Dans ce premier roman,
Anna Logon explore le thème de la condition féminine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, un sujet déjà abordé à de multiples reprises dans les romans historiques. Ce roman apporte-t-il un oeil différent sur la question ?
Une femme de caractère...
L'héroïne, Charlotte, n'est pas un personnage comme les autres. Certes elle a eu la chance de naître, en 1868, dans une famille plutôt aisée de province ; son père dirige une fonderie. Mais un premier malheur l'atteint quelques années plus tard, en 1871, lorsque sa mère, Antoinette, meurt en accouchant. Charlotte grandit alors dans la mémoire de cette mère partie trop tôt, entre un père taciturne, mais pourtant aimant, et son jeune frère, Hubert, pour le moins turbulent. Très tôt, la jeune Charlotte fait montre d'une grande curiosité, elle a soif d'apprendre. Son précepteur, Louis, l'encourage sur cette voie. L'année 1878 sera pour elle une date clé : la visite de l'Exposition universelle, vitrine des réalisations technologiques et industrielles des nations, et la découverte de la Paris l'émerveillent ; c'est décidé, elle fera des études et travaillera avec
Gustave Eiffel ! Mais c'est aller un peu vite en besogne : en cette fin de XIXe siècle, une jeune fille de bonne famille ne travaille pas, elle se marie et s'occupe de son foyer. Pourtant, c'est bien mal connaître Charlotte, bien décidée de prendre en main les rênes de son destin !
... mais avec ses failles
Grâce à ce roman, l'on suit ainsi le parcours étonnant et parfois chaotique d'une héroïne certes déterminée mais loin d'être sûre d'elle, et c'est là l'une des originalités de ce roman : chaque épreuve traversée par Charlotte nous montre combien il était difficile, même avec la plus grande volonté du monde, de s'émanciper à cette période : parvenir à se détacher de l'emprise familiale, faire des études, trouver un travail, gagner de l'argent... Charlotte fait preuve d'un courage, d'une détermination et d'un culot pour le moins déconcertant, n'hésitant pas, par exemple, à se déguiser en homme pour suivre les cours de l'École des Mines, ce qui sera à l'origine de quelques sueurs froides pour l'héroïne mais aussi pour le lecteur qui ne peut que s'attacher à ce personnage si émouvant.
Un parcours semé d'embûches
Le danger qui guette tout auteur traitant de ce sujet avec un tel personnage serait de tomber dans les poncifs ou un côté "fleur bleue". Mais l'autrice n'épargne pas les épreuves à son héroïne : loin d'être un parcours tranquille, Charlotte va devoir franchir divers obstacles, commettra des erreurs, aura des regrets, tombera pour mieux se relever mais toujours elle avancera avec, en ligne de mire, sa liberté.
J'ai parfois eu l'impression que certains personnages étaient un peu caricaturaux, je pense surtout à son frère Hubert qui est vraiment détestable, mais, après tout, de tels personnages ont peut-être véritablement existé dans ces familles où l'on se taisait, où les haines étaient tenaces, surtout quand il y était question de secrets de famille. Car là est un autre intérêt de ce roman, l'existence d'un secret autour des origines de Charlotte, dont on ne se doute pas au début du roman. La vérité éclatera un jour, elle sera pour Charlotte une première étape dans son chemin vers l'indépendance. D'ailleurs, j'ai bien cru à un moment donné que le roman allait s'orienter vers une piste plus policière, car son frère est véritablement un personnage inquiétant et dénué de tout scrupule et il y a quelques morts suspectes, mais chut !
La vie au XIXe siècle
En parallèle, l'on découvre avec grand intérêt l'atmosphère qui régnait en cette fin de XIXe siècle, une période marquée par les inventions technologiques (électricité, train, photographie, cinéma, etc.) et l'industrialisation galopante, célébrées par tous bien qu'inquiétante au regard de la situation actuelle. Une période florissante, ouverte sur le monde et l'univers, mais si rétrograde quant au sort des femmes. Bien documenté, juste comme il faut, ce roman nous permet donc de véritablement se plonger dans cette ambiance si ambivalente, découvrant le décor, la vie quotidienne et les moeurs aussi bien en province que dans la capitale, aussi bien dans des familles aisées que dans les classes populaires ou artistes... le style de l'autrice, fluide et dynamique mais tout en douceur, permet de vraiment se fondre dans cette histoire émouvante.
Une fin précipitée...
Mon petit bémol est justement lié à cette histoire poignante... on quitte avec regret Charlotte et on la quitte avec d'autant plus de regrets que la suite et la fin de sa vie sont survolées en très peu de pages. Ainsi, le roman accélère d'un coup d'une manière inattendue (mais je me dis que continuer sur le même rythme aurait conduit à un énorme roman, ce que n'aiment guère les éditeurs), on continue la lecture en se disant en même temps "Hé, tout doux là, cela va trop vite !" et en espérant que le rythme va ralentir mais subitement c'est la fin : on quitte assez brutalement et de manière inattendue Charlotte, comme si toute la suite de son histoire était dénuée d'intérêt, mais je suis sûre du contraire.
Ce changement de rythme m'a un peu déconcertée… pour vous donner une comparaison, c'est comme si vous preniez un café avec un ami que vous n'avez pas vu depuis longtemps mais auquel vous tenez beaucoup : il commence à vous donner des nouvelles, à vous raconter tout ce qui s'est passé durant tout ce temps, vous êtes captivé mais, tout à coup, il se lève et vous dit qu'il doit partir sans autre explication et vous vous retrouvez seul, dans l'incompréhension la plus totale !
Les premiers romans comportent souvent de petits défauts – et c'est compréhensible. Ici, ce n'est pas le cas :
Anna Logon fait preuve d'une grande maîtrise sur tous les plans : scénario, personnages, descriptions, rebondissements, rythme, etc. Si je n'avais pas lu qu'il s'agissait d'un premier roman, jamais je ne l'aurais deviné !
Lien :
https://romans-historiques.b..