Dès les premières lignes, c'est beau.
Perché sur un escabeau, le narrateur perd l'équilibre et laisse échapper un carton plein de photos. Il entame alors un voyage éclair dans le passé. le voici revenu sur une autre échelle, il y a longtemps, au moment où un seau de peinture l'ensevelit sous un voile poisseux et blanc. La voilà qui apparaît fugacement dans son esprit : la jeune amie.
Il nous raconte leur histoire, qui a commencé un soir, dans un appartement-bateau, où la musique ondulait au milieu d'un salon. Ils ne se connaissent pas, elle atterrit chez lui. C'est un coup de foudre amical.
Pendant plusieurs années, ils vont travailler ensemble sur des chantiers, rénover des appartements. Ils vont se présenter leurs familles, pas bien étendues, de chaque côté. Une mère chacun, un père mort ou absent. Ils vont aussi arpenter Paris en tous sens et à pied, de préférence la nuit passant de bar en soirée et, en marchant, se dévoiler.
Il est en vacances dans le Sud de la France, quand un homme qu'il a aimé il y a quelques années l'appelle pour lui annoncer que la jeune amie est morte, qu'elle a été tuée et violée. Choc. Nausée.
Dire qu'il ne pensait qu'à lui raconter ce soir-là, à son âme-soeur, que, le matin-même, il avait bousculé son idole en entrant à l'épicerie. Mais il ne pourra pas. Il ne pourra plus. Jamais.
Les mots sont atroces, qui entourent sa mort et les images glaçantes. Alors il raconte avec une extrême délicatesse, pour ne pas la déranger dans son silence éternel. Au milieu du livre, pour la première fois, on lit son prénom, et c'est une déflagration.
Elle était franche, fine de corps et d'esprit. Irrésistible. Tout le monde tombait sous le charme. On est saisi d'effroi, à l'idée du gâchis d'une telle vie.
Gilles Leroy rend dans ce beau livre un hommage. En nous parlant d'elle il la sauve, non pas de la mort, mais assurément de l'oubli. Et on lui en sait gré, on le remercie, d'avoir partagé avec nous, un peu de la lumière qui émanait de cette fille. La jeune amie.