Ce tome fait suite à
Rachel Rising, tome 2 : Même pas peur (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir u avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour s'y retrouver dans l'identité des différents personnages et leur histoire personnelle. Il comprend les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2013, écrits, dessinés, encrés et lettrés par
Terry Moore. Cette bande dessinée est en noir & blanc.
Rachel Beck est de retour chez elle, et elle a pris une douche pour se débarrasser de la terre collée à sa peau. Elle se rhabille et constate que la perforation sous son sein droit, causée par un fer à béton, ne guérit pas. Elle doit y appliquer un pansement. À l'institut médicolégal de Mason (dans le Wisconsin), Earl et le docteur Wesley Siemen évoquent le cadavre de Jet (Clara James Adams). Ils vont le sortir de la chambre froide. Siemen raconte une version très particulière de la Belle au Bois Dormant à Earl, avec le comportement peu chevaleresque du prince pour réveiller la belle endormie. Il assure à Earl qu'il s'agit d'une histoire vraie qui a servi à Charles Perreault pour écrire sa version du conte en 1690. Earl ne peut pas se résoudre à faire ce que lui suggère Siemen, et il préfère prendre contact avec Rachel pour savoir quoi faire.
À l'usine de traitement de l'eau potable, un groupe de 3 femmes (dont Mary Scott, visiblement des sorcières) plante de la pornographie pédophile dans l'ordinateur du responsable
Hector Ruiz, et souille l'eau potable avec un élément très particulier. Toujours à l'hôpital, tante Johnny téléphone à Rachel Beck pour lui relater ce qui est arrivé à Jet. Shelly & Reuben viennent s'enquérir de la santé de Natali, sans qu'elle ne veuille réponde aux coups frappés à sa porte. Rachel Beck décide d'aller récupérer un objet qu'elle avait enterré des centaines d'années dans le passé, mais il n'est plus accessible. Elle aperçoit Zoe Mann (la petite fille) qui déambule dans les rues de la ville, alors que la neige n'arrête pas de tomber.
Dans le tome précédent, le lecteur a découvert les raisons du retour de Rachel Beck et de Jet (Clara James Adams), ainsi que la force maléfique qui rôde à Mason, ou peut-être les forces maléfiques. Mais il reste encore beaucoup d'éléments non expliqués, à commencer par la présence de Lilith, et la nature de sa malédiction. Il se lance dans ce troisième tome, avec l'envie d'en découvrir plus sur l'intrigue. Il retrouve les personnages centraux que sont Rachel Beck, Jet, mais aussi Tante Johnny Woodall (et sa copine Carol), le bizarre docteur Wesley Siemen et ses conseils très étranges, Earl l'assistant de la morgue un peu différent, Lilith, la jeune Zoe Mann, l'inspecteur Jim Corpell, le prêtre et quelques autres encore. Il prend conscience que
Terry Moore a développé sa distribution de personnages petit à petit, en prenant soin que chacun soit mémorable. Même si certains ne disposent pas de beaucoup de pages pour exister (3 pages pour l'inspecteur Corpell), cela suffit pour que le lecteur s'en souvienne, à la fois pour son apparence, mais aussi pour sa personnalité. Même un personnage secondaire comme
Hector Ruiz devient sympathique en 2 séquences, ce qui est une belle preuve de la sensibilité de l'auteur et de sa capacité à faire exister ses personnages.
Ce troisième tome donne plus de consistance à la malédiction et à la vengeance qui s'abat progressivement sur les habitants de Mason. Il est donc établi que les manifestations surnaturelles proviennent d'un groupe de sorcière, et peut-être d'entités surnaturelles.
Terry Moore assure le spectacle et le divertissement, avec une infestation de rat, une immolation par le feu, et quelques sous-entendus sur des relations sexuelles, de type homosexuelles ou nécrophiles, et de quelques exécutions sommaires. Pour autant, il ne transforme pas ces éléments en des moments voyeuristes pour lecteur en mal de sensation glauque. Comme à son habitude, il s'agit d'éléments qui émanent des personnages plutôt des scènes choc vaguement reliées par une intrigue prétexte. Il utilise les conventions du genre horrifique, en leur insufflant un sens par l'histoire personnelle et le caractère des protagonistes. Rapidement, le lecteur constate que la majeure partie des personnages principaux sont des femmes, qu'elles se débrouillent par elles-mêmes et qu'elles savent répondre aux comportements sexistes. de ce point de vue, le lecteur retrouve bien l'auteur de Strangers in Paradise. Il y fait d'ailleurs un clin d'oeil avec un portrait en peinture, signé Katchoo.
La vengeance contre cette communauté prend de l'ampleur, pendant que les personnages essayent de comprendre ce qui se passe. L'auteur continue de jouer avec le mystère du passé de Rachel Beck, avec la nature de la personnalité de Jet, avec la personnalité de Zoe, le mystère de cette dernière s'épaississant au fur et à mesure qu'on en apprend plus sur elle. Il réserve une scène déstabilisante à Lilith, assistée de Mary Scott et Hannah, au coin du feu. le lecteur voit progressivement se dessiner les 2 clans susceptibles de s'affronter, sans que le mystère ne diminue, l'incitation ludique à essayer de deviner gardant toute sa capacité de divertissement.
Terry Moore sait se montrer facétieux de différentes manières, que ce soit avec la statue du cimetière que la neige n'arrive pas à recouvrir, ou avec le coffret enterré quelques siècles plutôt qu'il va être difficile de récupérer. Il se montre parfois aussi agaçant. En particulier le comportement de Johnny Woodall prend le lecteur à rebrousse-poil. Elle remet en question le caractère surnaturel du retour à la vie de Rachel et Jet, alors que dans le même temps l'auteur a montré qu'il n'y avait pas de doute de possible. Il y a là une dissonance narrative difficile à accepter entre le comportement de ce personnage sur lequel l'auteur insiste, alors que dans le même temps il montre clairement qu'il n'y a pas de doute possible. Dans le même ordre d'idée, l'invasion de rats génère une sensation de répugnance efficace, tout en faisant un peu grimacer le lecteur quand il voit un rat sortir d'un robinet, visiblement trop petit pour qu'il puisse tenir dedans. Enfin, il est étrange que personne n'ait remarqué que le cimetière est maintenant jonché de cadavres, suite à leur éruption spontanée dans le tome précédent.
Dans le même temps,
Terry Moore semble de plus en plus à l'aise avec ses dessins, au fur et à mesure que l'intrigue progresse. La chute de neige ininterrompue finit par créer un malaise visuel. Les séquences horrifiques présentent une dimension visuelle bien calibrée, que ce soit la blessure laissée par le fer à béton dans le torse de Rachel, le fait qu'elle recrache de la terre et un cafard, Zoe en train de tuer des rats ou de jouer avec un couteau, la profanation de la tombe de la mère de Rachel, un pauvre chat attaqué par un groupe de rats, etc. En tant que dessinateur, Moore ne se complaît pas dans le gore ou l'abondance de détail, mais il a l'art et la manière de concevoir son enchaînement de planche et les cadrages de manière à faire ressortir l'horreur de la situation. de séquence en séquence, le lecteur apprécie également sa direction d'acteurs et sa mise en scène.
Il n'est pas possible de réduire Rachel Rising a un simple récit d'horreur fonctionnant sur la base de scènes choc et de clichés horrifiques, grâce aux interactions entre les personnages. L'amitié que se portent Johnny et Carol transparaît dans leur prévenance l'une pour l'autre, sans qu'il n'y ait de gestes tendres ou des attouchements. La personnalité de Rachel Beck se lit dans son comportement et l'assurance de ses gestes. Les attitudes de Jet montrent comment elle est consciente de ses émotions, et le plaisir qu'elle prend à asticoter Earl. le langage corporel de ce dernier montre de manière évidente sa gêne, la lenteur de son processus de réflexion, mais aussi sa réserve et sa prévenance. Loin de devenir un objet de moquerie, ou un dispositif comique,
Terry Moore en fait un individu sensible et attachant. En observant les gestes de Zoe et les expressions qui passent sur son visage, le lecteur comprend qu'il se passe des choses dans son esprit qui sortent des schémas mentaux ordinaires. L'artiste parvient même à générer de l'empathie pour Lilith du fait de sa douleur psychique, visible dans son comportement au temps présent. le face à face entre
Hector Ruiz et l'inspecteur Jim Corpell dans le commissariat met en lumière l'état d'esprit des 2 personnages, les rendant humains et uniques.
Décidément, Rachel Rising n'est pas une variation de Strangers in paradise, et l'intrigue y est beaucoup plus prépondérante. Les éléments horrifiques fonctionnent la majeure partie du temps, à une ou deux exceptions près. Avec ces épisodes,
Terry Moore donne l'impression d'avoir gagné en assurance dans sa narration, tant visuelle, que de l'intrigue. Les personnages y gagnent en épaisseur et en crédibilité. Ils évoluent dans des environnements mieux définis et plus tangibles. La dimension humaine joue à égalité avec l'intrigue, et le thème sous-jacent de l'oppression des femmes gagne en consistance.