Hier soir, en faisant dérouler les programmes avec la télécommande, je tombe sur des applaudissements avant le match OM-PSG. En hommage au tremblement de terre en Turquie, ah oui, il y a un turc dans l'équipe phocéenne. Un attaquant. C'est lequel ? Sanchez ? Non, il est chilien. C'est
l'autre,
Malinowski ? Mais non, c'est un ukrainien. Alors,
l'autre, Under ? Oui, c'est lui. Il est bien turc. Quelle attaque ! Chili, Ukraine, Turquie, trois pays sinistrés. Incendies, guerre, tremblement de terre, le foot serait-il un réceptacle pour les tragédies mondiales ? Non, simple coïncidence, les commentateurs n'ont pas fait le rapprochement. Je zappe sur
l'autre d'à côté, "L'Abîme", nouvelle série. Pfft, non, mais... Et sur
l'autre ? Non, je ne vais pas toutes les faire ! Ah, la grande librairie, "Crie-le !". Celui de Munch ? Non, ce sont des portraits. Pfft, pas envie, c'est déprimant ce soir. Je vais reprendre
l'autre, le livre commencé hier. Mais au fait, "
L'autre", d'
Andrée Chedid, ça parle de tremblement de terre, l'actualité dans un livre sublime, si je me souviens bien. C'est le moment de le ressortir, de sous les gravats, pardon, les amas, de livres qui peuplent mon univers. Suivez-moi, je vous emmène dans une oeuvre subtile, touchante, poétique, malgré toute la tension de la catastrophe.
Sim et Bic, les deux héros de l'histoire, quel style, oh ! Stylo ? Mais non, Bic c'est un chien, renifleur avant d'être maudit. Moby Dick, non, pardon, Maudit Bic, de Chedid vous dis-je, pas de Melville. C'est pas dans la mer, c'est sous terre. Terre comme terrible, écoutez ça :
"Dans un bruit de détonation, des volets violemment rabattus vinrent frapper, de chaque côté, le mur de la façade bistre... Bic s'agite, aboie plus fort que d'habitude... se couchant entre les jambes de son maître en gémissant, se redressant, mordillant ses chevilles pour le forcer à repartir". Maudit Bic ! "Il pousse des glapissements lugubres, sa voix est gluante, son poil se hérisse". le chien avait senti le malheur arriver. "La secousse ne dura que vingt secondes... le grondement venait des entrailles de la terre... Au loin, des morceaux de collines roulent vers la vallée. Au large, la mer, boursouflée, inquiétante, progresse en bouillonnant". Puis c'est l'effondrement. "Les murs oscillent, se séparent, interminablement. Arbres, poteaux se brisent dans un craquement infernal... Ce visage, qui n'est plus que grimace. Cette bouche, qui n'est plus qu'un cri". Ce n'est pas Munch, ce n'est pas
Saviano, c'est Chedid qui écrit ce cri. "Pluie de vitres, balcons effondrés, bâtisses qui s'affalent, déversant leurs habitants dans des sépulcres béants". Ecoutez toute la poésie terrifiante de sa description. "Sol en cratères, en dos de tortue, enchevêtrement de bois et de torchis, squelette fragile des immeubles, pans de murs taillés au rasoir. Voitures, vélos, charrettes sous un même linceul. Objets réduits à leur matériau. Poussière qui égalise".
La suite, je vous la laisse découvrir en feuilletant ces pages sublimes. C'est "
L'autre" qui apparaît. Comme dans la panthère des neiges, le félin fait
l'autre. Il est bien vivant, là, en dessous. Et celui qui le regarde à l'air libre, lui, est mort de terreur. le dialogue intérieur qui s'instaure entre les deux, l'un et
l'autre, est magnifié par cette écriture magique.
Alors, qu'il soit Chilien, Ukrainien ou Turc,
l'autre est là, à notre porte, ne l'oublions jamais. le ballon a circulé entre les pieds de ces trois expatriés. Qu'importe le résultat, la communication s'est faite, limpide. Il y aura toujours quelqu'un pour en témoigner. Si ce n'est vous, nous, ce sera "
L'autre".