Je viens à peine de terminer la lecture de
L'or - La merveilleuse histoire du général Johann August Suter et voilà que je me lance de nouveau dans la lecture d'une biographie romancée de
Blaise Cendrars sur un personnage qui a existé,
Jean Galmot, personnage haut en couleur, attachant, complexe, totalement atypique, que l'écrivain n'hésite pas à comparer à Don Quichotte. Je ne sais pas vous, mais moi j'ai toujours adoré ce fameux Don Quichotte...
C'est un court récit et c'est à croire que
Blaise Cendrars aime se pencher sur des personnages dont la réussite sociale est aussi fulgurante que leur chute...
Mais qui est
Jean Galmot et pourquoi
Blaise Cendrars s'est pris d'affection pour ce personnage ? Son histoire est comme un roman, digne d'une légende.
Blaise Cendrars s'est longtemps promené dans les coulisses du monde et la trajectoire de
Jean Galmot ne pouvait que le séduire.
Nous sommes au début du XXème siècle, le début de ce récit croise la fin de l'affaire Dreyfus, la révision du procès et ce n'est pas un hasard, tout d'abord parce que
Jean Galmot était journaliste à cette époque et parce que celui-ci est séduit par la cause dreyfusarde. Il sera amené à chroniquer cette affaire et c'est étonnant de découvrir que plus tard son parcours sera pour lui aussi semé de mensonges, de trahisons, d'ignominie...
Difficile d'enfermer
Jean Galmot dans un seul registre : journaliste, espion, poète, écrivain, aventurier, homme d'affaires, député... Je vous l'ai dit, sa vie est un roman incroyable, même sa mort l'est aussi... Et c'est sans doute cela qui a séduit
Blaise Cendrars. Mais peut-être davantage, dans le parcours semé d'embûches, derrière la silhouette ambigüe d'un homme complexe, difficile à saisir, l'écrivain y a vu la bonté, la générosité, l'humanisme, l'opiniâtreté aussi, ne cédant rien à la meute de ses ennemis, luttant jusqu'au bout, jusqu'à ce jour où il mourut empoisonné par un bouillon assaisonné d'arsenic...
Mais qui était
Jean Galmot au juste ? À vingt-six ans, il est ambitieux, criblé de dettes que beau-papa rembourse sous la condition que son beau-fils aille se refaire une moralité là-bas en Guyane française... Nous sommes en 1906. Et c'est là-bas que le jeune homme va faire fortune, mais pas seulement. Il se révèle une âme d'aventurier et de rêveur en se découvrant broussard infatigable et en se frottant aux délices de la forêt.
Certes il va faire fortune dans le
rhum, mais dans son ascension d'industriel ambitieux il va se révéler être un des grands porte-paroles de la cause noire, ce qui lui vaudra le surnom de « Papa Galmot » au sein de la communauté indigène guyanaise. Cet engagement doublé d'une manière saine et héroïque de mener ses affaires va lui valoir aussi les foudres de ses confrères industriels et du pouvoir parisien en place, dans un contexte politique où l'esprit colonial est à son apogée. Quand
Jean Galmot devient député sans étiquette de la Guyane française, c'est le pompon, tout est réuni pour commencer à semer des trappes et des chausse-trapes sur le chemin de cet homme qui commence vraiment à agacer, non mais quoi ?!
C'est sans doute ce côté franc-tireur qui a dû séduire
Blaise Cendrars.
C'est bien connu, tous les chemins mènent au
rhum, et c'est justement l'affaire des
rhums qui va faire trébucher notre héros...
S'ensuivent quelques chapitres ou
Blaise Cendrars se fait chroniqueur judiciaire. Les amateurs du genre apprécieront. Mon attention s'est un peu relâchée durant ces épisodes. Cependant je comprenais alors toutes les raisons pour lesquelles l'écrivain avait eu l'inspiration d'identifier son personnage à la figure de Don Quichotte, surtout au plus fort de la tourmente tandis qu'il continuait de clamer haut et fort : « je crois en la justice de mon pays ». Malheureux homme ! Et comment ne pas sourire et admirer le bon mot de son avocat qui disait : « dans ces conditions, tout homme libre en ce pays est en liberté provisoire ». J'adore !
Dressant le portrait à décharge d'un homme généreux, idéaliste, franc-tireur,
Blaise Cendrars revêt ici l'habit du journaliste investigateur, ouvrant les archives, les tiroirs, pointant les loups, les fils blancs, jusqu'à montrer comment déjà à cette époque de notre démocratie balbutiante, on pouvait bourrer les urnes avec les voix des morts puisque c'est ce que fit l'adversaire de
Jean Galmot de manière totalement décomplexée. Bon, nous étions en 1928, je vous rassure cela n'existe plus de nos jours, du moins en France... Ah ! Ouf ! Tu nous rassures...
Mais le style de
Blaise Cendrars dépasse la simple chronique journalistique. Il nous raconte l'histoire d'un personnage presque mythique en y mettant son souffle et son empathie. J'ai beaucoup aimé cette approche.
C'est peut-être dans la confrontation d'une forêt semée d'embûches que le personnage de
Jean Galmot a forgé son caractère. C'est cette image qui me revient au moment d'achever ma chronique, un homme perdu dans la forêt, confrontant son regard émerveillé avec celui du chat-tigre, ennemi chacun l'un pour l'autre et se respectant dans un duel loyal.
Comment alors ne pas s'émouvoir de ce passage du texte si inspirant ? « La jungle qui tue ne m'a pas eu, elle me fera grâce parce que je l'aime d'un amour fervent, parce que je lui dois tout, parce qu'elle m'a appris à être libre. La jungle est l'ennemi loyal et sûr, qui frappe en face, qui prend à bras-le corps. L'adversaire hideux et bête, qui torture et qui fuit, le plus redoutable ennemi dans la jungle, c'est l'homme... » Il allait le découvrir à ses dépens quelques années plus tard, lorsqu'une meute serait lancée contre lui où les règles de la jungle paraissaient brusquement si simples et si lointaines à côté...
Jean Galmot mourut à l'âge de quarante-neuf ans.
Qui a dit : « L'homme est un loup pour l'homme » ?