insatiable goinfre, existerait-il des transferts génétiques entre espèces lorsqu'elles partagent le même toit ?
Cayenne comptait des dizaines d'amis, humains, canins et même félins… Si les chiens participaient à des élections, lui, l'anar dans l'âme, aurait sans nul doute accumulé les mandats. Il faisait mentir l'adage selon lequel « les chiens sont comme les enfants et les pets, il n'y a que les siens que l'on supporte ». Par contre, il donnait raison à Desproges quand il disait « qu'il y avait plus d'humanité dans l'oeil d'un chien qui remue la queue, que dans la queue de le Pen quand il remue son oeil ».
Cayenne aura connu la métropole, la neige, l'eau fraîche, courir après les lièvres plutôt qu'après les tangues, les siestes devant le feu de bois. Il était déjà vieux mais le climat clément du Languedoc lui permit de prolonger son séjour parmi nous…
Le 13 août 2022, il a rejoint le OuahValhalla des chiens, la seule fois où il nous a fait du Thor.
En lisant «
Son odeur après la pluie », en imaginant Ubac qui a sa place au panthéon des illustres Rintintin, Belle, Milou, Rantanplan, Didier et tant d'autres, j'ai revécu notre histoire à Cayenne et nous, les bons et les moins bons moments. J'ai souri aux réflexions communes. Mes appréciations parfois divergentes du statut du chien dans une famille ou dans la société, n'ont en rien gâché ce plaisir de lecture parfois drôle souvent poignant. J'ai pensé à celles et ceux qui ont connu Cayenne, l'ont parfois hébergé, celles et ceux qui n'ont manifesté aucune gêne à la mention de notre tristesse, toutes celles et ceux qui ont en commun cet amour des clébards, toutes celles et ceux qui se régaleraient à lire «
Son odeur après la pluie »… Sandrines, Gaëtan, Hugo, Laurette, le Claude, Martine, Domien, Christiane, Jeff, Françoise, le Dumazérien, Sully et puis bien sûr Marraine Maryvonne.
Est-il possible de parler de ce livre sans se mettre à raconter sa vie ? Pour moi, Caramba encore raté !