Écrire sur la réserve, raconter sans réserve.
« Des siècles durant, on a écrit sur eux. Sans eux. Figures caricaturales d'une histoire fabriquée par les vainqueurs, ils n'avaient que le droit de se taire ». Dans sa collection Talismans, Dépaysage recueille la parole, l'histoire et la vie des peuples autochtones, racontée par ceux qui en sont issus.
Loin des souvenirs familiaux d'un
Michel Jean,
Louis-Karl Picard-Sioui nous embarque avec
Kitchike dans un patchwork littéraire jouissif, où le quotidien d'une réserve fictive du Québec va se trouver chamboulé par un fait divers revanchard. Une intrigue en forme de prétexte pour nous plonger dans l'incroyable galerie burlesque des habitants de la réserve, « fruit du plus ancien gang bang colonial que la terre a connu ».
Dirigée par le grand chef véreux Jack
Saint-Ours, le coeur de
Kitchike bat essentiellement autour de ses deux lieux phares : l'église (celle des catholiques ou celle des pentecôtistes) et le Gaz Bar station-service-café-bazar où dans la grande tradition de la transmission orale, l'histoire se forge, se raconte et bien souvent, se déforme. Pour le meilleur, le pire, mais surtout, le drôle et le burlesque !
De Jean-Paul Paul Jean-Pierre, l'homme aux multiples prénoms dont la maison est envahie de « trous noirs » se multipliant à toute vitesse, à Roméo Coeur Brisé et Albin Pinancien gardiens des âmes de la nation, en passant par Madame Paul qui joue les aboyeuses pour annoncer avec humour et insolence chaque nouvel entrant au Gaz Bar sans oublier la bande de pieds nickelés associés aux magouilles de
Saint Ours, le microcosme de
Kitchike est une bombinette en fusion, qu'une étincelle suffira à faire voler en éclat.
Le verbe est haut à
Kitchike, car comme le dit Jakob le Vaurien, « faut pas m'en vouloir, l'ironie c'est tout ce qu'on a ici pour pimenter notre vie ». Mais ce ton burlesque et enlevé n'est que le pendant d'une vie quotidienne socialement et économiquement complexe, dans cette réserve où la double peine des passages français et anglais n'a bien souvent laissé que désespoir et corruption.
Heureusement, il reste l'histoire et la tradition indienne, riche en imaginaire et en spiritualité, qui se poursuit et permet à l'auteur de superbes chapitres où l'esprit s'envole, où la lumière apparaît, où la musique révèle sa force cosmique et où la poésie embellit et réécrit sous un angle différent un quotidien souvent trop sombre, marqué par le souvenir de Diane au destin autrefois tragique.
Un dernier mot sur la langue, pour partie conservée dans sa rédaction originelle, qui surprend au début mais à laquelle on s'habitue très vite et qui devient alors un élément indispensable du plaisir comique jubilatoire de cette grande comédie où
Louis-Karl Picard-Sioui se lâche sans aucune réserve !
Cette chronique t'a donné envie ? Câlisse ! Ne sois pas un grand crisse de blanchon-de-marde et que tes bottines suivent tes babines ! Fais pas ton pêteur de coches : file asteur et dépense quelques piasses pour
Kitchike. Sûr qu'tu vas l'caler c'te fin de semaine avec plaisir !