« Il était une fois un homme, un brave homme audacieux, qui ne voulait pas mourir. Cet homme savait que la mort existe. Il savait même qu'elle se manifeste tous les jours. Seulement, il ne pouvait pas croire qu'elle le menaçait, lui, personnellement ». Ce style de conte, discrètement ironique, ouvre un récit subtil.
L'homme est le voisin de la narratrice. Il est courtois, distant par principe ou par précaution. C'est un bon voisin dans un monde policé d'où les contraintes matérielles sont exclues, — la bulle helvétique, quelque part près de Genève. Cet homme est un solitaire. Détaché d'une femme qui parait le quitter dans l'indifférence, au premier jour du conte, affecté par un deuil qu'il rapporte sans émotion. Il s'active dans un métier indéfini qui le fait souvent voyager, et sa présentation gomme toute manifestation superflue de personnalité. Mais surviennent un cancer, puis le confinement — nous sommes en 2020.
Le second personnage est la narratrice. Elle propose son aide. le voisin apprécie cette offre, mais s'il l'accepte, c'est par courtoisie autant que par besoin. Certes, il admet le diagnostic des médecins, les écoute assurer avec bonhomie qu'il leur reste des ressources, accepte leurs traitements. Seulement, il ne croit pas à l'issue fatale. Il souffre et réagit à la souffrance, les antalgiques lui permettant de ne pas se sentir concerné. La chirurgie, les rayons, la chimiothérapie : ces contingences sont des évènements extérieurs. Puisqu'il les accepte, il ne s'agit pas d'un déni, mais de l'impératif abstrait de persévérer dans son être, ou simplement d'une fuite : de fait, il programme un nouveau voyage dont il doit rentrer par un transport d'urgence. Et la voisine comprend, ou du moins elle admet. C'est elle qui dialogue avec les soignants et affronte les affres de l'inexorable déclin. Elle garde pour elle ses propres émotions, souffre pour l'homme, respecte son mystère. Et sa présence maintient l'humanité du corps perdu, reconstruit l'antique figure du prochain. L'homme s'en étonne. Elle répond : « Je lui dis que ce que j'étais en train de faire auprès de lui, des millions d'autres personnes le faisaient aussi, à cet instant précis, des femmes avant tout. Non par goût, mais pour que la vie en société soit possible ».
La précision du style et l'élégance du récit vont de pair : gestes du quotidien, arrivée de l'hiver, métaphores de la vie qui s'éloigne. Un conte moral comme on n'en lit guère.
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Un récit du quotidien, des émotions et malentendus qui se nouent entre deux personnes en relation, qui se déroule lentement dans cette intimité de voisinage, faite de questions, d’empathie, de pudeur et d’agacement en période de pandémie [...].
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
En choisissant d’adopter le « regard retiré à l’intérieur de lui-même » qu’ont parfois les personnes très malades, l’autrice sait que l’éloignement qu’elle cherche à capter est fragile et bouleversant. Mais elle le fait de façon mobile et changeante, en quarante-cinq brèves séquences qui forment comme des mouvements de danse ou des paysages successifs vus d’un train.
Lire la critique sur le site : LeMonde
« Lorsque m’agenouillai pour lui enfiler chaussettes et chaussures, mon voisin me qualifia d’ange. Ce mot me crispa tout entière. Pas le mot en lui-même, plutôt ce genre de mot, lâché dans ce genre de circonstance. Quand je me relevai, je lui annonçai que je n’étais pas un ange. Absolument pas. Il me regarda, interloqué. Le moment n’était pas bien choisi. Je décidai de l’éclairer tout de même. Je lui dis que ce que j’étais en train de faire auprès de lui, des millions d’autres personnes le faisaient aussi, à cet instant précis, des femmes avant tout. Non par goût, mais pour que la vie en société soit possible », p 91.
« J’avais dû traverser plusieurs espaces dominés par des couleurs blanches et grises, tranchées seulement par les teintes vives des chaussures de travail porté par des soignantes et techniciennes. Aucune d’entre elles ne m’accorda de l’attention. Il y avait aussi beaucoup de matières plastiques, et du métal. Et puis de l’air qui n’en était pas, ne circulait pas. Je n’étais pas parvenue à le sentir, ce qui provoque toujours chez moi un début de panique. J’avais tenté de me rassurer en me disant que tout avait dû être réglé au millimètre par la science, afin que nous survivions », p 30.
Catherine Lovey présente son nouveau roman, "histoire de l'homme qui ne voulait pas mourir", en librairie le 02.02.2024.