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Michel Delon (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070378999
338 pages
Gallimard (05/04/1988)
3.8/5   195 notes
Résumé :
Le Jardin des supplices n’est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s’est complu l’imaginaire de 1900. L’ouvrage exprime aussi l’ambiguïté de l’attitude d’un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu’on n’appelait pas encore le Tiers Monde. Pour Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs mortels et, par leur système pénal et l’invraisemblable raffinement de leur cruauté, les Chinois ne peuvent être à s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Un homme a écrit le récit de sa vie ...
Cet homme a la figure ravagée, les yeux morts et les mains qui tremblent.
Longtemps il a hésité avant de publier ce récit.
Il est pour vous qui ne craignez pas de pénétrer au plus noir des mystères humains.
Puissiez-vous en supporter l'horreur ! ...
"Le jardin des supplices" est un ouvrage incongru.
Il est constitué de trois parties.
La première, "Frontispice", est la discussion d'une équation philosophique :
- le crime et la sauvagerie sont-ils ancrés au plus profond de l'homme ?
Les deux suivantes, qui forment le corps de l'ouvrage, veulent être la démonstration d'une réponse à cette question posée ...
L'ouvrage, en 1899, est lancé comme une insulte aux visages des prêtres, des soldats, des juges et des hommes qui éduquent, gouvernent et dirigent les autres hommes.
Octave Mirbeau leur dédie ces pages de meurtre et de sang !
Un homme y raconte son existence.
C'est un gredin sous lequel se dissimule peut-être un poète dévoyé.
Issu d'une petite bourgeoisie commerçante et provinciale, il a pour seule moralité de "mettre les gens dedans".
Octave Mirbeau signe, dans une deuxième partie d'une centaine de pages, un pamphlet politique cynique et sarcastique.
Il y écorche sans pitié la haute société de ce 19ème siècle finissant.
Il y raconte la fuite de son personnage.
Car voilà ce dernier pressé par Eugène Mortain, son protecteur, un vieil ami de collège devenu ministre, de fuir vers Ceylan.
Notre homme, promu embryologiste, est mandaté, subventionné et propulsé vers les Indes à bord du paquebot "Saghalien".
Il y fait la rencontre de Clara, une femme étrange, mystérieuse et perverse qui va le mener jusqu'en Chine, jusqu'au jardin des supplices ...
La troisième partie, qui a fait toute la réputation de l'ouvrage, est un récit noir de sauvagerie et rouge du sang qui y est versé.
C'est un long, long, long descriptif de sévices, de tortures et de meurtres ...
André de Lorde et Pierre Chaine, en 1922, l'ont adapté sur la scène du Grand-Guignol, le théâtre de toutes les peurs de la Belle-Époque.
C'est dire !
"Le jardin des supplices", au final, est un ouvrage dur et extrêmement dérangeant.
Octave Mirbeau y fait preuve d'audace, d'outrance et de provocation.
Pourtant le livre est un pur morceau d'intelligence finement ciselé.
Mais il n'est pas pour tous.
Quelques âmes sensibles devront s'abstenir ...

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Publié en 1899 chez Fasquelle pour sa première édition, le jardin des supplices est un assemblage raisonné de divers articles rédigés entre 1892 et 1898 par Octave Mirbeau et publiés dans divers journaux (Le journal ou l'Echo de Paris). Pour les besoins du roman, l'auteur a retravaillé et restructuré ses textes de façon à proposer un ensemble cohérent. Il y dénonce la violence de la société et accuse l'Armée, l'Eglise, la Justice et l'Administration de n'être que des instiutions monstrueuses destinées à tromper les hommes. le roman paraît d'ailleurs pendant une période politique trouble marquée par l'Affaire Dreyfus. Mirbeau en profite pour dénoncer la bêtise des hommes. Ironie (voir dédicace de l'auteur), subversion et lyrisme, tels sont les armes utilisées par le pamphlétaire pour critiquer cette France et plus largement, cette Europe occidentale qui s'essoufle et s'étiole. Notons cependant que le combat de Mirbeau ne se situe pas seulement au niveau idéologique : conciliant son sens de l'esthétique au dégoût de ses contemporains corrompus, l'auteur condamne la société européenne, en mettant en exergue l'hypocrisie de ses dirigeants et en établissant une comparaison avec les supplices pratiqués en Chine. de ces deux cultures dont l'une est censée être civilisée et l'autre réputée barbare, laquelle est-elle vraiment la plus cruelle et injuste ?


Michel Delon, spécialiste de la littérature du siècle des lumières et plus particulièrement de l'histoire des idées, déclare dans son excellente préface, que l'oeuvre de Mirbeau est indissociable du contexte politique de l'époque et il conseille de "lire de tels propos pour comprendre l'attitude d'un Mirbeau qui, réciproquement, fait de la Chine en même temps l'antithèse et la métaphore de l'Europe." p.17. Je partage vivement cet avis et cet extrait de la quatrième de couverture du livre : "Le jardin des supplices n'est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s'est complu l'imaginaire de 1900. L'ouvrage exprime aussi l'ambiguïté de l'attitude d'un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu'on n'appelait pas encore le Tiers-Monde." confirme cette idée. L'auteur n'a pas à mon sens, décrit les supplices pour fustiger la cruauté sophistiquée des chinois mais bien pour mettre en lumière la pourriture de la société à laquelle il appartient.

Ainsi, le roman se décompose en plusieurs parties : la première, intitulée Frontispice, relate une soirée mondaine lors de laquelle s'affrontent verbalement des académiciens, des écrivains, des savants et autres intellectuels au sujet des meurtres et de leurs motivations. Intervient pendant cette discussion un homme à la figure ravagée, qui décide de partager son expérience. En mission, la deuxième partie du roman, raconte comment cet homme envoyé en mission à Ceylan par son protecteur corrompu, rencontre Clara, une anglaise à la beauté vénimeuse, amoureuse de la Chine : "L'Europe et sa civilisation hypocrite, barbare, c'est le mensonge (...) Vous demeurez, lâchement attaché à des conventions morales ou sociales que vous méprisez, que vous condamnez, que vous savez manquer de tout fondement... C'est cette contradiction permanente entre vos idées, vos désirs et toutes les formes mortes, tous les vains simulacres de votre civilisation qui vous rend tristes, troublés, déséquilibrés..." p.133. La dernière partie du roman, le jardin des supplices, décrit le voyage du narrateur en Chine où, initié par la terrrible Clara, il visite le macabre jardin des supplices...

Malgré l'assemblage d'éléments disparates, Mirbeau réussit à donner une belle cohérence à son oeuvre. Bien que les trois parties soient rédigées dans un style différent, elles s'emboîtent bien et donnent un sens étrange à l'ensemble du roman. La troisième partie dans laquelle l'auteur donne libre cours à son lyrisme (emploi à outrance des champs lexicaux des cinq sens pour décrire le jardin des supplices), se distingue nettement des deux autres parties. On se perd parfois dans les noms des plantes et au détour d'un sentier fleuri et parfumé, on est brutalement ramené à l'inhumanité des sévices pratiqués sur les bagnards chinois. La luxuriance et la beauté des plantes tranchent volontairement avec la pourriture des cellules et la sècheresse des condamnés, pour mieux souligner la médiocrité des pratiques européennes : "- C'est que l'art ne consiste pas à tuer beaucoup... à égorger, à massacrer, exterminer en bloc, les hommes... C'est trop facile, vraiment... L'art, milady, consiste à savoir tuer, selon des rites de beauté dont nous autres Chinois connaissons seuls le secret divin... Savoir tuer !... Rien n'est plus rare, et tout est là... Savoir tuer !... C'est à dire travailler la chair humaine, comme un sculpteur sa glaise ou son morceau d'ivoire... en tirer toute la somme, tous les prodiges de souffrance qu'elle recèle au fond de ses ténèbres et de ses mystères... Voilà ! Il faut de la science, de la variété, de l'élégance, de l'invention... du génie, enfin... Mais, tout se perd aujourd'hui... le snobisme occidental qui nous envahit, les cuirassés, les canons à tir rapide, les fusils à longue portée, l'électricité, les explosifs, que sais-je?... Tout ce qui rend la lort collective, administrative, bureacratique... toutes les saletés de votre progrès, enfin... détruisent peu à peu nos belles traditions du passé... p.207. Poussant le vice jusqu'à comparer les pratiques chinoises à de l'Art, Mirbeau dérange, Mirbeau provoque. Certains passages sont d'ailleurs d'une cruauté épouvantable mais le message de Mirbeau est clair : l'Europe de la fin de siècle est fatiguée. Il s'agit de la réveiller...

Comme vous l'aurez compris, le jardin des supplices m'a fascinée. Enfin, j'ai découvert que ces auteurs qui m'ont toujours attirée, appartiennent à ce mouvement littéraire du décandentisme ou littérature décadente. Huysmans, Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, ces auteurs que j'ai lu sans faire le lien avec ce mouvement littéraire, m'apparaissent désormais sous un jour nouveau. Cette édition (Folio Classique) m'a apporté de riches informations sur la littérature de cette fin de siècle (avec un retour documenté sur l'Affaire Dreyfus). le dossier en fin d'ouvrage présentant la bibliographie de Mirbeau, la notice ainsi que les notes en fin de livre, constituent autant d'éléments de compréhension du contexte historique de l'époque, qui m'encouragent à me pencher sur cette période de l'histoire de la France. Je terminerai enfin avec cet extrait qui selon moi, illustre bien la pensée de Mirbeau : "Alors, peu à peu, ma pensée se détache du jardin (...). Elle voudrait franchir le décor de ce charnier, pénétrer dans la lumière pure, frapper, enfin, aux Portes de la vie... Hélas ! Les portes de la vie ne s'ouvrent jamais que sur la mort... Et l'univers m'apparait comme une immense, comme un inexorable jardin des supplices (...). Ce que j'ai vu aujourd'hui, ce que j'ai entendu, existe et crie et hurle au delà de ce jardin, qui n'est plus pour moi qu'un symbole, sur toute la terre... J'ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part..." p. 249. Et bien sûr, je recommande cette lecture à tous les curieux...
Lien : http://livresacentalheure-al..
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Comme beaucoup de mes critiques, celle-ci est rédigée d'après mes souvenirs et mes émotions, car j'ai lu ce livre plusieurs fois, mais il y a déjà plusieurs années. j'ai très tôt été fasciné par l'univers de Mirbeau. Après "Le journal d'une femme de chambre", la lecture de celui-ci, à la sortie de l'adolescence, m'a ouvert les yeux sur la politique, la démocratie et la sauvagerie possible de l'Humain. si je me souviens bien, un pauvre type, malfaisant, incompétent... deviendra député grâce à des relations haut placées. On sait alors d'emblée où Mirbeau place notre démocratie. Tout est déjà dit. Puis, dans une deuxième partie, ce "député" est envoyé en mission en Chine sous je ne sais plus quel prétexte. En route, il fait la connaissance de Clara, une charmante jeune femme qui assouvit ses pulsions sexuelles devant la torture. C'est elle qui initiera notre député aux joies scopiques devant la souffrance d'autrui. La description des tortures inouïes qui nous sont infligées pour les beaux yeux de Clara sont parfois insupportables. Cependant, je soupçonne Mirbeau d''en avoir rajoutées par complaisance, même si son dessin premier était de dénoncer les noirceurs de l'âme humaine comme il l'a toujours fait dans ces autres romans.
C'est un livre qu'il faut lire, car c'est une réflexion sur le gouvernement démocratique (dont Mirbeau haïssait l'hypocrisie et les faux-semblants), que l'on pourrait très bien transposer à notre époque, mais aussi pour dénoncer une partie de ce qui compose l'humain. Notre part d'ombre et de sauvagerie.
Au bout de temps d'années, une scène m'est toujours restée à l'esprit : celle ou Clara lance des bouts de viande avariées à des malheureux affamés, qui le cou enserré dans des anneaux de métal les empêche de porter de la nourriture à la bouche avec leur mains. Un bout de viande tombe donc sur le rebord d'un de ces anneaux, empêchant donc le malheureux de le manger ! Pour le plus grand plaisir de Clara et de son compagnon.
Bref, un livre que l'on oublie pas et qu'il faut être préparé à lire, mais dont la lecture est, ô combien salutaire pour comprendre l'Humain et la société .
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Avertissement vrai !
Je déconseille vivement la lecture de cet ouvrage aux âmes sensibles, aux neurasthéniques et aux psychopathes. Pour tous ceux qui se sentent bravaches parce qu'ils ont vus tous les épisodes de Games of Thrones, tâtez de la puissance de l'écrit…

Critique classique de ces contemporains chez Mirbeau le sociopathe , le livre ne se différencierait en rien de sa production habituelle s'il ne lançait son héros à la suite d'une créature envoutante au sein du terrifiant Jardin des Supplices, en Chine.
L'auteur a-t-il voulu nous convaincre de la perversité de l'homme qui torture comme de celui qui regarde ? On sait que des balcons se louaient fort chers aux exécutions capitales en France et qu'on n'y forniquait ardemment tout en regardant Damiens se faire écarteler.
Eros et Thanatos avant le père Freud et depuis la descente d'un autre jardin, celui du Paradis. Rien de nouveau à la surface du globe, et ce n'est pas la pauvre inventivité des Daeschiens qui me contredira. L'humain est ainsi, salement satanisé.
L'oeuvre est forte. Encore une fois totalement originale, incroyable d'audace, même après le divin Marquis. A quelques défauts près, déjà repérés dans « Le journal d'une femme de chambre », Mirbeau se confond avec ses personnages. Son héros, ici peu instruit, est pourtant capable de nommer la totalité des fleurs et plantes qu'il croise au cours de sa visite du Jardin. Même le Stéphane Marie de « Silence ça pousse » en serait incapable !
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Le "Jardin des supplices" est un livre audacieux qui même en 2018, continue de sentir le souffre. Nous suivons les aventures d'un homme de classe sociale aisée, qui suite à un épisode politique calamiteux, exerce un chantage de la dernière chance auprès d'un vieil ami ministre corrompu et sans scrupules, qui a le bras long et les moyens de le sortir de son marasme économique. Son ami l'expédie à Ceylan pour le faire occuper un emploi "fictif" d'embryologiste, afin d'acheter du temps et de le faire taire. Sur la route des Indes, notre narrateur fait la rencontre d'une créature divine, riche et belle, "un peu piquée" selon le capitaine du navire, dont il tombe éperdument amoureux et qu'il décide de suivre en Chine, abandonnant ses projets initiaux.

Surprise !
Clara voue une passion macabre à la civilisation chinoise, qui loin de l'hypocrisie des pays occidentaux, s'illustre par un raffinement exceptionnel très assumé tant dans l'horticulture, la céramique que dans l'art de "faire mourir". Homme de petite vertu, mais parfait occidental, notre narrateur découvre avec horreur ce qui incarne à ses yeux la quintessence de la barbarie et de la sauvagerie humaine. Le beau appliqué au supplice corporel, ou comment immiscer la mort dans chaque parcelle de chair et de sang d'un corps humain, pour lui faire "savourer" sa mort prochaine. En cela, la mort est aussi puissante que l'amour et elles deviennent indissociables. Elles s'unissent complètement dans l'acte d'amour, générant la pulsion sexuelle, permettant la jouissance des sens. C'est en tout cas ce qui semble bien résumer la perversion de la belle Clara, qui retourne inlassablement au jardin des supplices pour nourrir sa libido et son âme malade.


Selon Clara, qui nous donne comme au narrateur, une bonne leçon de morale, l'Occident qui se prend pour une civilisation supérieure, et vante ses mérites en matière de progrès technologique, de respect de la race humaine, se fourvoie complètement. Les nations modernes et barbares, pilleuses de ressources qui institutionnalisent et légalisent la sauvagerie à travers les organes de pouvoir et de diffusion du pouvoir, n'auraient donc rien à envier à la "sauvagerie" chinoise.


Le parcours initiatique du héros commence d'ailleurs par une discussion de boudoir entre individus de l'intelligentsia parisienne, qui désirant "tuer" le temps sur le bateau qui vogue vers les Indes, partagent leur faits d'arme, leurs expériences de chasse, de cannibalisme, de tueries de masse, de massacre de faisans comme de massacre d'êtres humains. La vie humaine na valant pas plus que celle d'un animal, pourquoi ne pas s'en donner à coeur joie ? La mort n'est pas chose sérieuse, surtout lorsque l'on parle comme nos protagonistes de petits africains, et mérite d'être abordée avec la plus parfaite légèreté pour faire bien en société.


Mirbeau accuse le "deux poids deux mesures" caractéristique des nations occidentales qui ne voient la barbarie que là où ça les arrangent tout en se refusant à une très salutaire introspection. "On voit la paille dans l’œil de son voisin, mais on ne voit pas la poutre dans le sien" est une formule qui résumerait, à mon sens, cet excellent livre de Mirbeau. Après avoir un peu flatté notre sadisme ontologique d'être humain, le récit nous élève à des considérations politiques et philosophiques qui semblent toujours d'actualité en 2018. En cela, j'ai trouvé cet ouvrage passionnant en plus d'être très bien écrit.

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"Et l'univers m'apparaît comme un immense, comme un inexorable jardin des supplices ... Partout du sang, et là où il y a plus de vie, partout d'horribles tourmenteurs qui fouillent les chairs, scient les os, vous retournent la peau, avec des faces sinistres de joie ...

Ah oui ! Le jardin des supplices ! ... Les passions, les appétits, les intérêts, les haines, le mensonge ; et les lois, et les institutions sociales, et la justice, l'amour, la gloire, l'héroïsme, les religions, en sont les fleurs monstrueuses et les hideux instruments de l'éternelle souffrance humaine ... Ce que j'ai vu aujourd'hui, ce que j'ai entendu, existe et crie et hurle au-delà de ce jardin, qui n'est plus pour moi qu'un symbole, sur toute la terre ... J'ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part ...

Je voudrais, oui, je voudrais me rassurer, me décrasser l'âme et le cerveau avec des souvenirs anciens, avec le souvenir de visages connus et familiers ... [...] C'est tous ceux et toutes celles que j'ai aimées ou que j'ai cru aimer, petites âmes indifférentes et frivoles, et sur qui s'étale maintenant l'ineffaçable tâche rouge ... Et ce sont les juges, les soldats, les prêtres qui, partout, dans les églises, les casernes, les temples de justice s'acharnent à l'œuvre de mort ... Et c'est l'homme-individu, et c'est l'homme foule, et c'est la bête, la plante, l'élément, toute la nature enfin qui, poussée par les forces cosmiques de l'amour, se rue au meurtre, croyant ainsi trouver hors la vie, un assouvissement aux furieux désirs de la vie qui la dévorent et qui jaillissent, d'elles, en des jets de sale écume !"
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Quels sont les habitudes, les plaisirs préférés de ceux-là que vous appelez, mon cher, "des esprits cultivés et des natures policées" ? L’escrime, le duel, les sports violents, l’abominable tir aux pigeons, les courses de taureaux, les exercices variés du patriotisme, la chasse… toutes choses qui ne sont, en réalité, que des régressions vers l’époque des antiques barbaries où l’homme – si l’on peut dire – était, en culture morale, pareil aux grands fauves qu’il poursuivait. Il ne faut pas se plaindre d’ailleurs que la chasse ait survécu à tout l’appareil mal transformé de ces mœurs ancestrales. C’est un dérivatif puissant, par où les "esprits cultivés et les natures policées" écoulent, sans trop de dommages pour nous, ce qui subsiste toujours en eux d’énergies destructives et de passions sanglantes. Sans quoi, au lieu de courre le cerf, de servir le sanglier, de massacrer d’innocents volatiles dans les luzernes, soyez assuré que c’est à nos trousses que les "esprits cultivés" lanceraient leurs meutes, que c’est nous que les "natures policées" abattraient joyeusement, à coups de fusil, ce qu’ils ne manquent pas de faire, quand ils ont le pouvoir, d’une façon ou d’une autre, avec plus de décision et – reconnaissons-le franchement – avec moins d’hypocrisie que les brutes… Ah ! ne souhaitons jamais la disparition du gibier de nos plaines et de nos forêts !
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Il avait aussi cette faculté merveilleuse de pouvoir, cinq heures durant, et sur n’importe quel sujet, parler sans jamais exprimer une idée. Son intarissable éloquence déversait, sans un arrêt, sans une fatigue, la lente, la monotone, la suicidante pluie du vocabulaire politique, aussi bien sur les questions de marine que sur les réformes scolaires, sur les finances que sur les beaux-arts, sur l’agriculture que sur la religion. Les journalistes parlementaires reconnaissaient en lui leur incompétence universelle et miraient leur jargon écrit dans son charabia parlé. Serviable, quand cela ne lui coûtait rien, généreux, prodigue même, quand cela devait lui rapporter beaucoup, arrogant et servile, selon les événements et les hommes, sceptique sans élégance, corrompu sans raffinement, enthousiaste sans spontanéité, spirituel sans imprévu, il était sympathique à tout le monde. Aussi son élévation rapide ne surprit, n’indigna personne. Elle fut, au contraire, accueillie avec faveur des différents partis politiques, car Eugène ne passait pas pour un sectaire farouche, ne décourageait aucune espérance, aucune ambition, et l’on n’ignorait pas que, l’occasion venue, il était possible de s’entendre avec lui. Le tout était d’y mettre le prix.
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Les Chinois sont des jardiniers incomparables, bien supérieurs à nos grossiers horticulteurs qui ne pensent qu’à détruire la beauté des plantes par d’irrespectueuses pratiques et de criminelles hybridations. Ceux-là sont de véritables malfaiteurs et je ne puis concevoir qu’on n’ait pas encore, au nom de la vie universelle, édicté des lois pénales très sévères contre eux. Il me serait même agréable qu’on les guillotinât sans pitié, de préférence à ces pâles assassins dont le "selectionnisme" social est plutôt louable et généreux, puisque, la plupart du temps, il ne vise que des vieilles femmes très laides, et de très ignobles bourgeois, lesquels sont un outrage perpétuel à la vie. Outre qu’ils ont poussé l’infamie jusqu’à déformer la grâce émouvante et si jolie des fleurs simples, nos jardiniers ont osé cette plaisanterie dégradante de donner à la fragilité des roses, au rayonnement stellaire des clématites, à la gloire firmamentale des delphiniums, au mystère héraldique des iris, à la pudeur des violettes, des noms de vieux généraux et de politiciens déshonorés.
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Je crus que le cœur allait me manquer, à cause de l'épouvantable odeur de charnier qui s'exhalait de ces boutiques, de ces bassines remuées, de toute cette foule, se ruant aux charognes, comme si c'eût été des fleurs.
-- Clara, chère Clara! implorai-je... Partons d'ici, je vous en prie!
-- Oh! comme vous êtes pâle! Et pourquoi ?... N'est-ce donc pas très amusant ...
-- Clara... chère Clara!... insistai-je... Partons d'ici, je vous en supplie!... Il m'est impossible de supporter plus longtemps cette odeur.
--Mais cela ne sent pas mauvais, mon amour... Cela sent la mort, voilà tout!...
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Le livre est disponibles sur editions-harmattan.fr : https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_ecrivains_decadents_et_l_anarchisme_une_tentation_fin_de_siecle_alexandre_lecroart-9782336410142-78065.html ___________________________________________________________________________
La fin du XIXe siècle est marquée par une série d'attentats anarchistes. Ces actes récoltent le soutien d'écrivains d'avant-garde comme Paul Adam, Octave Mirbeau et Rémy de Gourmont. Ces affinités avec l'anarchisme étonnent, venant d'écrivains résignés et élitistes qui rejettent la politique au profit de la littérature. Cet ouvrage examine l'influence qu'a exercée l'imaginaire de la décadence sur ces écrivains. Véritable mythe de la fin du siècle, la décadence donne naissance à une esthétique littéraire : le décadentisme. Mais elle agit également sur les anarchistes, qui y voient l'occasion de faire émerger une société nouvelle. Cette analyse jette ainsi un regard nouveau sur les liens entre politique et littérature. La bombe et le livre se superposent, l'utopie anarchiste et l'imaginaire décadent se télescopent. Ce cocktail détonnant laisse entrevoir une intense période de création littéraire et d'ébullition politique. Il questionne les représentations du progrès et de l'histoire, et signale l'émergence de l'artiste d'avant-garde, révolutionnaire en art et en politique.
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Bonnes lectures !
Crédit : Rudy Matile, la prise de son, d'image et montage vidéo
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