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EAN : 9782246653011
646 pages
Grasset (01/08/2007)
4.5/5   74 notes
Résumé :

Nous sommes à Écorcheville, sur les bords du Styx, mieux connu pour être le fleuve des morts. Tout y est presque normal. Il pleut des salamandres, l'esclavage n'a pas été aboli, des automates permettent aux citoyens désespérés de se suicider, les fils de famille roulent à tombeau ouvert sur la corniche d'une Riviera désaffectée. Mais là comme partout ailleurs, les ambitions animent les habitants ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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«Écorcheville ou l'ultime bout du monde. Au-delà, il n'y avait plus que l'Au-delà ; rien d'étonnant à ce que les visiteurs ne s'y bousculent pas. Les rives du Styx, celles-ci et l'autre, on les verrait bien assez tôt.»

«L'Autre Rive» est un monde clos, comme peut l'être une ville endormie et isolée de province. Morose et recluse, Écorcheville vit sur les restes de sa splendeur passée, tout aussi inexplicable que son déclin. Une brume enveloppe le passé de la ville comme les rives du fleuve infranchissable qui la traverse, et qui n'est autre que le Styx.

«Les origines des grandes fortunes écorchevilloises baignaient dans une pénombre que nul historien ne se souciait de dissiper.»

L'ambiance est très étrange à Ecorcheville mais elle est pour la plupart de ses habitants le seul monde connu.
Parfois des créatures jaillies du Styx, sirène, satyre, centaure ou autre monstre, viennent s'échouer sur ses grèves malodorantes, exhibées ensuite par la montreuse de monstres locale. Tout ce qu'on a essayé de tirer de ce fleuve, matériaux de construction, et toutes les tentatives pour le traverser ont tourné au désastre. Et la météo a aussi des caprices bizarres puisqu‘on voit parfois pleuvoir des vers de terre vivants, des averses de salamandre, des rafales de crapauds-buffles qui maculent les murs et rendent les chaussées sanglantes et visqueuses.

Dans cette ville baignée dans la pénombre et les non-dits, le héros du roman, le jeune Benoît Brisé cherche à éclaircir le mystère de ses origines. Abandonné par sa mère, il a échappé à une enfance triste entre les quatre murs de l'orphelinat local, grâce à son adoption par Louise et Antoine Brisé, à qui il ne doit que ce nom ridicule et marqué du sceau de l'infortune. Timide et incertain, se sentant ignoré et étranger à tout, il rêve d'une liberté insouciante ou rebelle qui toujours lui échappe, et cherche surtout à découvrir enfin qui est son père, tout en s'inventant un destin de musicien adulé avec sa lyre électrique.

Crépusculaire, l'environnement d'Écorcheville et de Benoit Brisé est aussi très fantaisiste et drôle ; sa mère adoptive Louise, ancienne chirurgienne aux ongles trop sales devenue embaumeuse et taxidermiste l'élève avec les vieilles Toupies, une ancienne actrice, Lenya Orbison, et Cindy Christie, prostituée retraitée et increvable lubrique.

«De son vrai nom Ginette Morcif, Cindy Christie n'avait plus l'air que d'une gentille mémé-bonbons replète et souriante, mais elle avait longtemps fait claquer le fouet du plaisir sur l'échine de ses concitoyens, et aussi, chuchotait-on, de quelques unes de ses concitoyennes.»

Au fur et à mesure de la quête de Benoît, on découvre des dizaines de personnages, les familles de notables sous la figure tutélaire de Superbe Propinquor, Maire et maître de la ville, Lordurin le poète tout enflé de son importance, Onagre Propinquor et Cambouis Bussetin, rejetons désoeuvrés des familles dominantes, et puis Fille-de-Personne l'orpheline indomptable à l'air pas sage du tout, dans l'ombre de laquelle on risque toujours de croiser son frère Krux le prédateur, la bête noire du commissaire Dupassé, qui voit en lui "l'ongle incarné de l'humanité", ou encore Faunet, le satyre malicieux, qui sème le désordre et dévie le destin.

Miracle de l'écriture, « L'Autre Rive » est un monde jubilatoire, foisonnant de bizarrerie, d'étrangeté et d'humour. Un grand bonheur.

«"J'explore. Je cherche." Mais quoi ? Il ne le savait pas. Il cherchait. Il était pourtant trop jeune pour avoir déjà devine qu'un principe cryptique régissait Ecorcheville c'est-à-dire l'univers. Il n'avait pu que le pressentir : s'il existait une chose digne d'être sue, cette chose était forcement cachée.»
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À Ecorcheville, des nuées de salamandres tombent du ciel chaque semaine, éclaboussant d'une pluie de sang et d'acide les bâtiments. À Ecorcheville, une sirène vieillissante tourne en rond dans son aquarium du musée des monstres, près du cadavre empaillé d'un centaure. À Ecorcheville, le viol d'une jolie servante par un satyre fait les gros titres des journaux. À Ecorcheville, on peut se suicider pour dix euros en utilisant les charmantes « fusillettes » automatiques et acheter un esclave pour cinquante. À Ecorcheville, coulent les eaux fangeuses et sombres du Styx, le fleuve mythique qui sépare le monde des vivants de celui des morts. À Ecorcheville, si l'on a le coeur bien accroché et que l'on ne craint pas de se promener au plus noir de la nuit, on peut voir le vieux Charon seul dans sa barque, attendant, impavide et patient, les âmes des trépassés.

Pourtant, Ecorcheville n'est pas une ville si différente des autres. On y retrouve les même églises, les mêmes bâtiments municipaux crasseux, les mêmes politiciens véreux, les mêmes policiers dépassés, les mêmes lycéens désoeuvrés qui trompent leur ennui en se livrant à des courses d'automobiles effrénées et un brin suicidaires le long des falaises… Benoit Brisé est l'un d'entre eux. Un peu paumé, un peu flemmard, un peu rebelle, il traine ses seize ans comme on trainerait un boulet. À défaut d'agir, il rêve beaucoup, comme tous les adolescents : il rêve du jour où Fille-de-Personne, la féroce et sauvage orpheline dont il est amoureux, s'intéressera à lui ; il rêve du jour où ses amis, tous gosses de riches aux destins lumineux et tout tracés, le traiteront en égal ; il rêve du jour où son talent de musicien – si talent, il y a – sera reconnu ; il rêve du jour où il retrouvera son père dont il ignore l'identité et sa belle actrice de mère qui l'a abandonné à sa naissance ; il rêve du jour où il quittera enfin Ecorcheville, abandonnant à jamais derrière lui ses berges boueuses et ses vents pestilentiels. Mais on ne quitte pas aussi simplement Ecorcheville… Aussi loin que vous tentiez de fuir, la ville s'accroche à vous comme une sangsue : elle est en vous, elle est vous et sa marque obscure et lumineuse restera greffée sur votre peau jusqu'à la fin de votre vie.

Quel roman splendide et insolite que celui-ci ! Sans cesse à cheval entre fantastique et banalité, merveilleux et vie de tous les jours, il nous entraîne dans un univers trouble, à la fois très semblable au notre et délicieusement dérangeant. On retrouve dans « L'autre rive » bien des aspects des romans d'apprentissage tels qu'ils étaient écrits au XIXe siècle : le passage amer à l'âge adulte, l'apprentissage des codes sociaux, l'éducation sentimentale… À ces codes classiques, se mêlent des touches fantastiques, un peu de mythologie grecque, une pincée du surréalisme... L'auteur se permet même de flirter parfois avec les codes du roman policier ! Mixité dangereuse qui pourrait déconcerter le lecteur, mais qui confère justement tout son charme enchanteur au roman – grâce en soit rendu au talent du romancier. Pour ne rien gâcher, l'écriture de Châteaureynaud est absolument superbe, regorgeant de trouvailles poétiques et d'humour, l'histoire est belle et triste à la fois, les nombreux personnages merveilleusement typés… J'ai rarement vu l'adolescence – période souvent fort mal traitée en littérature – ses affres, ses rêves et sa fragilité aussi justement décrits.

En conclusion, un très très beau roman qui séduira sans doute même les plus rétifs à la littérature fantastique. Et un très grand merci à Ys pour me l'avoir fait découvrir : merci, merci, merci !
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L'Autre rive fait partie des livres que j'emporterais sur une île déserte, d'ordinaire je suis un fan de Chateauraynaud, mais là avec ce titre, on touche vraiment au roman merveilleux (je l'ai offert à plusieurs reprises) et il fait partie des livres dont on souhaite que passe un peu de temps pour avoir le plaisir de le relire et de le redécouvrir.
En fantastique, je le rapproche volontiers de Gormenghast, bien que l'univers en soit différent.
Roman de quête, d'initiation, intemporel, qui pourrait se passer n'importe quand, roman du bout du monde, d'une micro-société au microcosme reproduisant toutes les grandeurs et les tares des grandes sociétés.
Roman de la différence, ici les créatures du Styx représentent les réprouvés, roman hanté par la mort, une mort acceptée, fatalitée de la vie.
Les personnages du roman ont une vie dense, et portent en eux toutes les contradictions et toutes les grandeurs qui en font des personnages de roman que l'on n'oublie pas. Cependant , la ville est un personnage à elle-seule, et lorsque le livre est terminé, elle reste présente et il est difficile de s'en détacher.
En résumé, un grand roman, même pour ceux qui n'aiment pas le fantastique, tant celui-ci n'est qu'un support aux propos de l'auteur et non pas le moteur du livre.
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Il n'est jamais trop tard pour découvrir un auteur et un grand livre, L'autre rive de Georges-Olivier Châteaureynaud est une petite merveille qui conjugue le fantastique, le roman d'apprentissage et la critique sociale dans une langue superbe et savoureuse.

Benoit Brisé le jeune héros du roman habite Ecorcheville séparée de l'Erèbe par le Styx sur lequel Charron continue à conduire les morts dans l'au-delà, dans cette ville grise où se produisent de curieux évènements climatiques et où apparaissent d'étranges créatures, Benoit tente de passer le cap difficile de l'adolescence.

Si un certain mystère pèse sur sa généalogie il vit heureux avec Louise sa mère adoptive, embaumeuse de profession qui tire le diable par la queue. A Ecorcheville il y a les riches familles qui possèdent la ville et les autres dont fait partie Benoit. Bien que pauvre il est ami avec des jeunes des familles régnantes ce qui lui permet de profiter de leurs nombreux avantages, comme la possession d'esclaves, tout en sachant qu'il n'est pas de leur monde.
Comme tout ado Benoit va se chercher, sécher les cours, tomber amoureux sans espoir, décider qu'il sera musicien et qu'il doit savoir qui sont vraiment ses parents.

Impossible de raconter toutes les folles péripéties de cette quête d'identité dans une ville monde, dans un superbe isolement géographique et financier qui n'est pas sans faire penser à Monaco et à ses super riches.

Si l'on s'amuse beaucoup, si Châteaureynaud distille un humour fin et percutant, le tragique n'est pas absent et la mort rôde, Charron a du travail. La critique sociale est permanente et le pouvoir corrupteur de l'argent démontré jusqu'à la fin du roman qui n'épargne ni la ville, ni notre héros. Parmi toutes les qualités du roman la plus remarquable, à mon sens, et l'intégration des éléments fantastiques à l'intrigue, ce qui pourrait être artificiel ne l'est pas et contribue à une histoire fascinante et finalement assez sombre.
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L'Autre Rive est un roman magnifique sur la quête de soi, d'une identité et d'un but. Sur la difficulté à être au monde, à aimer et à vivre. Sur l'espoir de s'accomplir, la terreur de vieillir et de se perdre en route - mais perdre quoi, au juste, quand on peine déjà tant à savoir ce qu'on est ? Brisures si familières au milieu de l'étrange - l'étrangeté du monde et des autres, que la distorsion fantastique du réel met si bien en relief, ici comme ailleurs.

Ce roman est d'ailleurs merveilleux plutôt que fantastique, suspendu comme dans une bulle entre les genres, entre réel et imaginaire, participant un peu de tous sans s'y laisser définir. C'est un roman magique, en tout cas, par sa faculté à entraîner son lecteur, tout entier, dans un monde à part tellement plus réel que le nôtre, et tout aussi mystérieux. (Ou est-ce l'inverse ?)

De cette magie, participe pleinement une plume élégante et limpide, en laquelle s'accomplit un parfait mélange de poésie et de vigueur. Mais aussi chaque personnage auquel l'auteur a donné vie avec une générosité inépuisable : notables douteux, parents indignes, fils à papa, gamins paumés, voyous maléfiques, créatures de l'autre monde, secondaires ou essentiels, attachants, sympathiques ou presque odieux, chacun a son relief propre, son ambiguïté, chacun est investi d'au moins une parcelle de grandeur, de folie ou de fragilité qui nous accroche à lui. Et les premiers rôles, de ceux qui gravitent autour de Benoît Brisé, sont tout particulièrement réussis.

Un bijou dont je recommande très vivement la lecture.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Avec un bruit sec, le premier grêlon vivant s'abattît au pied de Benoit. Il se pencha pour mieux voir. Au centre d'une étoile de sang irrégulière, il distingua le corps disloqué d'une minuscule salamandre. Aïe aïe aïe ! Les averses de salamandres, c'était ce qu'il y avait de pire avec les pluies de crapauds-buffles, heureusement très rares. En éclatant, les jolies petites bêtes noires tâchées de jaune répandaient, mêlée à leur sang, l'humeur corrosive secrétée par leur épiderme ; ça vous brûlait la peau, ça attaquait les étoffes, c'était une malédiction ! On avait même vu des réactions allergiques aiguës, des œdèmes de Quincke en pleine rue. Il était plus que temps de se mettre à l'abri pensa Benoit.
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Est-ce qu'on avait comme ça un "vrai destin" qu'on épousait ou non, qu'on attrapait ou qu'on ratait comme un train, et d'autres destins de raccroc, de moins en moins nécessaires, de moins en moins légitimes, sur lesquels on se rabattait, dans lesquels on dégringolait toujours plus loin de sa vérité ?
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Il se vit dans la situation d'un prisonnier dans sa cellule, ressassant des rêves d'évasion face à une porte massive,hérissée de serrures formidables, mais qu'un geôlier pervers aurait sciemment omis de verrouiller. Une poussée suffirait à ouvrir cette porte, cependant le prisonnier persuadé du contraire ne songera jamais à l'appliquer. Enfermé dans la fiction de sa captivité, il finira par mourir de désespoir à trois pas de la liberté.
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Benoît se représenta fugitivement Fille-de-Personne en voilette et robe blanche, un bouquet à la main, avec photographes et pluie de riz, sortant de la mairie d'Ecorcheville au bras de Cambouis, par exemple, parce qu'à son bras à lui, Benoît... L'image était à la fois burlesque et cruelle.
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Peut-être avait elle compris qu'Onagre traversait la vie en coup de vent, "à toute vibrure" comme il disait, parce qu'il n'avait rien de particulier à y faire.
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