Le jugement de l'histoire peut-il prétendre venir de cet auteur d'outre-Manche ?
Connu pour sa proximité avec Paxton dont les thèses sont de plus en plus remises en cause, et son admiration pour
De Gaulle, son ouvrage « le procès de Pétain », par ses oublis, ses insinuations permanentes contre Pétain et sa façon de minimiser tout ce qui pourrait être mis au crédit de Pétain et de maximiser tout ce qui pourrait en venir à son débit, en fait le prolongateur du procureur Mornet, lui-même ayant été téléguidé de l'Elysée par l'intermédiaire de Gaston Palewski
Un hôte de l'Elysée, d'ailleurs, qui avait d'autant plus intérêt à étouffer la parole et le crédit de son ancien mentor, qu'il se savait co-responsable de la défaite française, pour avoir le 24 mars 1940 au cours d'un entretien décisif, resté bien ignoré car tabou, conseillé ardemment à Paul Reynaud, à peine nommé Président du Conseil, d'envoyer le gros des forces armées françaises en Belgique et Hollande, contre l'avis de son conseiller militaire le lieutenant-colonel Paul de Villelume.
Le 28 mars quatre jours après ce funeste entretien qui avait cassé l'influence de Paul de Villelume sur Paul Reynaud, se tenait la réunion interalliée à Londres en présence de Paul Reynaud et
Churchill qui actait la Belgique et la Hollande comme théâtre des opérations en cas d'attaque allemande. (source : Rapport fait au nom de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur les évènements survenus en France de 1933 à 1945 Tome 9 Particulièrement les pages 2761 et 2762)
A noter que Paul de Villelume, témoin de cet épisode, avait prévenu Paul Reynaud en ces termes : premièrement, nous perdons le bénéfice de nos fortification (comparaison avec un homme, qui, ayant acheté une cuirasse très chère, s'en dépouille au moment du danger pour combattre le torse nu) ; deuxièmement , nous affrontons en terrain libre des forces deux fois supérieures aux nôtres ; troisièmement, nous exposons nos colonnes à être hachées par l'aviation ; quatrièmement , une entrée préventive allumerait la guerre active, ce que nous n'avons aucun intérêt à faire, étant donné en particulier l'état déficient de nos fabrications
C'est bien ce qui s'est passé et d'autant que quelques semaines avant, le 17 février, au cours d'un entretien célèbre celui-ci, Éric von Manstein avait convaincu Hitler de faire passer le gros des forces allemandes par les Ardennes. Toutes les réserves françaises étant parties dans le plat pays, il n'y avait plus personne pour les « cueillir à la sortie du bois»!
Pas un mot de l'auteur sur cet épisode capital, plus encore, il dédouane Paul Reynaud page 160 de sa responsabilité dans le désastre sans en donner de justification, alors que le pouvoir militaire était bien subordonné au pouvoir politique pour la conduite de la guerre comme l'explique très bien Paul de Villelume qui avait exhorté Paul Reynaud dès sa nomination, de renvoyer Gamelin justement parce qu'il était devenu partisan de ce plan d'inspiration britannique, de défendre les côtes anglaises à partir de la Belgique et de la Hollande. Paul Baudoin a confirmé que face aux arguments de Villelume, Paul Reynaud a beaucoup hésité, mais c'est l'assurance et l'aplomb de de
Gaulle qui ont emporté le morceau...vers le désastre
Difficile d'imaginer qu'un historien de la période fasse l'impasse de la lecture complète du rapport parlementaire de la commission
Gérard Jaquet. Mais sortir cet épisode de l'ombre, c'est révéler le véritable « père de la défaite » qui a mis la France dans le pétrin et pourquoi on a eu un Pétain qui au final a dû s'efforcer de minimiser les conséquences désastreuses de la décision Reynaud-De
Gaulle. Après cela toutes les réflexions et jugements de l'auteur sont-ils fortement démonétisés
Quel crédit accorder à cette façon de traiter systématiquement de dérobade, d'aveuglement, de mensonges, les réponses de Pétain ? Ne pouvant ici les commenter compte tenu du manque de place, je laisse les véritables experts exempts de toute visée politique ou idéologique s'exprimer
Reflétant la position des forces armées américaines sur la question Pétain, c'est l'historien de la marine américaine, le capitaine de vaisseaux Charles W. Koburger qui dans son ouvrage référence, « La France et sa marine 1940-1942 » (publié en 1990 chez NEP), montre le rôle clé de Pétain pendant cette période de 28 mois entre l'Armistice (22 juin 1940 ) et le sabordage de la flotte française (27 novembre 1942), période pendant laquelle les alliés étaient en position de faiblesse extrême et où la saisie par les Allemands de la flotte et de l'Afrique du Nord pouvaient faire pencher la victoire du côté de l'Axe :
Pétain refusant à Montoire de déclarer la guerre à l'Angleterre en échange d'un mot collaboration, dont
Paul Schmidt (interprète d'Hitler) dira qu'en fait à Montoire « nous n'avons rien obtenu » ;
Pétain empêchant Darlan de lancer la flotte contre la Royal Navy après ses agressions de Mers- el-Kébir, Dakar, la Syrie etc. ;
Pétain refusant l'offre insistante de Mussolini de rejoindre l'Axe « avec tous les avantages pour la France de ce choix » juste après de débarquement américain ;
Pétain envoyant à l'insu de Laval et des Allemands par le seul code secret non livré aux Allemands , son accord à Darlan pour traiter directement avec les américains dans les termes suivants « vous avez mon entière confiance ; faites pour le mieux, je cous confie les intérêts de l'Empire ». Pétain donnant l'ordre de sabordage de la flotte
Koburger montre que dans l'opposition, le gouvernement français ne pouvait pas aller plus loin que ce qu'il a fait, refusant aux allemands les bases françaises de l'Empire comme Bizerte, Dakar, faisant de l'obstruction de mille façons, contredisant notamment un Paxton centré sur des documents officiels, comme les PV de la Commission d'Armistice dont l'auteur se doute bien qu'ils étaient signés sous la contrainte
Koburger dément fermement d'une part que la France pouvait continuer le combat en Afrique du Nord pendant cette période (pas d'usines d'armement, pas de bassin de radoub pour réparer les navires, pas de pièces de rechange etc.) , d'autre part que le Gouvernement français pouvait résister plus que ce qu'il n'a fait face à un ennemi cruel et cynique et enfin il montre les fautes anglo-saxonnes vis-à-vis du gouvernement français et notamment de ne pas avoir prévenu Pétain/Darlan du débarquement américain du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord qui aurait évité la riposte, la perte de la Tunisie et le sabordage. Il conclut « si
De Gaulle a été nécessaire pour sauvegarder l'âme de la France, Pétain (et Darlan) l'ont été pour sauver le reste »
A noter que pour tuer dans l'oeuf la thèse du double jeu de Pétain, Jullian Jackson nie, comme les anglais, eux-mêmes maitres du double jeu, savent le faire, le sérieux des accords franco anglais à travers les missions Rougier, ou Chevalier/ Halifax. Dans « Londres-Vichy »,
Pierre Abramovici montre qu'à Londres jusqu'en 1944, il y a un consulat de Vichy avec à sa tête Georges Peissel , haut fonctionnaire, responsable des transactions financières entre Londres et Vichy. Donc des accords franco-britanniques ont bien existé à la barbe des gaullistes !
Mais ce qui compte pour Pétain, ce ne sont pas les Anglais, mais les Américains qu'il attend dès le début de la guerre, particulièrement lorsque début janvier 1941, Washington par l'intermédiaire du canal Halifax/Chevalier, conseillera à Pétain de ne surtout pas reprendre les hostilités contre l'Allemagne à partir de l'Afrique du Nord comme le lui conseillait
Churchill dans sa fameuse missive du 31 décembre 1940.
Roosevelt considérait en effet les conditions d'Armistice obtenues par Pétain comme providentielles dans la mesure où l'Amérique n'était pas encore prête à intervenir en Europe. Pétain a suivi la recommandation de Roosevelt qui lui dépêchera immédiatement après l'Amiral Leahy, s'accrochant à conserver coûte que coûte l'Afrique du Nord et la flotte hors de la portée allemande.
On voit bien là que Pétain a de suite pris l'option américaine, alors que Laval, imposé par les Allemands le 18 avril 1942 et qui lui capte ses principaux pouvoirs, ne croyait pas en la victoire des Alliés, d'où entre les deux une relation conflictuelle.
De cet épisode, Jackson n'en a qu'une vue tronquée. Il ne sait pas que le jour même où Pétain reçoit la missive de
Churchill le 31 déc, il demande à Peyrouton de faire partir immédiatement pour Alger via Marseille les internés de l'établissement administratif de Pellevoisin, soit Paul Reynaud, Georges Mandel, Vincent Auriol,
Jules Moch, Max Dormoy, Charles Pomaret. Et en effet à minuit de ce jour, part le convoi sous le commandement du commissaire Charles Courrier dont on a la relation, en direction Marseille. Mais aussitôt, Pétain demande à Jacques Chevalier de prendre contact avec son ami Halifax en poste à Washington pour connaitre son avis sur la proposition de WC et surtout connaitre la position de Roosevelt sur un retour de la France dans la guerre dans l'état où elle se trouve.
C'est à la réponse d'Halifax et donc de Washington que Pétain suivra son conseil et le convoi sera définitivement stoppé à Aubenas. C'est l'une des plus grandes décisions jamais prise par un chef d'état français. Et c'était la bonne décision comme le reconnaitront après-guerre les journaux britanniques !
Donc un Pétain en attente des américains (d'où la relation Pétain- Roosevelt par l'intermédiaire de l'amiral Leahy, le plus proche collaborateur du président américain) qui fait que le statut des juifs en plus de véritable contre-feu aux lois de Nuremberg (
Otto Abetz se plaint auprès de la Wilhelmstrasse que les français font un statut des juifs pour diminuer la rigueur de leurs lois) est forcément de nature provisoire jusqu'à l'arrivée des Alliés. Quant aux 50000 immigrés cible de l'article 19 de la convention d'Armistice, c'est-à-dire revendiqués constamment par les Allemands, on sait que Pétain avait voulu les ré-immigrer aux Etats-Unis aux frais de l'Etat français. L'Amérique, pingre, a refusé !
En définitive, un résultat étonnant, avec 90% des juifs Français de l'Hexagone sauvés, 60% des juifs étrangers dans l'Hexagone sauvés, 100% des 440000 juifs Français d'Afrique du Nord sauvés. Pour comprendre la résistance de Vichy aux exigences nazies, lire deux livres complémentaires, ceux des historiens
Jacques Boncompain « Pétain : bourreau ou bouclier des juifs » et
Jean-Marc Berlière « Histoire d'une falsification »
Il ne faut pas se faire d'illusion, si Pétain était parti en novembre 1942 à Alger, la vengeance des Allemands eu été terrible. Les mémoires d'
Otto Abetz sur ce sujet sont explicites
En somme, on comprend que l'auteur ne supportant pas que le dernier sondage réalisé sur Pétain auprès des français soit contraire à ses attentes, il se soit donné pour mission de torpiller définitivement l'image de Pétain en se prenant pour le « jugement de l'histoire ». Mais avec ce que l'on sait maintenant, le risque c'est plutôt d'ouvrir le procès de de
Gaulle dont on pourrait en conclure qu'il fut le pompier incendiaire de ce drame.
Juste après la Libération,
Churchill après avoir dit que l'Armistice leur avait rendu un grand service et que« la préservation de l'Afrique du Nord de toute présence ennemie a hâté d'au moins 2ans la fin du conflit », à la question de savoir ce qu'il aurait fait à la place de de
Gaulle, répondit : « je crois que j'aurais fait chercher le Maréchal pour lui dire de descendre avec moi les Champs-Elysées ». Et en effet peut-on peut imaginer combien d'hommes sauvés et de convois de déportés ainsi évités ?
Et le secrétaire général du Parti Conservateur proche de
Churchill, Kenneth de Courcy écrira à la Haute Cour (extraits) « Pétain sans
De Gaulle,
De Gaulle sans Pétain, n'auraient pas obtenu un résultat comparable à celui qu'ils ont obtenu ensemble (pour la France) » Et « Je ne crois pas que dans toute l'Histoire, il y ait eu un pays qui ait été aussi complètement joué que les Allemands l'ont été par les Français »