Histoire du fils est l'histoire d'une famille sur trois générations et sur trois territoires différents, étalée sur un siècle, entre 1908 et 2008.
Marie-Hélène Lafon nous invite à entrer, non pas dans une fresque grandiose mais sur un récit court, puisque ce roman ne tient qu'en cent quatre-vingt-douze pages et douze chapitres.
L'
Histoire du fils, c'est celle d'André, né à Figeac, d'une mère absente et d'un père « inconnu », que sa tante et son oncle vont élever comme leur propre enfant. Mais celle aussi d'autres personnages... Pour dire son histoire,
Marie-Hélène Lafon va nous raconter l'avant et l'après...
Aux premières pages, nous sommes en 1908 dans l'aube d'un matin clair d'avril, à Chanterelle.
Le nom sonne comme le bruit d'un ruisseau. Chanterelle, joli pays perché, pays perdu du Cantal. C'est la course d'un enfant joyeux de cinq ans dévalant l'escalier à la rencontre de son ancienne nourrice, courant pieds nus dans le matin déjà fragile comme du verre brisé, comme la fin d'un monde qu'on ne pouvait pas soupçonner à cet instant ultime...
Marie-Hélène Lafon va à l'essentiel, par ellipse, elle procède par petites touches impressionnistes, dresse des tableaux, nous y invite. C'est une peintre. Ce sont des scènes dont certaines nous invitent au vertige, parce qu'elles nous rappellent inévitablement des moments qui ressemblent à nos propres existences.
Marie-Hélène Lafon déroule des chapitres comme on ouvre des tiroirs. Dans chaque tiroir il y a un morceau de puzzle. Il y aussi un geste qui vous agrippe à chaque fois et ce n'est jamais le même geste, la même main, la même lumière...
Ce sont des fragments de vies que nous reconstituons peu à peu. Il suffit de poser chaque pièce du puzzle l'une auprès de l'autre. Un arbre pousse alors, se déplie vers l'azur, un arbre généalogique...
Parfois le personnage principal devient ce père absent, l'image paternelle d'un père qu'il faut inventer, réinventer, s'approprier. Tenter de le rendre plus attachant que ce qu'il n'est. Mais que sait-on de ce qu'il est réellement, derrière les faux-semblants, derrière les images d'une vie sociale si bien apprise froidement ?
André a-t-il cherché, trouvé ce père ? Flairer les traces de cet homme, s'en approcher comme un loup, désirer, manquer des rendez-vous, en être empêché parce qu'il y a peut-être une force qui l'en empêche, plus forte que le désir et le manque...
Il y a quelque chose de sensuel, de charnel même dans ce récit multiple comme un kaléidoscope. Quelque chose qui tient peut-être aux odeurs, aux bruits d'un été, l'odeur des confitures de prunes, de la lessive qu'on prépare, et là-bas dans le jardin viennent les premières fraises gorgées de saveur, qui vont tâcher nos doigts et nos lèvres... L'ombre des feuillages et le bonheur avec.
Je me suis retrouvé dans l'âme d'André, petit garçon amoureux de sa cousine Claire de quelques années de plus que lui, elle pédalant vers un point d'eau pour s'y baigner, lui à l'arrière du vélo s'accrochant aux épaules de sa cousine, sentant sa nuque tiède si près de son visage et de l'odeur enivrante de l'été... En lisant ce passage, je devenais ce petit garçon à l'arrière de la bicyclettes. Quelle émotion lorsque nous retrouvons la même Claire à quatre-vingt-douze ans... ! Une des rares survivantes encore de cette époque...
Les femmes sont nombreuses dans ce roman. Elles sont belles et tragiques. Parfois solitaires.
Les
histoires de famille sont des plaques tectoniques qui bougent lentement et nous entrons parfois dans ces failles qui s'ouvrent brusquement, happés par le vide qui s'ouvre sous nos pieds.
Les secrets de famille sont souvent douloureux, ils ne s'invitent pas forcément à la table joyeuse, autour d'un moment de convivialité partagée, parmi les rires, les tapages des enfants insouciants au loin, l'ivresse un peu guillerette et la chanson qu'entonne un oncle sur un refrain d'antan.
Les secrets de famille viennent dans les forces telluriques, souterraines, sourdes. Ils surgissent quand on s'y attend le moins et nous laissent rarement en paix après cela...
Histoire du fils est un récit magnifique qui m'a touché au coeur, m'a ému.
La scène finale se passe dans un cimetière en 2008. Celui de Chanterelle, joli pays perché, pays perdu du Cantal.
On accompagne Antoine, fils d'André... C'est comme un pèlerinage sur les traces de son père.
C'est fou ce que les cimetières nous racontent d'
histoires ! Chaque tombe nous révèle une vie, un destin, comme une parenthèse sereine ou tragique...
Un caveau de famille, c'est comme un livre à ciel ouvert. Il y a des dates gravées en lettres dorées sur le marbre sombre des tombes.
On y lit des drames ordinaires, des vies solitaires. Un enfant supplicié, un autre fauché au front...
Parler aux morts. On voudrait pouvoir s'adresser à eux parce que, parfois, ils en savent bien plus que nous.
Avec un peu d'imagination nous pourrions presque entendre les voix qui nous appellent, cherchent à se confier à notre déambulation.
Pour Antoine, et peut-être pour nous aussi, il y a l'émotion au bord d'une tombe où tout se lit, tout se dénoue brusquement...
L'histoire d'Antoine, du petit-fils, m'a remué. Revenir sur les pas de son père qui cherchait désespérément lui-même un père, revenir en arrière, c'est peut-être enfin donner naissance à ce père, lui offrir une histoire, une paix retrouvée. J'ai alors pensé à ma soeur ainée en quête de son vrai père, vérité qui lui fut révélée brutalement à l'âge de onze ans et qu'elle n'a jamais cessé de poursuivre depuis lors...
Marie-Hélène Lafon a su éveiller en moi les joies et les drames, le poids des drames qui traversent toutes les familles, la mienne comme les autres. Ces
histoires traversées par la grande histoire, la faucheuse et les petites
histoires ordinaires qui ne sont jamais anodines.
Elles dévastent aussi comme des champs de bataille. Nos familles sont le théâtre de nos émotions.
C'est un récit magnifique, comme le sont des paysages traversés d'ombres et de lumières.
Au douzième chapitre, j'ai retenu encore un peu mes larmes, je pleurerai plus tard...