Tout est beau dans le meilleur des mondes !
Oui, mais lequel ?
L'IRL – In the real Life – le monde réel,
ou
le VR -Virtual reality – le monde illusion ? (Remarquez que si vous prononcez IRL, on entend irréel. Quel micmac…)
Marsu éprouve une attirance croissante pour le monde de Thom, berceau de mille vies à la fois. Un monde sans limites, sinon celles du retour au réel, une fois le casque déposé.
La vie en chair et en os paraît bien étriquée, même si Marsu et Darling forment un couple ouvert, allant jusqu'à offrir un enfant à leur amie lesbienne et célibataire, en la laissant procréer avec Darling. Marsu sera la marraine de l'enfant. Quelle ouverture d'esprit… quelle confusion…
Elle, l'architecte, perd pied à naviguer entre IRL et VR. Surtout que le procédé ATHOME, comprenez at home, c'est-à-dire « chez soi », permet de vivre les deux vies simultanément, moyennant un implant dans le cerveau.
Néanmoins, des questions émergent sur le nouveau compagnon VR de Marsu lorsqu'elle en parle avec son Darling :
« Comment peut-il être aussi tiède dans le monde physique alors qu'on est aussi connectés dans le virtuel ? »
- Il se souvient peut-être vaguement que tu es mariée, réagit Darling.
L'amoureux est décontenancé, il souffre mais n'essaie pas de retenir Marsu, aspirée par la féérie d'ATHOME. S''il est possible de vivre deux vies à la fois, GO !
Plus je tournais les pages, plus mon malaise grandissait. Je me projetais dans un futur possible, modelé par l'industrie numérique - voir le Métavers – et j'étais attristé. Attention danger.
J'ai repris mes classiques,
Serge Tisseron en l'occurrence, qui évoque la « rêvasserie », la matrice, dirais-je du virtuel.
"Celui qui s'adonne à cette activité est totalement dissocié à la fois de sa vie et de son imagination. Il a l'illusion que sa vie est trépidante (…)
(…) le problème est que tôt ou tard, cette personne sent que les gens qui attendent quelque chose d'elle sont déçus et se déçoit elle-même. La rêvasserie finit par la posséder comme un esprit malin auquel elle ne parvient plus à échapper. »
C'est ce que décrit très bien
le champ des possibles. Les auteures semblent avoir un penchant pour la réalité artificielle, différenciée du monde physique par des couleurs criardes, des fonds hachurés et un trait brut, tandis que la palette du monde réelle est harmonie, douceur et beauté. Large coup de chapeau à
Anaïs Bernabé.
L'atelier de Darling, la cuisine du couple « open », une corde à linge flottant au vent, sont des merveilles de finesse et d'accords chromatiques. C'est ce que je retiens de ce bel album, un feu d'artifice esthétique comme j'en ai rarement vu.
Le fond me laisse perplexe, le délire final m'a largué. J'ai donné libre cours à un décodage, probablement déplacé, si les intentions des auteures se bornent à nous divertir. Cependant, la réflexion s'impose si elles ont voulu transmettre un message subliminal sur les relations amoureuses, le mal-être, le mirage du virtuel.
Alors pur divertissement ou matière à penser ou fable sans parti pris ?
Je vous laisse forger votre opinion sur ce qui est donné à voir, à imaginer et à philosopher.