Comment éprouve-t-on la souffrance de l'autre ? Qu'est-ce que ressentir la douleur d'autrui sachant que cette douleur peut-être acceptée, déformée ou contrefaite ? Ce sont les questionnements qu'aborde Leslie Jamison dans une série de douze essais littéraires inspirés de certaines de ses expériences personnelles dans "Examens d'empathie", publié à l'occasion de la rentrée littéraire des éditions Pauvert.
En savoir plus sur "Examens d'empathie" : http://www.myboox.fr/livre/examens-dempathie-9782720215384
Musique : Stale mate_Jingle punks
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La paranoïa raciale a toujours fait partie intégrante de la propagande anti-drogue fondée sur l'épouvante, quoique la majorité des consommateurs de drogue aient toujours été blancs.
Plus de quatre mille personnes sont passées par Seneca durant deux décennies. Ils n'étaient pas célèbres. Leur addiction à l'alcool n'était pas célèbre. Ils n'avaient pas fait de leur souffrance des poèmes ou des romans à succès. Ils étaient tout simplement arrivés là parce qu'ils avaient désespérément besoin d'aide.
Cet homme me désarçonne. J'avais l'impression d'être sa mère jusqu'à ce qu'il m'apprenne qu'il est père. Je songe à toute la peur qu'il a connu -le culpabilité, le deuil, l'ennui-, et dont je ne sais rien. Le caractère infini de sa personnes est quelque chose que je reçois sous forme d'anecdotes finies : ciels immenses du désert, petite fille poussant du doigt des bernard-l'ermite. Il m'arrive d'avoir le sentiment que je ne doit rien à un inconnu; puis j'ai le sentiment que je lui doit tout- parce qu'il est allé au combat et pas moi, parce-que je l'ai pris de haut ou mal compris, parce que j'ai oublié, l'espace d'un instant, que sa vie, comme toutes les vies, recèle d'avantage tout ce que je pourrais jamais en voir.
L’empathie (…) cela relève de l’effort, ce cousin démodé de l’impulsion, (…) j’écouterai sa tristesse, même si je suis affligée par la mienne.
Je ne suis pas la première voix à réclamer du sentimentalisme dans le sillage de l'ironie postmoderne. Nous sommes légion. Et ce depuis des années. Il fut un temps où David Foster Wallace menait la danse. A présent, son fantôme est aux commandes. « Un ironiste dans une réunion des AA de Boston est une sorcière dans une église », a-t-il écrit dans L'Infinie Comédie. Pour lui, les clichés les plus exagérément sincères de la désintoxication constituent un vecteur du possible littéraire : le sentimentalisme récupéré de l'écriture exempte de second degré, des sentiments grossièrement dessinés qui peuvent en vérité nous rendre poreux les uns aux autres - clichés qu'il situait au coeur du paysage infiniment complexe de ses mondes imaginés. Il cherchait une littérature capable de faire « vibrer la tête comme le coeur sait le faire », capable de contenir à la fois l'émotion et sa remise en question.
Un jour, il est venu à un repas de famille chez moi complètement remonté aux amphétamines. « Quel bavard ! » a remarqué ma grand-mère, totalement conquise. À Disneyland, il a attaqué un sachet de champignons hallucinogènes et s’est mis à haleter dans la file d’attente du Train de la mine, le tee-shirt trempé de sueur, tripotant les pierres orangées de ce Far West de pacotille.
Tout alcoolique rêve de l’existence d’un monde plausible et accessible dans lequel il découvrirait le dosage idoine lui permettant de boire dignement
je bus ma bouteille de vin et regardai un film sur mon ordinateur portable – l’histoire d’un homme qui squattait un bus abandonné.