Situé dans une zone imaginaire d'Amérique du Sud , le roman semble pourtant se passer dans des lieux réels.
Vera Candida se situe au centre du récit et pourtant sa mère Violette, sa grand-mère Rose occupent une place très importante également, ainsi que ses sentiments envers sa fille Monica Rose.
Ces trois femmes présentent un point commun, elles élèvent un enfant sans pères.
Rose se laisse séduire par un pêcheur. Violette se laisse séduire et tombe enceinte de Rosa Candida qui sera élevée par sa grand-mère. Vera Candida quittera l'île, pour échapper à son destin .
Les trois femmes veulent assumer leur destin, afficher une liberté mais sont habitées régulièrement par une grande mélancolie.
C'est avant tout un roman d'ambiance où l'écriture est très imagée. Ne cherchons pas les actions mais l'atmosphère et l'humour sous un certain détachement.
J'ai lu l'histoire en 2012 aux éditions "J'ai lu" avec une magnifique couverture.
Je me souviens d' avoir lu certains passages à voix haute tellement je les trouvais étranges et agréables à la fois.
Ne nous méprenons pas, certaines scènes sont cruelles et ne font pas la part belle aux hommes.
J'ai noté tout cela sur une petite fiche car à ce moment, je n'étais pas encore membre de Babelio.
Je me souviens cependant de nombreux détails et surtout du départ de Vera Candida .
Ma sympathie allait vers le courage de la grand-mère, Rose et de son attitude envers sa petite-fille.
Je commençais une relecture partielle du livre et finalement, j'ai tout relu car certains détails m'avaient échappé.
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Lecture Jeune, n°132 - décembre 2009 - « Rose Bustamente, la grand-mère maternelle de Vera Candida, avant de devenir la meilleure pêcheuse de poissons volants de ce bout de mer, avait été la plus jolie pute de Vatapuna ». Dans une Amérique du sud imaginaire, baroque, colorée et moite, trois générations de femmes affrontent leur destin : la violence des hommes, la maternité non choisie... Vera Candida, petite fille de Rose, choisit de rompre avec ce qui ressemble à de la fatalité : à 15 ans, enceinte, elle quitte l'île de Vatapuna. Loin des démons du passé, elle tente de prendre son destin en main, élève sa fille Monica Rose, et rencontre Itxaga qui tombe fou amoureux d'elle. Forcément, elle retournera à Vatapuna... Fable initiatique, saga familiale, le souffle romanesque de Ce que je sais de Vera Candida emporte... La langue de Véronique Ovaldé est sonore et joliment ornée ; elle construit un univers teinté de fantaisie et de merveilleux qui réjouit dans l'avalanche de textes « réalistes ». L'auteur nous offre ici des personnages hauts en couleurs, inoubliables ; des femmes fortes, en lutte et si vulnérables (l'ouvrage ne devait-il pas s'intituler Vies amazones ?). Les jeunes lecteurs ne s'y sont pas trompés en attribuant à Ce que je sais de Vera candida le 18e prix Renaudot des lycéens. Hélène Sagnet
Lire la critique sur le site : Lecturejeune
Tour à tour romantique, nostalgique et cruelle, la romancière excelle à remonter le cours douloureux de la mémoire, à rendre les palpitations du coeur et les frémissements de l'âme.
Lire la critique sur le site : LesEchos
[ Incipit ]
PROLOGUE
Le retour de la femme jaguar
Quand on lui apprend qu'elle va mourir dans six mois, Vera Candida abandonne tout pour retourner à Vatapuna.
Elle sait qu'il lui faut retrouver la petite cabane au bord de la mer, s'asseoir sur le tabouret dehors et respirer l'odeur des jacarandas mêlée à celle, plus intime, plus vivante, si vivante qu'on en sent déjà poindre la fin, celle pourrissante et douce de l'iode qui sature l'atmosphère de Vatapuna. Elle se voit déjà, les chevilles sur le bord d'une caisse, les mains croisées sur le ventre, le dos si étroitement collé aux planches qu'il en épousera la moindre écharde, le moindre nœud, le plus infime des poinçons des termites géantes.
Tout au long du voyage en minibus qui l'emmène du port de Nuatu jusqu'à Vatapuna, Vera Candida somnole en goûtant à l'avance la lenteur du temps tel qu'il passe à Vatapuna. Vera Candida sait qu'en revenant à Vatapuna, elle récupérera son horloge. Celle qui ne ment jamais, qui ne fait pas disparaître comme par un enchantement malin les heures pleines, celle qui ne dévore rien et égrène avec précision, et une impartialité réconfortante, les minutes, qu'elles soient les dernières ou qu'elles ponctuent une vie encore inestimablement longue.
Il y a longtemps de cela, Vera Candida a perdu son horloge.
C'est arrivé quand elle a quitté Vatapuna vingt-quatre ans auparavant. Elle avait pris dans le sens inverse le même minibus que celui-ci - moins rouillé sans doute, moins rafistolé avec des tendeurs et du gros scotch noir, moins bringuebalant et bruyant, moins sale, la route n'était pas encore visible sous les pieds quand on soulevait le tapis de sol, les pneus étaient moins lisses, mais le chauffeur était le même, des grigris jumeaux se balançaient au rétroviseur, juste empoussiérés maintenant et plus ternes, la radio diffusait déjà une soupe inaudible et criaillante, une sorte de continu crachotement de sorcière.
Vera Candida est seule dans le minibus, elle n'a plus de bébé dans le ventre, mais quelque chose de moins étranger et de plus destructeur, et elle n'a plus quinze ans.
Terminus, gueule le chauffeur.
Vera Candida s'empare de son sac à dos, elle le glisse sur ses épaules, les sangles lui blessent la peau, elle grimace, se dit, C'est ainsi que je sais que je faiblis, le type la regarde descendre, il se penche vers elle quand elle est sur la chaussée :
Je vous connais ? lance-t-il.
Elle se retourne et le fixe. Il paraît gêné. Il dit :
Je croyais que je vous connaissais. Mais je vois tellement de gens.
Il fait un geste rond qui englobe la rue et les alentours déserts.
Vous ne pouvez pas me connaître, répond-elle. Elle sourit pour ne pas paraître trop abrupte. Elle sait quelle impression elle peut produire; elle a trente-neuf ans, à cet âge on sait quelle impression on produit sur ses contemporains. Elle devine le malaise du chauffeur, Vera Candida a le regard azur et féroce, ce qui coïncide mal. Elle a, depuis qu'elle est née, toujours gardé les sourcils froncés. Il y a des gens qui ne regardent jamais leur interlocuteur dans les yeux mais juste au-dessus, sur le point le plus bas du front, et ce décalage crée un trouble indéfinissable. Vera Candida a ce genre de regard, c'est comme un muscle de son visage qui serait toujours crispé, une malformation congénitale, impossible d'avoir l'air doux et attendri. Déjà minuscule, Vera Candida ne lâchait personne avec sa scrutation, elle semblait percer chacun à jour - sans que cela fût vrai d'ailleurs, Vera Candida n'avait pas ce pouvoir, elle ne faisait que fixer les gens comme l'aurait fait un bébé jaguar. Et on n'avait qu'une envie, c'était de décamper le plus vite possible.
Le chauffeur referme la porte coulissante et démarre.
Vera Candida pose son sac, elle respire l'odeur des palétuviers, la poussière de la route, le gasoil, et les effluves du matin caraïbe - le ragoût et les beignets -, elle perçoit le jacassement des télés et des radios par les fenêtres ouvertes - il doit être sept heures sept heures trente, estime-t-elle -, le ressac de la mer en arrière-plan, un chuintement discret, elle reprend son sac et traverse le village, se dirige vers la cabane qu'elle a quittée vingt-quatre ans auparavant.
Il y a un snack à la place.
Une baraque en tôle cadenassée. Vera Candida s'approche pour jeter un œil à travers la porte vitrée, les relents persistants de graillon lui rappellent l'état de son estomac, elle se sent nauséeuse, elle jure entre ses dents, Putain de putain, elle s'attendait de toute façon à ce que la cabane en bois ait été rasée, c'était couru d'avance, elle le savait, n'est-ce pas, avant d'avoir entrepris le voyage, alors pourquoi a-t-elle entrepris ce voyage, elle entrevoit des tabourets retournés sur les deux tables et un comptoir bricolé avec du bois de récupération, elle s'assoit sur son sac et reprend son souffle, elle croise ses mains devant elle, voit ses doigts se superposer les uns aux autres, elle pense à ce que charrie son sang, elle pense à son corps qui déclare peu à peu forfait, elle a la tentation de se laisser aller à un désespoir tranquille. Elle ne se sent pas si mal, elle se sent juste en proie à la fatalité.
Pssst, entend-elle.
Elle lève le nez et aperçoit sur sa gauche, à travers le grillage, une petite vieille, les doigts accrochés au fil de fer, debout dans son jardin pelé, qui lui sourit d'un sourire de nourrisson édenté.
Pssst, répète-t-elle.
Vera Candida se remet sur ses pieds et se dirige vers la vieille, soupçonnant que la voix de celle-ci ne pourra venir jusqu'à elle, elle s'approche tout près de la vieille femme qui porte des breloques brillantes autour du cou, des médailles surdimensionnées et des sautoirs en strass, on dirait un catcheur, elle a l'air d'avoir sorti la totalité de son coffre à bijoux et enfilé tout ce que ses cervicales peuvent encore endurer, elle a un œil morne et un œil pétillant, elle semble avoir cent-dix ans. Vera Candida regarde les doigts de la vieille accrochés au grillage comme des griffes de serin, elle dit, Bonjour.
Tu es Vera Candida, rétorque la vieille de sa toute petite voix. Elle toussote et ajoute, Ta grand-mère m'avait bien dit que tu reviendrais.
L'odeur de Monica Rose faisait chavirer Vera Candida. Elle s'asseyait près de sa fille et plongeait le visage dans ses cheveux. Ils sentaient le sel et l'iode, le vent et quelque chose de plus souterrain et mammifère, comme la sueur d'un minuscule rongeur ou bien d'un petit loup. Monica Rose sentait la fourrure. Vera Candida se disait toujours, Comment ferai-je quand je serai une très vieille femme, que je n'y verrai plus, que je tenterai de me souvenir de cette odeur. Elle s'efforçait d'enregistrer comme sur des cylindres d'argile les sensations liées à sa fille : la main de la petite dans la sienne, la façon dont Monica Rose serrait son cou avec ses bras aussi fins que des roseaux, elle serrait serrait en y mettant toute sa minuscule force, et c'était inenvisageable de ne plus être deux un jour, c'était si injuste que cela paraissait impossible.
Petit con.
La réplique força l'admiration d'Itxaga : cette fille était toute seule sur une route déserte en plein milieu de la nuit et traitait de petit con le type louche qui la suivait. Elle se remit à marcher. Il suivit le mouvement.
Vous êtes désagréable, constata- t-il.
Je vous emmerde.
Rose Bustamente fut une grand-mère formidable. Elle débitait des sentences à tout bout de champs et Vera Candida les notait (du coup, elle avait en permanence un petit carnet et un minuscule crayon de bois dans la poche de son short pour noter les phrases de sa grand-mère et pouvoir les relire à loisir, y réfléchir et les relire, tenter d'y déceler du sens, et puis abandonner et se dire, Ce sera pour plus tard, comme si elle avait engrangé des noix de cajou pour parer à une famine à venir).
Il y a des gens qui pensent qu'il suffit que vous leur plaisiez pour qu'ils aient droit à votre corps, énonçait souvent Rose Bustamente...
Elle s'interrogea, quand la mort vient lentement (puisque la mort s'installe bien plus souvent lentement que brutalement), les gens autour de vous deviennent-ils crépusculaires, les voyez-vous avec de moins en moins de clarté, l'ombre gagne-t-elle le champ de vision, deviendrai-je bleue comme les vieilles personnes le deviennent, que vais-je faire de toute ma connaissance et de toute mon expérience, que vont-elles devenir, vont-elles s'enfoncer dans le sol avec moi ou s'effilocher autour de ma tête et se disperser dans l'atmosphère? Mais la connaissance de quoi au fond?
Elle se rendit compte que, à chaque fois qu'elle avait lu un livre pendant toutes ces années, elle avait cherché un éblouissement, quelque chose qui lui dirait comment appréhender la mort. La barrière à franchir est dans ma tête, se dit-elle. Et en réalité il n'y a pas de barrière. Quelqu'un a tracé sur le sol une ligne et je l'enjambe avec une facilité déconcertante, d'un côté de l'autre d'un côté de l'autre, et hop vous voyez, il ne se passe rien de spécial. De ce côté-ci je suis avec les vivants, de ce côté-là je suis avec les morts. C'est comme un petit pas de danse que j'improvise pour vous.
Véronique Ovaldé, dont le talent n'est plus à prouver, dévoile une fois de plus son expertise dans la création de personnages saisissants avec À nos vies imparfaites, paru aux éditions Flammarion. Dans ce roman, elle dresse le portrait d'une galerie d'hommes et de femmes confrontés aux défis de l'existence moderne, jonglant avec une solitude parfois écrasante. Avec sa plume délicate et son regard lucide sur la condition humaine, l'autrice nous entraîne dans les méandres de vies marquées par les imperfections et les aspirations. Chaque personnage semble prendre vie sous sa plume, nous invitant à partager leurs joies, leurs peines et leurs quêtes de sens.
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