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EAN : 9782072716805
608 pages
Gallimard (31/08/2017)
3.89/5   19 notes
Résumé :
Livre "monstre" venant d'un auteur dont on savourait jusqu'ici le goût de la sonate, Le cénotaphe de Newton ne s'éloigne qu'en apparence du registre intime. Fidèle à son amour de la Mitteleuropa, Dominique Pagnier se fait le voyageur d'une histoire où l'autobiographie amoureuse croise la malédiction totalitaire. Le narrateur pourrait bien être un petit neveu de l'homme sans qualité" de Robert Musil. Un fils errant à la recherche du père, un esthète épris de théâtre ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Voilà une écriture dont je situe le style néo-palladien, concentrique et épuré. Il y a là un mystère dès l'entrée du livre comme il en réside sans conteste dans la représentation d'un cénotaphe ; il y règne une âme ou une multiplicité d'un seul, être ou caractère à rechercher. Si je songe à Newton, j'y vois propulsé par grand vent sur la crête des vagues, en un point de vue assez élevé, un arc-en-ciel surfant sur des embruns, fuyant et feu follet. Si l'écriture n'est pas en soi artistique elle est illustrée d'art, architectural ou scientifique ce qui agrémente bien la partie secrète des personnages, en même temps que la chose occultée d'un art qui sommeille.
Nous les recherchons l'art et l'homme, à travers les fiches et les cahiers de Götz de la Stasi, et les retrouvons bientôt sous la plume de Dominique Pagnier, en deçà et au-delà des lignes, souterraines ou de démarcation avant et après l'édification d'un mur en RDA. Nous fréquentons les Arius au nom évocateur, ascendants, descendants d'une famille d'aérostiers, et un fils qui s'accorde à leurs pas, parcourant sur les traces du père la partie Austro-hongroise en particulier, l'Europe centrale plus généralement et en partie orientale, l'Ukraine et la Russie.
Mais il n'y a pas que l'attrait du germanisme qui le guide vers un port d'attache, il y a aussi celui du coeur et là encore il s'interroge…
― Dans sa quête de femmes allemandes ou autrichiennes, mon père lui-même ne recherchait-il pas un paysage, l'émanation d'un tuf ? (p.114)
Nous gravitons alors vers une composition théâtrale et romanesque qui emprunte au temps réel une grande force représentative des évènements.
C'est donc un livre qui ne manque pas de charme qui a de la consistance et qui pour finir pèse son poids en termes d'agrément.
Il me reste en mémoire, à l'évocation du Palais de la Reine de la nuit de Karl Friedrich Schinkel, un ciel bleu étoilé sous une demi-sphère cylindrique illustrant le cénotaphe, comme une communion entre la mécanique esthétique et l'intégration des personnages, fondus à l'intérieur même de la conceptualisation, et créant une correspondance entre le faire et l'être ; fut-ce un univers carcéral, il y a toujours de l'un à l'autre, un réel possible ou intériorisé, un deus ex machina dira l'auteur.
Je remercie les Éditions Gallimard ainsi que Babelio pour cette heureuse rencontre.
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Pour la prochaine rentrée littéraire, Gallimard a choisi de mettte en avant le dernier roman de Dominique Pagnier. Choix courageux s'il en est : oeuvre d'un écrivain sexagénaire plus connu pour ses poèmes que pour ses récits, "Le Cénotaphe de Newton" est un épais volume de près de six cents pages d'un abord difficile.

Le résumer est une gageure. La vie de son héros traverse le siècle. Né en 1900, mort en 2001, Manfred Arius est le père de la belle mère du narrateur. Happé par le tourbillon de la Première guerre mondiale, il fut prisonnier en Asie centrale avant de rejoindre les rangs du Komintern. Pendant la Seconde guerre mondiale, il rencontre en captivité en Allemagne le père du narrateur qui l'aide à s'évader. Ils se retrouvent en RDA au plus fort de la Guerre froide où ce dernier fait la conquête de la fille de son compagnon de captivité et la fait passer à l'ouest. Piégé par la Stasi, Manfred Arius en deviendra un informateur sous le nom de code Newton.

L'histoire vous semble compliquée ? Ce n'en est qu'une facette. Car le récit se décentre bientôt pour suivre le destin de Jeannette, la fille que Manfred, devenu professeur d'art, eut tardivement en 1968 avec une de ses étudiantes. La vie de Jeannette, c'est l'histoire de l'agonie de la RDA - qu'a bien connue Dominique Pagnier et son double romanesque : l'exécration mêlée de fascination à l'égard de la RFA, la révolte punk des plus jeunes, la toute puissance du système policier.

Ce système policier omniscient est incarné par Helmar Götz, le troisième héros du roman. Sa médiocrité n'a d'égale que son professionnalisme. La surveillance de Manfred Arius lui a été confiée. Elle tourne bientôt pour lui à l'obsession et le met sur les traces de Jeannette dont il tombe follement amoureux.

Ce troisième volet du roman fait bien sûr penser à "La Vie des Autres" l'exceptionnel film de Florian Henckel von Donnersmarck. Mais il ne s'y résume pas. Par son sujet, par son volume, par son ambition, "Le Cénotaphe de Newton" vise plus haut. Il m'a rappelé "Zone" de Mathias Énard ou "Waltemberg" de Hédi Kaddour, deux livres vieux d'une dizaine d'années qui m'ont durablement marqué... alors que j'en ai paradoxalement quasiment oublié le contenu.

Comme Mathias Énard, comme Hédi Kaddour, Dominique Pagnier nous entraîne dans une histoire (trop ?) foisonnante où les destins individuels des personnages sont autant de miroirs tendus à la grande histoire. La construction de son roman qui saute d'une époque et d'un personnage à un autre force l'admiration. On peut essayer de s'y retrouver en dressant un arbre généalogique ou en prenant des notes, histoire de comprendre qui est qui et qui fait quoi. On peut aussi s'y perdre.
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C'est avec un peu d'appréhension que j'ai engagé la lecture de ce livre de six cents pages, dont le titre pourrait faire craindre un traité mystico-scientifique, et dont l'auteur, Dominique Pagnier, m'avait semblé plutôt devoir sa renommée à des textes poétiques qu'à des romans. Et pourtant, le cénotaphe de Newton est une véritable fiction romanesque ancrée dans le monde réel.

Pas facile à lire pour autant ! Complexe, nébuleuse, mais fascinante, cette fiction romanesque met en scène un kaléidoscope étourdissant de personnages qui s'inscrivent dans une Histoire authentique, multidimensionnelle. A la verticale, prenant sa source au dix-huitième siècle, le livre se nourrit de temps forts : la révolution française, la révolution russe, la guerre d'Espagne, le nazisme et les camps, le communisme soviétique et d'autres camps, jusqu'au « Tournant » qui, pour les Allemands de l'Est, accompagne la chute du Mur. A l'horizontal, il part de la France et sillonne l'Europe Centrale de long en large, débordant même parfois ses frontières orientales, faisant étape dans des villes évocatrices, Berlin, Potsdam, Vienne, Moscou, Odessa, Samarcande... Et l'auteur nous embarque, sans logique d'ordre apparente, d'un lieu à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un instant à l'autre, d'un monde à l'autre.

La fiction s'inspire du rêve d'un architecte du dix-huitième siècle qui voulut honorer le génie de Newton, le maître de la gravitation, par un projet utopique et démesuré, dont la géométrie aura influencé une généalogie d'architectes... de quoi alimenter la gnose de certains de mes amis !

Le narrateur, un enseignant français amateur de la culture, des paysages et des femmes germaniques, en quête d'un père disparu avec ses secrets, en vient à se passionner pour le parcours d'un Allemand, Manfred Arius, né et mort avec le vingtième siècle, issu d'une vieille famille prussienne d'architectes renommés. Un idéaliste fidèle aux idées communistes depuis la Révolution d'octobre, membre du Komintern, citoyen de la République Démocratique Allemande jusqu'à la réunification. Ses aînés auront signé des édifices à l'architecture théâtrale ; lui, c'est dans les décors de théâtre qu'une sorte de malédiction le confinera. Tous auront rêvé en vain de construire un jour le cénotaphe de Newton.

Une malédiction dans la lignée des Arius ? le destin de Jeanette, fille que Manfred eut sur le tard, semble le prouver. Son comportement rebelle d'artiste punk constitua une menace pour le merveilleux socialisme est-allemand. Ce fut en tout cas la conviction d'un dénommé Götz, capitaine de la Stasi, l'abominable police politique nationale. Un homme étriqué, maniaque et malsain, auteur de milliers de fiches sur Manfred et Jeanette, enrichies par des cahiers tenus avec obsession bien après le démantèlement de la Stasi. L'ensemble, opportunément récupéré par le narrateur, lui aura servi de matière première pour l'élaboration de son roman, en complément des témoignages des proches des Arius.

Un livre constellé de symboles ; à chacun de les déceler et de les interpréter. le cénotaphe : une forme de sphère, sinistre comme une prison vide ; ou une forme de ballon, léger comme une évasion ; ou encore une forme de bulle, éphémère comme une utopie qui finit par exploser – flop !... – pour avoir trop gonflé, tel un rêve dont l'intensité vous réveille en sursaut et dont le souvenir s'efface aussitôt pour laisser place aux réalités habituelles. Et tant mieux, car les architectures monumentales, gigantesques, oniriques sont souvent le fait des totalitarismes.

Comme tous les romans construits en puzzle, le cénotaphe de Newton est un livre d'accès difficile, qu'il est intéressant de relire en le feuilletant après l'avoir fini, une fois qu'on en a vu toutes les pièces et qu'on en a alors compris la trame globale et la chronologie.

C'est l'oeuvre d'un érudit, amateur d'arts éclairé, cohérent et clair dans sa pensée. L'écriture est magnifique, jamais grandiloquente, toujours simple, coulant de source, avec de temps à autre des tournures surannées, l'emploi de mots désuets ou inusités. Cela fait partie du charme de ce livre, qu'il est commode de lire sur liseuse, quand on en maîtrise les fonctionnalités.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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"Esprit sublime! Immense et profond génie! être divin! Newton! Accepte l'hommage de mes faibles talents… Ô Newton!… J'ai eu l'idée de t'entourer de ta découverte, et ainsi, d'une certaine manière, de t'entourer de toi-même."
« Comme en témoignent son envolée inhabituellement lyrique et son projet sublime, Boullée, comme bien des membres de sa génération, était fasciné par la physique newtonienne. Quant à son travail, il illustre à merveille les caractéristiques de l'architecture à la fin du XVIIIe siècle : de grandes masses simples, exemptes de toute décoration inutile, et "une architecture parlante", c'est-à-dire des bâtiments dont les formes expriment la fin. le sarcophage de Newton repose sur un catafalque surélevé, et l'effet de nuit résulte de trous percés dans la voûte qui filtrent la lumière naturelle, donnant l'impression d'étoiles qui brillent à travers la lumière. L'effet de jour est créé par une lampe placée dans une sphère armillaire suspendue au centre du globe. ( source Bnf ) « ...
Thomas More avait ,dans Utopia , projeté son rêve : le rêve d'une île de sagesse.
Un lieu qui n'existe pas....Une arche de félicité et de paix, comme le dernier navire d'une nouvelle humanité.
Il ne fut pas le seul à projeter ses rêves. Il faut bien un peu rêver aux sommets pour espérer toucher le ciel....
Le cénotaphe de Newton...un roman qui, personnellement m'a embraquée, transportée...
" Hast du etwas Zeit für mich,
dann singe ich ein lied für dich
von 99 Lufballons
au irhem Weg zum Horizont. "

"Si tu as un peu de temps pour moi,
Je vais te chanter une chanson,
celle des 99 ballons
et de leur envol vers l'horizon" ...
Alors, le temps le prenons. Saisissons le, à défaut de pouvoir l'arrêter.
La vie est parfois ...un rêve parfois... une malédiction.
Le monde est un théâtre. "Deus ex machina"...ou... "diabolus ex machina" .
Que devient une utopie lorsqu'elle tombe entre de mauvaises mains ?
que devient elle ? une folie, une effroyable machinerie ?
comment y survivre ?

Considérerons nos villes, nos temples de pierre, nos colonnes, nos places se vider, se remplir, nos murs s'ériger, se dresser, se lézarder, s'effondrer, voyons nos avenues défilées...défilées dans nos mémoires effilochées.
les vainqueurs, les vaincus...qu'en restera t il lorsque les siècles se seront succédés ?.
Que lira-t-on dans les vestiges des ruines ?
murmures fantômes dans le silence des murs...
Théâtre de papier, théâtre d'ombres, lanterne magique, cénothaphe, anamorphose, peinture, diorama... En filigrane revient le nocturama de Sebald. Jacques Austerlitz , tu n'es jamais très loin.

Images, photos, cinéma journaux , rapports, archives, ...informations, délations... à l'affiche de nos vitrines brisées..que deviendra le reflet du passé?
Caméra, camera obscura, qui a les clés de toutes nos cellules photographiques?
De l'autre côté du mur, de l'autre côté de la rue. Question d'optique, d'objectif
Vienne... un jour, Berlin....la nuit.
Paris, Moscou, Postdam, l'Espagne, Odessa, Prague, Auvers sur Oise...
Les hommes passent à la vitesse de la lumière.
Des coups de foudre, des coups de tonnerre en forme d'éclairs...
comme les étoiles, filantes, brillantes, brûlantes. On les regarde et déjà elle ne sont plus.
Les décors sont les mêmes. Toutes les questions portent en elles une lumière.
Question de jour, question de guerre, question d'électricité ou de ballon dans les airs.
La symphonie restera-t-elle inachevée ? Die Unvollendete...
Comment ne pas penser aux prisons imaginaires de Piranese, à Piranèse (1720-1778) - graveur des antiquités romaines ces prisons de théâtres, à la folle démesure de tous nos enfermements, de nos abymes.
Comment ne pas revoir ses gravures évoquant les antiquités romaines ?
...Newton...tout gravite.
Gravité vers un centre, attraction universelle.
Les choses s'attirent. Attraction gravitationnelle, tout se rejoint.
Quel est donc le grand organisateur du monde ?
Newton, ou sa découverte ?
Quel est le plan ? Quel est le sens, la loi de la chute des corps ?
Utopia...Germania...La démesure. La colossale, effroyable démesure.
C'est le roman des utopies. de toutes nos utopies :
Amour, passion, politique, idéologie, famille, enfance.
Un jeu de miroirs , un véritable jeu de massacre. l''Histoire ne s'arrête pas.
" c'est sur le palier du deuxième étage d'un immeuble de la rue Tiquetonne un jour de juillet 1783 que toute cette histoire a commencé..."
il est 1997, à l'horloge du monde lorsque nous tournons la dernière page de ce roman. Rien ne peut arrêter les anguilles du monde.
C'est l'histoire d'hommes et de femmes, d'une famille recomposée, décomposée, éparpillée. Des vies que L Histoire transformera en destins.
Satanés, sacrés, fichus destins.
C'est plus de trois cents ans de notre histoire, de notre histoire européenne que Domique Pagnier nous fait traverser.
Ville, architecture, mémoire, reflet, miroir...
Un plan, un cadre...
Un carré de tissu, une fleur, un disque rayé, une musique, un parfum, un prénom, une carte témoin du tarot des destins ....et si tout était lié, relié par une force qui nous échappe ? Et si tout cela composait....
Newton...Boullée...et puis le grand Tournant. Tournant de l'histoire qui désaxe les pôles. L'axe est/ouest n'est plus. L'équilibre reste à imaginer.
Quels sont nos murs, que sont nos rêves....
"Jusqu'à Gutembreg, l'architecture est l'écriture principale, l'écriture universelle"
disait Victor Hugo,
alors quelle histoire, quel fantôme marchent dans nos ruines ?
A la lecture de roman me sont revenus non seulement le roman de Sebald en mémoire mais également deux livres d'Alain Fleisher, ( étonnant ce rapprochement constant de l'image et de l'écrit...) : "sous la dictée des choses" et "Alma Zara".
Oui étrange et étonnant, comme soudain on repense également aux histoires de fantômes pour grandes personnes, à la survivance que contiennent les images...
Comme si tous cela répondait à une attraction gravitationnelle.
Mémoire, art, utopie, survivance, témoignage...Voilà quelques uns des grands sujets qui jalonnent ce roman.
Beaucoup de questions, et un besoin encore plus irrépressible de parcourir le grand Atlas mnémosyne du monde , comme avait pu le composer Aby Warburg.


"Heute zieh ich meine Runden
Aujourd'hui je fais mes rondes
Seh' die welt in Trümmern liegen
Je vois que le monde est en ruine
Hab' 'nen Luftballon gefunden
J'ai trouvé un ballon
Denk' an dich und lass' ihn fliegen
Je pense à toi et je le laisse s'envoler"
99 Luftballons....
Le cénotaphe de Newton, de Dominique Pagnier aux éditions Gallimard, rentrée littéraire 2017 : un étonnant moment de lecture, une quête, "une métaphore vertigineuse".
Article complet sur : https://dutremblementdesarchipels.blogspot.fr/2017/08/le-cenotaphe-de-newton-de-dominique.html

Opération Masse critique aout 2017 Babelio en partenariat avec les éditions Gallimard.
Astrid Shriqui Garain.
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Comment résumer un tel livre, un livre monde, qui se déroule sur plusieurs siècles, sur plusieurs continents, avec des dizaines de personnages ? Quel en est le sujet principal ? Les personnages essentiels ? Les thèmes centraux ? Ce serait une gageure que d'arriver à le formuler.

Ce livre est pour moi un voyage magnifique, et dans plusieurs dimensions en quelque sorte. Dans le temps et dans l'histoire : la Révolution française, la première guerre mondiale, la Révolution russe, la Guerre d'Espagne, le 3em Reich, la RDA…..j'en oublie forcément. Dans l'espace aussi, entre la France, l'Autriche, l'Allemagne, la Russie, la mystérieuse Asie...Dans l'art, l'architecture, la peinture, la musique, le théâtre, le cinéma, la photographie…

Mais avant tout un voyage dans les rêves, dans les rêves qui habitent à l'infini les personnages, comme si l'impossible, l'insaisissable, ce qui est plus loin, seulement entrevu était plus vital, plus consistant que le tangible, le présent. le rêve que représente ce Cénotaphe de Newton, imaginé par l'architecte Boullée au XVIIIe siècle, jamais construit, mais qui va continuer à nourrir les rêves, à travers le temps et l'espace. Et tout particulièrement ceux des membres de la famille Arius : Konstantin, Theodor, Nelson, Karl Friedrich et Manfred enfin, le dernier rejeton mâle de la lignée, dont la vie va occuper un nombre très important des pages du roman. Ils imaginent, créent, inventent, des bâtiments, des images, des décors, des ballons….rêvent à réaliser des projets fous comme le Cénotaphe de Newton, ou le palais d'Orianda, quitte à risquer leurs vies.

Manfred va rêver aussi à des femmes, croisées un moment, d'autant plus attirantes qu'impossible à retrouver, comme Jaanika Trotha-Treyden, fille d'un baron balte et d'une princesse oghouz. Mais il va surtout rêver à changer le monde, s'engager dans le communisme, participer à la guerre d'Espagne, à la résistance. Pendant ce temps, des hommes vont organiser des guerres, perpétrer des massacres, des pogroms, créer des camps d'extermination. Embraser l'Europe et le monde, asservir, détruire, tuer, humilier. Manfred, comme ses ancêtres, va croiser leurs routes sanglantes, être plus qu'un spectateur, même s'il est avant tout un rêveur.

Sa vie, comme celle de sa plus jeune fille Jeanette sera finalement consignée, répertoriée, figée, dans les rapports de la Stasi, dans ses moindres détails. Dans un soucis maniaque de ne rien laisser échapper, dans l'illusion de pouvoir saisir l'essence d'un être dans les faits bruts. Mais ses rêves, ce qui ne peut que difficilement s'expliquer ou se mettre en mots, échappent au final à l'enquêteur le plus consciencieux. Ou le rendent fou dans leur impossible poursuite, comme l'est devenu Helmar Götz, l'officier en charge des dossiers Arius, lui aussi parti au final dans un rêve étrange et dangereux.

De nombreux livres ont tenté d'embraser l'histoire du XXe siècle, de la civilisation européenne, de raconter les destins d'une famille dans les vicissitudes liées aux événements historiques. Peu sont arrivés à un résultat aussi passionnant, vertigineux, troublant. On peut tenter d'expliquer les raisons de ce succès par une splendide écriture, l'immense érudition, une maîtrise de la structure romanesque remarquable de Dominique Pagnier. Certes. Mais tout cela n'explique rien au fond. Peut être tout simplement qu'il est aussi un rêveur, et qu'il a le don rare de pouvoir faire partager ses rêves à ses lecteurs.
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critiques presse (4)
LaCroix
08 décembre 2017
Le nouveau texte de Dominique Pagnier est une grande traversée de l’Europe, du rêve des Lumières à la chute du Mur.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
10 novembre 2017
Une utopie d'architecte, la RDA des années 1980, un projet d'aérostat, un apprentissage amoureux : le roman de Dominique Pagnier brasse tout ça et plus encore, à la recherche d'un monde disparu derrière le Rideau de fer.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
03 novembre 2017
L’écrivain retrace l’histoire d’une dynastie imaginaire d’illustres Allemands, en Prusse puis en RDA, dans un roman foisonnant, parfois splendide.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
06 septembre 2017
Dominique Pagnier livre une fresque en disciple français de Robert Musil.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Ayant fait mienne cette idée du dramaturge anglais Marlowe : "Il n'y a pas de beauté sans quelque chose d'étrange", je suis peu sensible à la beauté canonique des femmes : m'intéresse toujours qu'un léger défaut, un léger déséquilibre dérange la perfection et, dans le cas de cette femme, c'étaient cette monture et des verres épais qui enchâssaient comme les veines d'une agate des yeux très bleus.
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Je crois qu'entrait dans la composition de ce bleu quelque chose de la majesté de mon père, de sa générosité, et dans sa pureté quelque chose de son absence. Mais loin de toute subjectivité, je sais aussi que ce bleu existe en dehors du charme paternel ; il m'arrive même de penser que mon père, plus tard Anke n'auront été que des truchements destinés à me permettre d'aller à la rencontre de ce bleu oriental. Non, jamais je ne serai guéri de ce bleu allemand.
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Oui, c'est devant le temple grec de la Neue Wache que j'ai compris qu'un vrai père doit être absent à ses enfants ; ce n'est qu'ainsi qu'il les fait rêver. Et moi, dans le chaos d'une enfance qui s'était terminée mystérieusement, emprisonné par des murs plus résistants que celui de Berlin qui me cernaient alors, je n'avais eu plus contre les amertumes, le cafard, que ces timbres, comme de minuscules fenêtres ouvertes sur le pays matinal de mon père.
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J'aurais dû avoir le courage de refuser le manuscrit d'Arius. Mais bien avant déjà j'étais désigné pour être un de ceux dont les mauvais choix allaient mettre en branle la machine qui devait conduire à la catastrophe.
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Il y a maintenant des gens qui paient des écrivains publics pour les aider à rédiger leurs Mémoires à destination de leurs descendants. Eh bien, le MfS est l'artisan de la plus vaste entreprise littéraire de tous les temps ; les deux tiers de la population est-allemande y ont collaboré pour écrire avec une minutie jamais égalée les vies de dix-huit millions d'individus...
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