Je referme ce livre avec une impression qui se situe quelque part entre déception et confusion, et le regret de ne pas trouver spontanément ce que je pourrais bien en dire de positif… Eh oui ! même pour les livres que je n'ai pas aimés, j'aime trouver au moins un point agréable à relever, mais ici… C'est le comble quand on sait que j'ai reçu ce livre dans le cadre d'une Masse critique privilégiée, et qu'en plus j'ai bien pris mon temps avant d'y venir. Il faut dire, j'ai des circonstances atténuantes à mon grand retard, aussi : j'ai changé de boulot mi-juillet, ai reçu le livre dans ces eaux-là, peu après je suis partie pour 3 semaines de vacances itinérantes en famille au cours desquelles je n'ai pas lu une seule ligne de quelque livre que ce soit (à peine l'un ou l'autre dépliant touristique) ; enfin, retour dans ce nouveau boulot qui a actuellement toute ma priorité, bref…
Dois-je remercier Babelio et les éditions du Seuil pour cet envoi, ou au contraire me dire qu'ainsi ils auront trouvé un lectorat, car autrement, qui achèterait un tel livre ?
Commençons par la forme : je ne connais pas bien le slam, et n'en suis pas particulièrement friande, sans pour autant le rejeter. Il y a, comme dans toute expression artistique j'en suis certaine, quelque chose à y trouver. Encore faut-il y être sensible au moment où il vient à vous, l'autrice le laisse entendre elle-même, donnant ainsi (peut-être) un petit côté autobiographique à l'histoire d'
Eunice. Hélas, pour ma part, si ça n'a pas rendu la lecture plus laborieuse qu'une autre, ça ne m'a pas non plus particulièrement touchée, du tout.
Car oui, il faut le souligner si vous ne le savez pas encore : l'autrice est clairement catégorisée slameuse, et s'est servie de cette discipline où apparemment elle excelle, pour écrire tout un roman. Était-ce trop ? À coups de phrases courtes et qui se veulent percutantes, parfois juste un simple mot, et des répétitions qui accentuent cette ambiance, comme « Souffle,
Eunice, souffle ! » (souvent typographiées en 3 lignes, une par mot), elle finit cependant par essouffler le lecteur – moi en tout cas - qui voudrait bien, enfin, trouver un vrai contenu. Mais j'y reviens.
Pour rester dans la forme, je regrette de devoir dire que j'ai trouvé une horrible faute d'orthographe ; à vrai dire, il y en a peut-être d'autres, mais je n'ai pas passé ma lecture à les relever pour le plaisir. Toutefois, celle-là est tellement énorme, du niveau qu'on signale aux enfants de primaire parmi les homonymes auxquels il faut être attentif, que je ne peux pas la taire.
À la page 57 : « Cet homme qui te sert la main à la cérémonie des funérailles (…). »
De l'expression « servir la main » alors ? Parce que « il sert » est la 3e personne du singulier de l'indicatif présent du verbe « servir ». Pour le verbe « serrer » (la main), il aurait fallu écrire « il serre » ! Je ne sais si c'est du fait de l'autrice, mais dans tous les cas, comment les correcteurs des éditions du Seuil, maison respectable s'il en est, ont-ils pu laisser passer un truc pareil ? J'en ai les yeux qui saignent encore…
Enfin, un petit mot vite fait au cas où vous liriez ce commentaire après en avoir lu d'autres : plusieurs autres lecteurs parlent du langage crû que l'autrice utilise abondamment dans ce roman, allant jusqu'à s'en trouver choqués. Bon, il est vrai qu'
Eunice met ses doigts dans des chattes (ou inversement, ou en rêve) plus souvent qu'à son tour, et cela est dit sans réelle finesse, avec le seul souci vraisemblable de provoquer le lecteur… Provoc pour provoc, ok, mais de là à choquer ? Pour moi qui lis de temps en temps des romances « hot », j'ai déjà lu bien pire, certes pas dans un contexte de littérature dite blanche alors, mais à nouveau : ça ne m'a pas choquée. C'est juste le symptôme le plus visible de la volonté affichée de l'autrice de provoquer. Plus que gratuitement.
Venons-en donc au contenu.
Le 4e de couverture (que j'ai survolé plus que je ne l'ai lu) laisse entendre qu'on va suivre l'enquête vaguement policière d'une jeune fille de 19 ans qui, au lendemain de la rupture douloureuse (car subie) par son copain du moment, et la cuite avec laquelle elle a tenté d'anesthésier sa douleur, apprend le décès accidentel de sa mère. C'est vrai que, en disant cela et en relisant ledit 4e, je me rends compte que j'ai sans doute surinterprété ce qui est réellement écrit, influencée en plus par la couverture très noire du livre, avec ces quelques fleurs rouge (sang) ; couverture si typique des polars et autres thrillers ! Pourtant, il ne s'agira jamais d'enquête, le préfixe « en- » est de trop.
Eunice s'engage en réalité dans une véritable quête (tout court) d'identité : à la recherche du passé de sa mère et du reste de la famille, à la recherche des ses démons d'enfance auxquels se confronter, à la recherche d'elle-même en somme,
Eunice va enmener le lecteur tout au long de son propre cheminement.
Dit comme ça, ça pourrait sans aucun doute être un chouette livre, mais la mayonnaise ne prend pas…
D'abord parce que tout le livre est écrit à la forme de « tu ». Certes, la prouesse littéraire (ah ! j'ai trouvé un truc positif) peut être saluée, car on n'a pas ici le « tu » de l'écrivain qui aurait délibérément choisi la 2e personne du singulier pour le seul fait de se démarquer. Oh ! bien sûr ça démarque l'autrice ! Mais ici ça va au-delà de la simple singularité : on a plutôt l'impression, et dès les premières lignes, que c'est
Eunice en personne qui s'adresse… à elle-même, comme dans un effet miroir qui sert aussi à se protéger, à prendre de la distance par rapport à elle-même dans sa quête. Cet effet-là est assez réussi, eh oui ! même s'il est indéniablement déroutant : les romans écrits à la 2e personne du singulier ne sont pas légion, et présentent dès lors cette petite difficulté de plus qu'il faut apprivoiser. Je pense y être parvenue, sans trop de mal finalement, mais il faut quand même souligner que ça ne simplifie pas les choses.
Ensuite, l'autrice s'affiche (sur les réseaux) comme une féministe engagée, et bien évidemment elle n'a pas pu s'empêcher de mettre en avant ce combat à travers tout le livre. Sauf que… était-ce bien nécessaire d'en rajouter encore et encore ? Les hommes sont tous des brutes épaisses contre qui il faut se défendre toutes griffes dehors… sauf papa (et on a tout un paragraphe qui explique comment
Eunice se réconcilie avec son géniteur qui, avant ça, lui était tout au plus indifférent) : était-ce vraiment nécessaire d'asséner un tel message encore et encore, à temps et à contre-temps, même (et surtout) quand c'est inutile à l'histoire d'
Eunice, mais on en rajoute une couche, des couches, parce que c'est dans l'air du temps ? Lassitude…
Pire, dans ce qui devient un véritable rejet des hommes en général, sans aucune nuance, notre
Eunice (ou l'autrice) fait un véritable melting-pot dans lequel elle englobe toute une série d'autres sujets sociétaux, qui ont encore moins de réel intérêt dans l'histoire d'
Eunice, ou qui le montrent tout au plus comme une jeune fille complètement névrosée sans aucun esprit critique. Et que je te fustige les hommes (y compris le petit vieux qui vient déclamer son slam parce qu'il ne correspond pas aux standards attendus, mais ouf on le regrette le lendemain matin !), et que je te critique les banques et la société capitaliste, et que je te crache sur l'école qui ne fait que déformer et terroriser les pauvres petits élèves innocents, etc., etc.
Que veut-elle dire avec tout cela ? Quel est son message ? Il y a tant de sujets (à la mode) abordés, d'un point de vue résolument revendicateur et/ou provocateur, qu'on s'y perd, on ne suit pas, on ne comprend plus ce que l'autrice (ou
Eunice) veut réellement dire.
Quel est son message ? Quelle est la conclusion ? Vive l'anarchie ?
Si l'autrice ne va pas jusque-là, elle a quand même atteint la limite de ce que je peux tolérer dans un livre, avec un seul petit paragraphe à la page 132. Il m'arrive de dépasser mes limites en lisant, c'est même parfois grisant, mais là c'est tout simplement trop, et ce paragraphe reste inscrit en moi comme une incompréhension totale, une généralisation tellement gratuite que c'en est dangereux – comment peut-on écrire ça, et comment peut-on le publier ? Surtout quand on se targue de vouloir aider des femmes victimes de systèmes totalitaires…
« Les monuments aux morts vous encerclent et semblent encore plus lugubres que durant la journée. Vous n'éprouvez pas une once de compassion pour ces gens, tombés sous les balles pour défendre la patrie. Se faire flinguer pour un drapeau ou une frontière, vous trouvez ça con. »
Alors, oui, les guerres c'est con, on est bien d'accord. Mais en l'occurrence, ces monuments aux morts, dans nos pays du moins, sont ceux qui rendent hommage à tous ceux qui sont tombés « pour la patrie », formule toute faite et bien réductrice au vu de la réalité… Visiblement, notre
Eunice a été tellement dégoûtée de l'école qu'elle n'a jamais rien écouté à ses cours d'Histoire (mais se moque implicitement d'une infirmière qui ne sait pas qui est
Jean d'Ormesson). Alors, il faut réapprendre à notre super-féministe que, si elle peut aujourd'hui « bouffer du gazon » (c'est elle-même qui le dit à un moment donné) avec sa Jennah, sans que personne y trouve à redire sauf quelques indécrotables abrutis mal-intentionnés, c'est aussi grâce à « ces gens » qu'elle trouve tellement cons ! Eux qui se sont battus contre le Monstre, contre la Bête immonde qu'a été le nazisme… Ne sait-elle donc pas que, si « ces gens » n'avaient pas réussi à contrer l'horreur absolue, si la grande Germanie voulue par Hitler avait vaincu « ces gens », elle serait aujourd'hui – si seulement on l'avait laissé naître - dans un camp de concentration en train de crever à cause de ses préférences sexuelles tellement librement affichées ?
Est-ce
Eunice qui écrit cela, soulignant ainsi de façon dramatique le manque d'une certaine connaissance historique élémentaire chez nos jeunes ?
Eunice étant censée avoir 19 ans, mais comme je disais, il y a une confusion entre le personnage et l'autrice. Serait-ce alors l'autrice qui pense réellement ce qu'elle a écrit dans ce petit paragraphe qui m'a tant bouleversé tant il est inadmissible ?
« Liberté, j'écris ton nom… » disait un autre poète, mais il faisait quant à lui partie de ces combattants - non militaire, certes, mais tout autant combattant ! Était-il donc lui aussi « con » aux yeux de notre
Eunice / autrice ?...
Oui, on peut se battre avec des mots, quel que soit le combat, mais dire n'importe quoi au nom de ce combat ?
Eunice, dans sa quête et son combat, crache indifféremment sur toutes les tombes, y compris sur celles qu'elle aurait dû apprendre à respecter, au moins un peu… Moi, ça me donne une seule envie : cracher sur ce livre qui mélange tout sans aucun intérêt.
Bref, merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m'avoir confié ce livre… mais non merci !