ATTENTION ! Je ne parle ici que du texte seul de
Charles Perrault et pas des multiples et innombrables versions illustrées plus ou moins remaniées quant au texte initial.
Voici donc l'un des plus célèbres
contes de Perrault, le troisième qu'il ait écrit et le premier, à proprement parler, conte "de fées" aussi bien pour son auteur que pour la littérature de langue française.
Le fait que plus de trois siècles après sa première parution ce
conte soit encore régulièrement repris au cinéma ou sous diverses formes littéraires ou spectaculaires suffit sous doute à prouver son succès et la durabilité de son impact.
Le fait qu'il ait initié la mode de tout un genre littéraire sert également à juger de son aura.
L'histoire, battue et rebattue, narre les déboires d'un couple royal dont la sublime reine se meurt et sur son lit de mort fait jurer à son royal époux de ne point se remarier avec une quelconque prétendante dont la beauté serait inférieure à la sienne, espérant par là qu'il ne se remarierait point tout court.
Après une brève période de deuil, le fougueux monarque se sentant du feu dans les veines et peut-être même ailleurs se lance en quête d'une digne prétendante mais... en vain.
Le subtil stratagème de la défunte épouse serait presque imparable si elle n'avait au préalable donné naissance à une fille en tous points semblable à elle et, de l'avis de tous, supérieure encore.
Peu regardant sur les risques héréditaires d'un tel appariement incestueux, le roi est tout disposé à épouser sa propre fille, laissant la frêle jeune femme dans un effroi sans nom.
L'adorable enfant se rend alors près d'une marraine, sans doute un peu foraine, un peu bohème et un peu magicienne. Cette dernière conseille à la princesse de demander au roi des robes d'une étoffe telle qu'il ne s'en peut trouver.
Mais, fort d'une richesse sans borne issue de l'anus luxuriant d'un quadrupède à longues oreilles dont les fientes à haute valeur vénale ne font braire personne, le roi parvient sans peine à accéder à chacune des demandes de sa fille en matière textile, quelque improbable qu'elle soit.
La marraine, devant ces échecs stratégiques à répétition, conseille alors le tout pour le tout, demander carrément la toison de l'âne pondeur aux vertus alchimiques intéressantes, certaines que le roi hésitera à sacrifier sa source unique de guano d'or.
Or (c'est le cas de le dire), si elle manie fièrement la baguette, cette fée ne vaut pas la première boulangère venue quant à la psychologie humaine et royale en particulier car le magnanime souverain n'hésite pas à faire remettre à sa fille la crasseuse peau du baudet au croupion fertile quitte à y perdre du même coup l'opulence dont il parait sa cour.
Fuir ! Fuir ma belle ! Voilà ce qu'il te reste à faire si tu ne veux pas coucher avec ton géniteur.
Fuir, couverte de son drap de honte ; fuir, couverte de cette vilaine
peau d'âne qui la dissimule aux regards ; fuir le plus loin possible au plus sombre de n'importe quel bouge infâme quitte à se faire traiter de souillon.
La semaine durant elle laisse les senteurs troubles autant qu'animales envelopper son corps pour dissuader quiconque de risquer une approche. Mais les dimanches venus, recluse au fond de sa chambrette glauque, après un brin de toilette elle revêt les joyaux de ses plus belles parures, si péniblement acquises.
Je vous laisse encore la fin en suspens, où il sera une nouvelle fois question d'essayages, un peu à la manière de
Cendrillon.
On reconnaît clairement dans certains passages la parenté entre
Peau D'âne et plusieurs autres
contes :
Cendrillon, bien sûr comme je viens de le mentionner, mais aussi
La Belle Au Bois Dormant (la reine jalouse) ou encore
Les Fées (la fille qui accepte son sort sans sourciller).
Dans ce travail précoce sur le conte, Perrault, avec cette forme rimée et cette morale, reste assez proche du genre la fable, mis en pleine lumière à l'époque même par l'inévitable
La Fontaine. Il saura s'en détacher un peu par la suite avec ses histoires en prose des
Contes de Ma Mère L'Oye.
Ce conte a peut-être tout pour plaire, c'est un fait, mais il ne me plait guère et la raison en est probablement sa morale qui me fait bondir.
Très empreinte d'abnégation chrétienne, du nécessaire devoir d'accepter sans broncher de se laisser trainer dans la boue si nécessaire, que la vertu est toujours récompensée (sous entendu, si ce n'est sur Terre, ce sera au Ciel), bref, les bons sermons à deux balles distillés par l'Église du temps de sa toute puissance et qui m'horripilent au plus haut degré.
Voilà pourquoi j'émets quelques lourdes réserves sur ce conte des origines, pas mal pour le reste, mais pas non plus sensationnel. Néanmoins (et oreilles en plus), je coiffe mon bonnet d'âne pour vous bien signifier que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire pas nécessairement plus que ce qui sort d'un tube digestif de quadrupède — normal j'entends — à savoir, pas grand-chose.