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sur 985 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  

°°° rentrée littéraire 2020 #20 °°°

Immersion immédiate dans la rugosité arctique de l'île de Vardø, dans le Finnmark, aux confins de la Norvège en 1617. Les premières pages, saisissantes et inquiétantes, laissent planer un malaise qui ne se dissipera jamais : le rêve prophétique d'une jeune fille, elle s'accroche à une baleine échouée sur une plage pendant que l'animal, encore vivant, est dépecé, son oeil plongé dans celui de Maren.

L'intrigue, inspirée d'une histoire vraie, est excellente et l'auteur exploite parfaitement son potentiel romanesque. Une tempête phénoménale éclate pendant que les hommes de Vardø sont partis pêcher, décrite au plus près des corps et des sensations. Aucun n'y survivra. Les femmes doivent gérer seules la pêche et la construction en plus des travaux domestiques habituels ... jusqu'à ce que le roi Christian II introduise en Norvège des lois contre la sorcellerie visant particulièrement le peuple autochtone des Samis, jusqu'à ce que débarque à Vardø un délégué du gouverneur envoyé pour remettre de l'ordre, dans cette société de femmes, accompagné de sa jeune épouse.

Le casting de personnages est puissant et complet : on a Maren, la jeune fille intelligente et ouverte, l'émancipée presque féministe ( si ce n'était anachronique ) prête à braver les interdits de la société patriarcale, la jeune étrangère bourgeoise complètement décalée dans cette société austère et pauvre, la bruyante dévote malintentionnée, la Sami qui nourrit les préjugés, et bien sûr le terrifiant délégué, un chasseur de sorcières expérimenté. C'est assez manichéen, il manque sans doute quelques nuances de gris dans ces personnages, mais le procédé est tellement efficace et emporte tellement l'empathie que le lecteur marche à fond !

En fait, tous les ingrédients sont là pour que cette lecture soit captivante : des personnages forts, des décors spectaculairement rudes, une atmosphère historique tendue très bien rendue, une grande richesse de détails pour décrire la vie quotidienne dans cette région isolée du cercle arctique, une écriture soignée et précise. Et un engagement féministe en faveur de l'émancipation des femmes qu'on ne peut qu'applaudir.

Le récit, très clair, tient en haleine. le souffle romanesque est bien là, porté par des passages vraiment remarquables, surtout lorsque le point de vue passe à Ursa, la jeune épouse du délégué. C'est le personnage le plus intéressant car le moins linéaire, celui dont les lignes bougent au contact de l'autre héroïne, Maren. le récit de sa nuit de noces qui sonne le glas de ses rêves de jeune fille est juste admirable dans sa façon de restituer le chamboulement douloureux de sa psyché tout comme les sensations du corps meurtri.

Mon seul bémol se porte sur la tournure que prend la relation entre Maren et Ursa, pas nécessaire tant le récit a suffisamment de caractère et de vie pour ne pas le surcharger d'une émotion supplémentaire qui brouille quelque peu sa remarquable âpreté. Mais peu importe, Les Graciées est une excellente fiction historique, très opportune, qui résonne de façon très contemporaine en dénonçant le danger d'être emporté dans un tourbillon de démagogie, à connotation religieuse ou pas. J'ai souvent songé au travail de Tracy Chevalier - en plus musclé – avec ces personnages féminins emportés dans une quête de liberté.

A noter que l'île de Vardø abrite la dernière oeuvre de la grande Louise Bourgeois, un mémorial réalisé avec l'architecte Peter Zumthor pour rappeler la chasse aux sorcières qui s'est abattue ici au XVIIIème siècle.
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"Les Graciées", c'est l'histoire d'une chasse aux sorcières, au sens propre du terme, inspirée de faits réels qui se sont déroulés vers 1620 dans l'île de Vardø, à l'extrême nord-est de la Norvège, au-delà du cercle polaire.
Dans ces contrées lointaines au climat et aux conditions de vie très rudes, une violente tempête vient de causer la mort de 40 pêcheurs, soit la quasi-totalité des hommes du village. Les femmes doivent donc tout prendre en charge pour survivre, à commencer par la pêche. Des femmes qui prennent leur vie en mains, voilà qui semble suspect aux yeux des plus bigotes et des hommes des villages voisins...
A la même époque, le roi Christian IV de Norvège promulgue des lois contre la sorcellerie, inspirées de celles prises par le roi Jacques Stuart d'Écosse et de son traité de démonologie. Son but était d'affirmer l'emprise de l'Église luthérienne et de "christianiser" les Samis, peuple nomade aux traditions chamaniques, connu pour parler aux esprits et commander aux vents. Une population qui n'a que faire de l'autorité du pouvoir central ou de Dieu, voilà qui semble hautement blâmable aux yeux du gouvernement et du clergé...
C'est dans ce contexte de répression qu'Absalom Cornet débarque à Vardø. Cet Écossais fanatique, expert chasseur, est chargé de purifier la région de ces forces maléfiques. Une charge qu'il conçoit comme un sacerdoce, convaincu jusqu'à la moelle que tout ce qui n'est pas conforme à la religion est nécessairement l'oeuvre du diable et doit donc être éradiqué. Il ne faudra pas longtemps après l'arrivée de Cornet pour que les femmes de Vardø se divisent en deux clans, les féroces grenouilles de bénitier et les autres, ouvertement rebelles ou résistantes silencieuses. Entre les deux, Ursa, jeune femme norvégienne que Cornet a épousé à la faveur d'un mariage arrangé juste avant d'embarquer pour Vardø, doit s'adapter (ou pas) à sa nouvelle vie d'épouse soumise et à des conditions de vie auxquelles son relatif confort bourgeois de Bergen ne l'avait pas préparée. Au contact de la jeune Maren, elle prend conscience qu'il existe un chemin vers l'émancipation.

Récit d'une tragédie annoncée, "Les Graciées" est un roman captivant et très fluide. Avec sa narration linéaire et une intrigue sans vraie surprise, il (re)met en lumière un épisode historique dans lequel les hommes (avec l'aide de certaines femmes), sous couvert de religion, ont cherché à imposer leur domination sur les femmes et sur un peuple ayant l'audace de vivre différemment, à la marge de la "civilisation". Un exemple parfait d'obscurantisme, de fanatisme et de stupidité au service du Pouvoir, ce but ultime. Même si les personnages sont un peu stéréotypés et même si la ligne entre les gentils et les méchants est beaucoup trop claire, ce roman d'émancipation et de (in)tolérance, qui fait froid dans le dos, est un texte puissant et nécessaire, tant il résonne encore à l'heure actuelle.

En partenariat avec les Editions Robert Laffont via Netgalley.
#LesGraciées #NetGalleyFrance
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Au Nord-Est de la Norvège non loin du cercle polaire, le petit village de Vardo au bord de l'Océan. Nous sommes à la veille de Noël, en 1617, une terrible tempête, subite se produit et emporte les pêcheurs partis en mer. Quarante hommes vont disparaître dont le père et le frère de Maren, la jeune héroïne que nous suivrons tout au long du roman.
Les femmes vont devoir se débrouiller sans l'aide des hommes.
Sans végétaux, il n'est pas étonnant de voir quelle importance ont les baleines et les phoques dans leur nourriture et leur habillement.
On parlerait bien du 17ème siècle mais là, j'ai l'impression que nous sommes bien avant dans L Histoire.
Un point commun avec nos régions se retrouve dans la chasse aux hérétiques, aux sorcières, la volonté des autorités d'installer une religion unique.
Le représentant du seigneur et sa femme Ursa débarquent dans l'île. le mari, un Ecossais ne supporte pas ce territoire éloigné et ses habitants.
Sa femme, Ursa, se lie d'amitié avec Maren.
L'analphabétisme et l'intolérance sont de réels freins pour l'évolution.
Dans les faits, il est vrai que la chasse aux sorcières dans ces régions dépassait toute logique, partout d'ailleurs quand on y pense. Pour que des représentants du roi accusent des femmes d'avoir déclenché une tempête, il faut déjà être loin dans la croyance en la sorcellerie et dans la bêtise.
Même si le livre est très intéressant, je l'ai entrecoupé de lectures plus légères car l'ambiance est parfois pesante, cruelle même, surtout la fin. Maren âgée d'à peine 20 ans et Ursa, la femme de l'envoyé du seigneur se montrent très vraies, très combatives et se lient d'une amitié profonde, désespérée dans leur attachement l'une à l'autre. Ursa est dégoûtée par les agissements de son mari.
Kiran Millwood Hargrave, l'auteure, a 30 ans, vit près de Londres .
"Les graciées" , sur fond historique réel , est son premier roman pour les adultes.


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Un titre qui sonne ironiquement quand on referme le livre, car la miséricorde divine ou terrestre laisse à désirer dans ce récit très prenant.

Des personnages mûrement calculés pour nous permettre de glisser sur le toboggan de l'identification sans rechigner. Il est plaisant de se fondre tour à tour dans les 2 narratrices principales, composant avec des valeurs seyantes et qui donnent le teint rose: empathie, fraîcheur existentielle, sens de l'équité, loyauté.

Inutile de dire que cet équipement moral trouvera du répondant dans la face obscure de leurs concitoyens.
Le récit est habilement mené, on a l'impression d'être du coin depuis 30 ans et d'avoir parcouru le village 1000 fois, être devenu expert en confection de galettes de pain sur cheminée, pouvoir décrypter les ragots à distance. le rouleau compresseur de la connerie est facilement anticipable aussi et on sait rapidement que rien ne pourra l'arrêter.


Le fait que ce soit inspiré de faits réels ne surprend pas mais peine plus encore. Dans les années 1620, Christian IV, roi du territoire Danemark-Norvège, veut faire parler de lui. Partisan d'un luthéranisme strict, il délègue son excellent ami Cunningham au nord du pays pour répandre la bonne parole et remettre dans le droit chemin les Samis, population indigène aux pratiques par trop païennes. le bon pasteur fera exécuter une centaine de personnes pour sorcellerie (pour la plupart, des femmes et une bonne partie de Norvégiennes).


La pression morale qui monte insidieusement mais sûrement est très bien amenée, obligeant servilement toute la population à la bigoterie sous peine de s'afficher comme réfractaire et de moeurs douteuses. Les jalousies personnelles y trouveront aussi un formidable exutoire; comme il est doux et simple d'accuser sa voisine de sorcellerie, les preuves abondent soudainement.
Est bien rendue également la facilité avec laquelle la religion peut servir de tremplin à des personnalités en mal de reconnaissance et de pouvoir personnel, exaltant un ego aux dimensions de fat boy.


Donc un bon livre sur les névroses sociales, l'adhésion grégaire, la religion comme moyen de sujétion de masse, l'idéologie comme expression d'une mégalomanie personnelle.

L'histoire amoureuse ballonne par contre un petit peu, le rythme n'étant pas raccord avec le reste du récit, on piétine en sabots sur les belles peaux de renne.


Il nous reste en mémoire de très belles personnalités et des paysages envahissants de réalisme, un fameux voyage !
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Inutile de faire un long commentaire : tout a été dit déjà.

Très beau livre qui nous plonge au coeur de la froideur glacée, rugueuse , ô combien , du comté de Finmark, Nord- est de la Norvège, en 1617.

Nous sommes pris aux tripes dés le début du récit , angoissant, saisissant tellement que l'on le relit, —- une jeune fille de vingt ans , Maren, avait rêvé , la veille de la fameuse tempête arrivée en un «  claquement de doigts » , qu'elle s'accrochait à une baleine immobilisée sur une plage: «  Que le goût de de la graisse animale imprégnait sa langue, un goût persistant , impossible à effacer » .....
L'intrigue passionnante , de bout en bout , entre odeurs âcres, rudes travaux , doigts calleux, poils dressés, cris et vibrations , décors rudes, détails intéressants de la vie quotidienne, village froid et boueux, nous conte cette sombre page de l'histoire du royaume , le poids écrasant , bouleversant d'une religion , régentant avec force les consciences ....

Suite à l'extrême violence de la tempête , le 24 décembre 1617, causant la mort de quarante pêcheurs , soit la presque totalité des hommes du village les femmes, dans cette contrée déjà dépeuplée et isolée, devront prendre tout en charge même la pêche.
Inspiré de faits réels , chasse aux sorcières en toile de fond, nous vivons en immersion le chassé croisé de deux femmes : des écorchées vives, Ursa la courageuse, a été arrachée à sa vie citadine et envoyée dans ces terres glacées avec son mari, le représentant du seigneur, Maren la taciturne comme anesthésiée par les pertes de son père , son frère et son fiancé .

Toutes deux aspireront à la liberté de croire, d'aimer et de penser .

Modernes très tôt , préfigureront- elles déjà le siècle des lumières ?

Âpre , fort, puissant , intéressant , instructif , racontant les gens et la manière dont ils ont vécu , très belle écriture !
«  Tandis qu'elle avance d'un pas , l'image d'Ursa emplit ses pensées , Ursa, la première et unique personne à avoir compris qui elle était. Et cela lui suffit » ...
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1617. La Norvège aux confins du cercle polaire arctique.
Un village de pêcheurs. Une tempête. Une tempête suffisamment imprévue et monstrueuse pour tuer tous les hommes du village. Restent les femmes, les enfants et les vieillards. Pas le choix si elles veulent survivre, elles doivent prendre en main leur destinée.
1620. La Norvège envoie un délégué pour s'assurer de la christianisation des provinces éloignées du royaume. Dans le viseur, population autochtone (les Samis) et les sorcières... Alors des femmes qui survivent sans hommes, vous imaginez !

Un roman tiré de faits tristement réels.
En "vrai" (j'ai l'impression de parler comme mes ados de filles !) 8 femmes seront accusées d'avoir provoquer la tempête afin de tuer leurs maris. 8 femmes torturées puis brûlées vives.
On sent la menace durant tout le roman, l'oppression qui arrive avec cet homme intégriste, fou...

Un bémol : j'ai moins apprécié les pages concernant l'épouse de ce représentant version jeune fille chez ses parents, dans le sud de la Norvège. L'intérêt m'a quelque peu échappé.

Un bon roman intéressant.
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La Laponie, pour moi, c'est le Père-Noël et ses lutins. Des gens sympathiques.
Au XVIIe siècle, au nord de la Norvège, les Lapons (terme péjoratif désignant les Samis) étaient perçus comme des créatures du Diable : 'sorcières, chamanes, ensorceleurs de vent'.
Le roi d'alors, Christian IV, était un luthérien sévère qui entendait mettre un terme à leurs cultes païens (grigris, runes). Il les croyait en effet capables de 'contrôler les éléments' au point de déclencher de terribles tempêtes, comme celle de l'île de Vardø en 1617 où périrent quarante marins.
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Inspirée de faits réels, la chasse aux sorcières racontée ici par Kiran Millwood Hargrave est à l'image de celles qui se sont succédé au cours de l'histoire de l'humanité, sous diverses formes et pour différents prétextes : conquête d'un territoire, évangélisation/acculturation, élimination de populations indigènes.
Avec cette lecture, on ne sait pas très bien ce qui pousse les Inquisiteurs à ce grand nettoyage meurtrier. Ont-ils réellement peur de ces supposés pouvoirs maléfiques, qui seraient supérieurs à ceux de leur dieu unique ? S'agit-il plutôt de contrôler les esprits et d'éliminer toute tentative de dissidence ?
Ma lecture actuelle de 'Sapiens' (Yuval Noah Harari, version BD) ne m'éclaire guère car je ne suis pas totalement d'accord avec les thèses de l'auteur sur les guerres.
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Grâce à ce roman, j'ai eu le plaisir de partir 400 ans en arrière, et de parcourir 4 000 km vers le nord.
Les paysages somptueux de cette petite île norvégienne font rêver, même si le climat hostile et les conditions de vie des familles de pêcheurs du XVIIe siècle ont de quoi refroidir.
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Dans cette intrigue riche et passionnante, les personnages féminins & leurs interactions sont intéressants, mais le côté bluette m'a agacée.
Malgré des phrases à la fois simples et bien construites, la lecture m'a paru fastidieuse. J'ai souvent dû revenir en arrière pour comprendre qui faisait/disait/pensait quoi, alors que j'avais bien mémorisé les noms. Style décousu de l'auteur ou problème de traduction ? Apik, qui partage cette impression, n'a d'ailleurs pas réussi à aller au-delà de 50 pages, malgré mes encouragements.
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A lire pour le dépaysement et la page d'Histoire. Et pour connaître le prix des conquêtes occidentales et/ou religieuses sur les esprits et sur les vies...
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🤨😒 nouveau bug : le lien vers la vidéo se transforme 😡
♪♫ pour la chanson, taper : youtube rita sorcière
(cliquer sur le clip de 4.59)
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Kiran Millwood Hargrave, jeune poétesse, s'est inspirée, pour son premier roman, de faits tristement réels : la folie du pouvoir, l'obscurantisme et l'intégrisme religieux qui ont provoqué au Danemark-Norvège, au 16ème siècle, une impitoyable chasse aux sorcières derrière laquelle se cachait la volonté d'éradiquer tout un peuple, les Samis. Non conformes à une société lisse et obéissante, ceux-ci ont été persécutés et massacrés pendant plus d'un siècle. Afin de rendre hommage à ces hommes et ces femmes, l'auteure a choisi le romanesque avec une histoire bouleversante entre deux femmes opposées par la naissance mais réunies par un amour incandescent. L'immersion dans un autre monde, dans une autre époque est totalement réussie tant l'écriture de Kiran Millwood Hargrave est précise, descriptive tout en étant romanesque.
Les Graciées est un livre qui a la grâce et que j'ai refermé à la fois bouleversée et révoltée.


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On pourrait dire que ce roman historique de Kiran Millwood Hargrave nous conte une histoire de sorcières. Mais ce serait prendre le parti de ceux qui, en qualifiant ainsi les femmes qu'ils voulaient éliminer, exerçaient l'abus de pouvoir que leur autorisait leurs position et statut.

Au XVIIème siècle la puissance était apanage d'une église qui n'admettait ni concurrence ni contradiction. Qualifier de sorcellerie et condamner pour ce motif était le moyen le plus sûr et le plus expéditif de se débarrasser de celles et ceux qui ne se rangeaient pas sur ses bancs. L'église ayant pris la précaution de gagner le pouvoir temporel à sa cause pour en faire son bras armé. Une manière aussi de se disculper de la violence induite par sa volonté de conquérir le monopole de la gouvernance des consciences.

Cet ouvrage tient son intrigue à l'extrême nord de la Norvège, en pays lapon. En une contrée où un peuple rude vit de l'élevage du renne et n'a que faire d'un dieu voulant s'imposer dans son environnement inhospitalier. Mais c'est oublier la pugnacité des prêcheurs de ce dieu. Un dieu qui n'admet pas que des êtres, ne se connaissant pas d'âme, puissent diriger leurs dévotions vers les esprits d'une Nature qui commande à leur vie. C'est ainsi qu'Abaslom Cornet, venu de la lointaine écosse où son roi Jacques IV a rédigé un traité de démonologie, se mets en demeure de faire rejoindre le troupeau du Seigneur à ces brebis égarées. Les récalcitrants auront tôt fait d'être éradiqués. Il suffit de les taxer de sorcellerie, avec le sort qui s'attache à pareil engeance.

La technique est rodée. Il n'y a rien à prouver. Les dénonciations suffisent. Les rancoeurs et jalousie fleurissent aussi bien dans les steppes glaciaires que partout sur cette vieille terre. Une chose et son contraire feront ensuite très bien l'affaire pour convaincre l'accusé du tort dont on veut l'affubler. Il n'est que de lire l'une des méthodes de persuasion pour le confirmer : l'accusé est précipité dans la mer glacée. S'il se noie il est innocent. S'il en réchappe, c'est que le diable est venu à son secours, il est donc coupable. Il se réchauffera sur le bûcher. L'alternative est engageante.

Cet inquisiteur des terres septentrionales a convolé en justes noces quelques jours avant de prendre son poste en ces terres inhospitalières. Son épouse ne tarde pas à découvrir le monstre qui partage sa couche et pour lequel elle éprouve vite de la répulsion. Celle-ci prend fait et cause pour une villageoise du cru, qui de servante est devenue sa confidente et avec laquelle elle bâtit une relation dont la spontanéité et la sincérité lui font connaître un sentiment absent de sa vie conjugale. Avec toute la prudence que le contexte historique et sociologique imposait aux femmes en particulier en ces temps d'obscurantisme.

L'intrigue monte très progressivement en intensité dramatique et impose aux sentiments une longue maturation avant de se déclarer dans leur complète ferveur. Kiran a su restituer l'austérité du siècle et du milieu au point de gagner son lecteur à l'atmosphère d'indigence et de peur qui pouvait régner sous ces latitudes et sous la férule d'une église conquérante. L'ouvrage peut même parfois en devenir rebutant, présenter des longueurs notamment en ses premières parties. Mais cela reste un bon roman dont le contexte historique est rehaussé par cette relation singulière et touchante qui s'établit entre deux femmes dans une atmosphère glaciale et tendue. J'ai trouvé toutefois que le style souffrait d'une traduction trop moderne, ôtant de la patine au texte, sauf à ce que la version originale l'impose bien entendu. Les dialogues sont intégrés au texte et manque d'évidence à la lecture, il faut être attentifs aux guillemets pour ne rien manquer des échanges.

Un ouvrage qui met aussi l'accent sur la condition féminine quand le mâle dominant veillait au grain pour ne rien perdre de ses prérogatives. Un roman que j'ai rapproché d'une lecture précédente, Les sorcières de Pendle de Stacey Hall qui abordait le même thème dans l'Angleterre de Jacques 1er. (Jacques IV d'Ecosse était devenu roi d'Angleterre sous le nom de Jacques 1er).
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Dans les coups de coeur de grandes sagas littéraires de cette fin d'année, impossible de ne pas parler des Graciées, premier roman de Kiran Millwood Hargrave, nous plonge dans la Norvège du XVIIe siècle, où la religion dicte sa loi et la chasse aux sorcières fait rage.
On est au XVIIe siècle à Vardø, extrême nord-est de la Norvège, où une tempête a emporté tous les hommes du village alors qu'ils étaient partis pêcher en mer.

Ne reste plus que les femmes et les enfants qui tentent de trouver une nouvelle organisation pour tenter de survivre à cette apocalypse. Mais c'est peu de dire qu' un village de femmes, ça ne plaît pas à tous le monde et c'est ainsi que le clergé va mener une chasse aux sorcières .

Kiran Millwod Hargrave nous dit beaucoup des coutumes norvégiennes de l'époque .
.La romancière raconte comme nulle autre pareille ces femmes, ces persécutées, ces laissées-pour-compte, grâce à une plume visuelle, charnelle qui noys plonge dans cette nature particulièrement hostiledans le froid et la boue.

Et comme pour tous les beaux romans historiques, celui ci résonne encore cruellement aujourd'hui.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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