« Écrire, c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots. »
Magnus, c'est le récit d'un enfant à la mémoire lacunaire, que l'on voit grandir, qui devient homme, en quête d'identité, la sienne, celle des autres qui lui furent proches, les siens, celle d'un passé à jamais recouvert sous les décombres de ses origines.
Franz-Georg est né avant la guerre en Allemagne, mais il ne se souvient plus des cinq premières années de son existence, à cause peut-être d'une grave maladie, le typhus dont il a failli mourir.
Il grandit dans cette famille allemande qui voue un culte immodérée à Hitler, son père est un médecin tortionnaire nazi, grand serviteur du IIIème Reich. Quand la seconde guerre mondiale scelle la capitulation de l'Allemagne nazie, le père s'enfuit au Mexique, tandis que sa mère et l'enfant se réfugient en Angleterre. On change le prénom de l'enfant qui devient Adam... Là-bas, cette mère si dévouée, - trop dévouée peut-être, va s'efforcer d'aider l'enfant à reconstituer sa mémoire en lui réapprenant sa langue, l'allemand, son histoire familiale, ce passé qui ne passe pas...
Dans les pas de l'enfant, seul témoin qui pourrait tout raconter à son fidèle ami, il y a
Magnus, petit ours en peluche à l'oreille roussie, qui va l'accompagner tout au long du récit.
Franz-Georg va devenir
Magnus...
Magnus, c'est la mémoire impossible à reconstruire sur les désastres de la guerre.
C'est un roman autour des secrets, de la mémoire et de l'oubli.
Qui suis-je ? C'est la question qu'il se pose tout au long du roman, dans cette fuite éperdue allant à la rencontre de lui-même. Il lui faut tout réapprendre, ou plutôt désapprendre ce passé qu'on lui a inventé...
Les souvenirs se dissipent en vrac. S'ils lui reviennent au gré de belles rencontres, c'est souvent en désordre, la mémoire en cours de recomposition présente un étrange caractère de fragmentation. C'est un endroit où il continue de se sentir otage des secrets et du mensonge des autres, où il ne voit pas toujours comment s'en délivrer.
Magnus découvre que
L Histoire fait mal.
D'un âge à l'autre, d'un amour à l'autre, d'une identité à l'autre, - identité accidentelle, identité imposée, identité choisie -,
Magnus se promène dans les décombres de sa mémoire où gît peut-être la vérité. Mais faut-il vraiment tout savoir sur ses origines ? C'est un chemin fait d'impasses, de sentiers en perdition, d'ombres et de lumières en embuscade...
Certaines révélations ne sont pas forcément toujours bonnes à entendre. Est-ce là le prix à payer pour se délivrer du joug de l'amnésie ?
Et c'est sous cette forme de fragments recueillis comme des îles en perdition que
Sylvie Germain construit la narration du récit, faisant de l'édifice de son texte une véritable allégorie du destin de son personnage principal. L'ordonnancement de ces fragments ne suit pas toujours la chronologie des faits, mais cela ne nuit nullement à la lecture, il s'agit plutôt d'une sorte de processus intime, la confrontation du réel au vide de sa mémoire...
J'ai trouvé l'écriture de
Sylvie Germain incroyablement belle, poétique, travaillée. Peut-être trop travaillée justement, au point de me perdre dans un dédale de résonances où il m'a manqué des émotions et des respirations...
C'est sans doute pour cela que je suis resté au bord du texte, regardant passer
Magnus et son errance.
J'aurais aimé que
Sylvie Germain ouvre l'espace, déchire le ciel, fasse de la mémoire lacunaire de ce jeune homme, un gros roman, une odyssée, une constellation de vertiges et de sensations.
Et pour tout vous avouer, la fin m'a laissé sur ma faim...
Aussi, cette première rencontre avec
Sylvie Germain est-elle plutôt mitigée. Son écriture magnifique m'incite cependant à revenir dans son univers littéraire.
" Ce qui n'a pas été dit en temps voulu est perçu, en tant d'autres temps, comme une pure fiction. "
Aharon Appelfeld