Fervente Dumasophile, je n'avais pas encore lu "
Antony" et pourtant, il y a longtemps qu'il m'attend tapi dans ma bibliothèque, chaudement logé entre "
Henri III et sa cour" et "
La Tour de Nesle". Longtemps que je me promets de le lire, longtemps qu'il me fait envie.
Je crois que je craignais de ne pas l'aimer... Je crois que j'avais peur de découvrir un drame romantique "contemporain". Et peut-être aussi que je redoutais de lire une pièce qui aurait trop vieilli, rapport à l'image de la femme qu'elle véhiculerait d'après ce que certains lecteurs m'ont dit...
Et puis comme
D Artagnan face à Jussac et Milady, comme Chicot dans son confessionnal, comme Margot dressée contre Catherine, j'ai décidé de faire fi de mes peurs -on est mousquetaire où on ne l'est pas- et j'ai ouvert "
Antony".
Alexandre, tu es bien tel que je t'aime dans cette pièce et tu m'as eue, une fois de plus.
J'ai adoré "
Antony" que je n'ai pas lâché de la première à la dernière page, que j'ai lu à voix haute, parce que la langue s'y prête tellement bien et parce que les répliques sont toutes ou presque de véritables "punchlines".
Adèle et
Antony se sont aimés follement, mais un jour, le ténébreux et farouche jeune homme a disparu sans explication. Adèle, le coeur brisé, en a épousé un autre qui lui a donné une petite fille.
La pièce commence trois ans plus tard un jour que la jeune femme reçoit une lettre. C'est
Antony. Il est de retour, il veut la voir. Pour Adèle, ce message sonnera le glas de sa sérénité. Les deux anciens amants n'auraient jamais dû se revoir, mais le sort autant qu'
Antony, en décideront autrement. La passion était mal éteinte et les braises ne sont pas difficiles à rallumer: ce qui devait arriver arrive et cet amour leur sera fatal.
Ainsi résumé, le drame a l'air terriblement classique, fade, vu et revu pour ne pas dire ennuyeux. Que nenni!
Avec "
Antony" Dumas revisite les codes du drame romantique et du roman gothique en vogue de l'époque, redistribue les cartes: le "méchant" de l'histoire en est aussi le héros, la douce et pure victime fait ses propres choix et les vit intensément. Cette première originalité va de pair avec l'autre réussite de l'oeuvre selon moi: le personnage d'
Antony. Si Adèle est touchante, sympathique, elle est bien pâle à côté de son tourmenteur amoureux.
Antony, c'est
Lord Byron, c'est "le ténébreux, l'inconsolé", c'est le bâtard aussi, le bâtard sans nom pour lequel les portes du monde ne s'ouvrent pas et qui en brûle de colère et de révolte. C'est l'homme qui veut s'élever par lui-même mais dont la société coupe les ailes. C'est l'homme qui souffre mais qui se bat. C'est l'homme qui aime aussi, avec désespoir autant que sincérité. En lisant, on ne peut pas ne pas penser à Dumas et à son père, fils illégitime d'une esclave et d'un général. On ne peut pas ne pas penser à ce que la bonne société ait pu dire de ce quarteron qui tentait de se faire une place...
En lisant on ne peut pas s'empêcher non plus de songer à Heathcliff. Il y a une telle parenté entre
Antony et le personnage d'
Emily Brontë que c'en est troublant... La même violence, la même soif de revanche, le même amour absolu...
Pièce sur l'amour fou et la passion, pièce sur la soif de reconnaissance et sur la douleur de ne pas avoir de nom,
Antony est texte sublime.
Et cette chute... cette chute... Tellement 1831... mais ça passe.
Alors on pourra bien me dire qu'Adèle est un peu pâlotte, que l'issue de l'
acte III est ambiguë... Je répondrai que j'ai conscience des limites du genre et que pour la fin de l'
acte, ma foi, tout est question de mise en scène et d'interprétation puisque tout est suggéré mais rien n'est écrit.
Je répondrai enfin, que j'avais des envies de beaux textes et de passion sublime et désuète (quoique... une mise en scène contemporaine serait une idée fabuleuse! Et même un film, tiens, pourquoi pas!) et qu'
Alexandre Dumas a su, une fois de plus, me transporter et combler mes désirs. Amen.