AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782859408497
672 pages
Phébus (13/09/2002)
3.89/5   14 notes
Résumé :

Le personnage qui nous introduit ici à la confidence de sa vie, si excessif qu'il nous paraisse, n'est pas une chimère. Les historiens le connaissent sous le nom de Houei Tsong, dernier empereur des Song du Nord (début du XIIe siècle), peintre et calligraphe de haut rang, qui rêve d'installer sur terre un ordre politique inouï, fondé sur le seul pouvoir de la Beauté. Figure émouvante que celle de ce souverain &... >Voir plus
Que lire après Le Palais des nuagesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
La lecture des 640 pages du "Palais des Nuages" n'est pas une mince affaire. C'est un grand, vrai et très beau roman, qui nous transporte dans la Chine des Song du Nord, au XII°s (et non, comme je l'ai lu, à l'époque antique Qin des guerriers d'argile) et dans l'âme du narrateur, prince du sang, puis empereur, le dernier de cette dynastie qui succomba sous les coups des barbares nordiques Jürchen. Le nom de règne du narrateur et héros est Song Huizong (selon le code de chinois normalisé que le romancier ne suit pas), il vécut de 1082 à 1135.


Toutefois, ce n'est pas un véritable roman historique, mais l'histoire merveilleuse d'un jeune enfant, d'un garçon privilégié, né enfermé dans la Cité Interdite de Kaifeng, la capitale, et allant de découverte en découverte sous la férule de maîtres extraordinaires (ayant vraiment existé, comme le grand poète Su Dongpo). Il devient calligraphe, poète inspiré, enthousiasmé, profondément marqué par la magie subversive du taoïsme, et son récit est la meilleure manière de faire entrer le lecteur dans cette culture étrange et déroutante, où la calligraphie et l'escrime, la poésie et la politique, l'autorité et l'anarchie, se donnent la main. La première partie, jeunesse et formation du héros, est une merveille.


Quand brusquement ce jeune homme se retrouve empereur, un champ immense de possibilités s'ouvre à lui : il pourra réaliser ses rêves, édifier son palais des nuages, modeler le réel à son idée. Comme nous suivons ses extases et délires d'un point de vue interne, il nous est impossible de mesurer les affreux dégâts que ce roi fou, dévoyé par des courtisans profiteurs, fait subir au réel, sauf à l'extrême fin, quand le réel vient frapper à sa porte et lui imposer sa loi. Le choix narratif de l'auteur nous contraint à partager les rêves, les folies, les ignorances mêmes de son héros, qui ne comprend rien à ce qui se passe et interpose entre le réel et lui la magnifique calligraphie de ses désirs. Cette seconde moitié du roman semble rythmée par le compte à rebours de l'Histoire (avec sa grande Hache, disait Perec).


Mais la catastrophe n'a pas le dernier mot, que je m'abstiendrai de dévoiler. On a voulu comparer ce roman aux Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar, puisqu'il s'agit dans les deux cas de l'autobiographie fictive d'un empereur. Superficielle analogie : Yourcenar est une sage romancière, qui ne s'écarte jamais de la voie gréco-latine de la raison et de la tempérance, jusque dans les excès de son empereur (qui meurt, apaisé, dans son lit, et non détrôné et vaincu par ses ennemis). Song Huizong est l'empereur de toutes les folies, il explore la divinité en lui-même jusqu'au bout, quitte à perdre le lecteur en chemin. Yourcenar s'en tient à l'humain, en bonne héritière de l'humanisme européen. Il y a autant de ressemblance entre ces deux romans qu'entre un "vieux lapin confucéen" trop raisonnable et un mystique exalté du Tao. C'est justement ce qui fait de la lecture de ce livre une expérience exaltante, mais aussi épuisante, car on n'entre pas sans risque dans l'âme d'un fou génial. On se référera plutôt au "Fils du Ciel" de Victor Segalen, autre histoire d'empereur de Chine et d'échec historique.


Pareil roman n'aurait pu venir sous la plume d'un sinologue occidental comme Patrick Carré, sans l'expérience maoïste à laquelle, je crois, il est fait allusion par moments. Mais si "l'idéologie", cette volonté d'incarner les idées dans le réel, est à l'oeuvre chez Song Huizong (tyran romanesque) comme chez Mao Zedong (réel meurtrier de masse), au moins dans ce roman, a-t-elle la supériorité de la poésie et de la beauté, sur la laideur et le ressentiment égalitaires de cet autre tyran chinois du XX°s.
Commenter  J’apprécie          189
Au crépuscule de sa vie, un vieil empereur se retourne sur son passé et revient sur une existence vouée aux affaires politiques, mais également à l'amour, à l'art, à la philosophie... Non, il ne s'agit pas du résumé des "Mémoires d'Hadrien" : l'empereur dont il est question ici se nomme Huizong de la dynastie des Song et régna sur la Chine au douzième siècle. Pourtant le parallèle avec le chef-d'oeuvre de Marguerite Yourcenar est loin d'être incongru. Outre la proximité de leur sujet et de leur mode de narration, ils ont en commun leur ambition littéraire et intellectuelle. "Le Palais des Nuages" n'est, en effet, pas une lecture facile. Il faut s'accrocher pour venir à bout de ces six cents et quelques pages, très denses, au style très travaillé, souvent poétique — quoi de plus normal s'agissant des mémoires d'un homme qui, comme d'autres souverains chinois, fut peintre et poète ! Mais quel destin passionnant, et quelles belles pages nous sont offertes par ce narrateur qui, après son abdication, n'est plus rien, après avoir été le Fils du Ciel !

À aucun moment l'empereur n'apparaît comme un personnage antipathique. Il n'a rien d'un individu cruel ou violent, bien au contraire. Il n'a pas cherché à se hisser au plus haut rang et aurait préféré mener une existence modeste consacrée à l'art de la calligraphie, ou une vie d'ermite dans ces montagnes du Sud qu'il aime tant. Une fois monté sur le trône, il ne rêve ni de puissance ni de conquêtes militaires : toute sa politique tend vers la recherche de la beauté sous toutes ses formes, une quête symbolisée par un Palais des Nuages fantasmagorique... Pourtant il agit bel et bien en despote, menant son pays à la ruine sans en avoir conscience, avec toute l'innocence d'un dirigeant condamné de par sa fonction à ne jamais quitter l'enceinte de son palais. Le roman s'ouvre fort judicieusement sur une citation du philosophe Alain : "Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou". Le glissement vers la folie se fait de manière quasi imperceptible, tant pour le lecteur que pour le narrateur lui-même. Il faudra l'irruption de la laideur dans la capitale impériale, sous la forme d'une invasion des barbares du Nord, pour dessiller ses yeux et le mettre face à ses terribles erreurs de jugement.

S'ils sont tous deux des romans historiques ayant pour cadre la Chine ancienne, ce "Palais des Nuages" a, dans le fond comme dans la forme, tout de l'antithèse du laborieux "Disque de Jade" de José Frèches que j'avais lu quelques semaines plus tôt. Je ne doute pas que la grande majorité des lecteurs préférera ce dernier, bien plus accessible. Mais si vous vous êtes régalé à la lecture des "Mémoires d'Hadrien" et si la Chine ne vous est pas tout à fait étrangère, alors il est possible que vous trouviez à votre goût ces mémoires imaginaires de l'empereur Huizong, tyran et artiste.
Commenter  J’apprécie          102
Ce roman d'un sinologue est saturé d'images colorées comme de disputes philosophiques (« Je verrai à la longue que la première manie des grands Song était — comment le dire précisément ? – le délire verbal », p 125). On y trouve la description minutieuse des lieux et des hommes, surchargée de noms propres et de nobles qualificatifs, dans un exotisme baroque, superlatif, sans doute historiquement vrai — les Chinois affectionnent les « Palais des Splendides Esprits » et autres « Torrents du Dragon Resplendissant ». Au-delà de l'onomastique chinoise, Pi Kan, Tcheou Sin, Kouo T'ien.sin, etc., qui met la mémoire à l'épreuve, Carré use de mots rares (filandre, eulogie, égrotant, dulcimer, rauquer, etc.), et pratique un style riche : « Nous longeâmes d'abord les rizières phosphorescentes ; effrayés, les canards détalaient entre les jeunes épis. Puis nous entrâmes dans le sourire vers sombre de la forêt. Les criquets s'étaient tus ; la pénombre soudain émit d'autres cris, plus furtifs. La lumière ricocha sur une cloque de sève au genou d'un pin, puis sur une bulle de bave dans la mousse, puis sur tous les miroirs aux dix mille facettes de ce qui grouille et vit dans les sous-bois » (p 206, voir aussi la visite à Mi Fou p 212).

Tchao Ki est le troisième fils de l'empereur et n'est pas destiné à régner. Il apprend la calligraphie et la poésie bien avant les rites, les armes, les femmes et la politique. Les trois ou quatre cents premières pages décrivent sa formation, ses goûts, ses rêves et ses craintes : l'Ailleurs, la Femme Pure, le Barbare. La mort ou le handicap de ses aînés le mettent sur le trône et l'impératrice douairière le salue comme « futur Ancêtre Parfait des Grands Song », une annonce qui conforte le prince dans son destin et fixe le lecteur sur sa dynastie (p 289). Carré saute la cérémonie d'intronisation, mais non sa visite au Lettré de la montagne ni sa première rencontre avec une femme, bien avant qu'on lui attribue une épouse et 81 épouses-assistantes. Il règne selon la coutume, puis donne le pouvoir à une académie, et enfin à sa fantaisie : « Tout à coup je me levai, très ivre et très frais ; les deux hommes aussi, puis Belle, mollement. — le secret qui nous concerne, messeigneurs, est celui-ci : l'empire est notre jouet, amusons-nous ! mais si possible avec art… » (p 440). Suit le récit touffu d'une décadence où l'on se perd : les excès, l'ami intéressé, la conversion en moine taoïste, la continence et le jeûne pimentés de drogues qui font apparaître la vision du « Palais des nuages » (p 467), les désillusions, la guerre, les complicités, les trahisons, les révoltes, les supplices, l'invasion, la défaite.

Après les ultimes humiliations et la mort violente de ses femmes, l'empereur est emmené en esclavage, puis affranchi et confié à un serviteur dont le nom est Chien. Chien lui apprend à vivre, comme l'instructeur maoïste à la fin du Dernier empereur de Bertolucci : « Chien, mon frère, ta bonté est vaste comme la forêt, mais le vieux sorcier que tu héberges est guéri de tout : de la vie, et de toutes ces délicatesses qui sont l'ornement dangereux, l'ornement fascinant de la vie (...). L'ivresse m'a quitté, et ses vertiges. Je puis enfin m'asseoir au bord du gouffre des nuages » (p 643).
Commenter  J’apprécie          72
De sa naissance à sa mort, la vie du dernier empereur de la dynastie des Song du Nord. Une autobiographie fictive qui plonge le lecteur au coeur de la Chine impériale. L'art, l'amour, la calligraphie, la guerre et les philosophes. Tout un monde dans un roman qui est à la civilisation chinoise ce que les 'Mémoires d' Hadrien' sont à la culture classique.
Commenter  J’apprécie          20
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
... Qu'es-tu devenu, Tchao Ki, prince chéri des poètes ?
Le vieux tigre pleurait. J'osai une protestation que je voualis consolante :
- Mais je n'ai jamais cessé de suivre la Voie (Dao) !
- La seule Voie que je sache passe par le solitude ; de même que la seule initiation digne de ce nom a lieu dans le secret. Que t'a donc appris Lin Ling-sou ?
- Que tout était divin.
- Qu'est-ce que cela veut dire ?
(...)
- Que nous sommes des dieux au paradis.
- Illusion, Tchao Ki ! Tu es un riche inconscient qui s'ennuie. Ta vie se nourrit de la misère de ton peuple et tu parles de paradis !
Mon coeur explosa de nouveau.
- Non, maître Kouo, je n'ai jamais fait souffrir personne !...
Il soupira :
- Que sais-tu, enfermé dans ta prison d'or, des conséquences que ta "divine" folie a pu semer de par le monde ? Que sais-tu de la souffrance ? .... Je m'en vais, Tchao Ki. J'ai bientôt parcouru mon siècle d'âge : je n'attends plus que le repos. Tu refuses de m'entendre, tant pis. Viendra un jour où mes paroles résonneront en toi, à l'heure inévitable du regret : le Ciel veuille que ce ne soit pas trop tard... Adieu !

p. 492
Commenter  J’apprécie          50
— Comment peut-on aimer la Barbarie ?
— Justement, répliqua-t-il avec conviction. La Barbarie vous met tout nu. Cela vous effraie d'abord, puis vous découvrez que la nudité n'est pas du tout horrible. La steppe dessille les yeux les plus crottés ; les dunes de sable ressemblent au soleil, chaque pas éblouit le voyageur ; l'horizon rapproche l'infini des paupières : les montagnes, les lacs, et les gens, puants et noirs, qui saluent en souriant, les yeux au fond des vôtres, n'ayant rien à perdre, tout à espérer. On les appelle Barbares parce qu'ils savent vivre en marge de l'empire, mais l'empire se réduit bien souvent à une Cour futile, masse de chair bavarde et ventripotente. À la guerre, je ne vole pas l'empereur, en Barbarie, je glorifie l'empire. Que le Ciel fasse qu'il y ait toujours une Barbarie !
— Que faites-vous en Barbarie ?
— Je chevauche dans le désert et sur les plateaux tannés par le vent, je bâtis des stratagèmes sous la tente avec de beaux guerriers, je bois du vin de vigne avec les vieux conteurs qui chantent les mers d'Occident — parce que, après les montagnes du Chaos et le désert de Feu, il y a Kachgar et Samarcande : mousseline, melons et vin ambré ; et après Samarcande, des montagnes gigantesques qui se jettent dans l'océan...
Commenter  J’apprécie          20
Tout à l'heure, vous vous demandiez quelle ivresse était susceptible de vous dévoiler l'Ailleurs ...
- Euh, pas vraiment ; je me disais que parmi les ivresses possibles, la politique n'avait aucun attrait pour moi...
- C'est parce que vous ignorez les orgies du pouvoir, rugit-il. Pour les âmes sans poésie, le pouvoir est la clé d'une forme perverse d'Ailleurs appelée "pouvoir" également. Qui a connu le pouvoir ne peut plus s'en passer. Ce n'est pas comme le vin, dont il faut, de temps à autre, cesser d'abuser ...
- Je ne comprends pas ce que "pouvoir signifie. Est-ce une forme possible de l'amour ?
Maître Kouo eut un sourire énigmatique.
- Souvent l'amour n'est qu'une variante du pouvoir ... Non, le pouvoir, c'est agrandir sa liberté aux dépens de la liberté d'autrui.
- J'ai l'impression, maître, que dès que nous ouvrons les yeux le matin, nous luttons pour le pouvoir.
- Juste impression. Regardez bien, Altesse, autour de vous : vous ne verrez que des fous du pouvoir. Maître Sou se moquait si ouvertement de leur esprit maigrichon, de leur masque glauque et de leur haleine fétide qu'ils ne l'ont pas supporté et l'ont chassé à la mort. Cependant, pour un initié aux mystères du corps, le monde reste pur quoi qu'il arrive - météores, insurrections, famines. Voilà qui est inadmissible aux esprits simples. Bien sûr que votre frère Pi ne voudra jamais savoir ces choses. L'horreur qui torture jour et nuit les malheureux n'est que pure fantasmagorie - et c'est en tant que telle qu'il faut l'envisager pour la résoudre.

P. 94-95
Commenter  J’apprécie          10
— Quelles histoires aimes-tu ? demandai-je.
— Toutes les histoires où le héros s'en sort grâce à son intelligence.
— C'est quoi, l'intelligence ?
— C'est comprendre sans se faire expliquer.
Commenter  J’apprécie          100
Quelle joie ! Le rocher avait remonté le Grand Canal et se reposait à Ts'i-sien.
On l'avait donc fait rouler sur plus de sept mille troncs d'arbres jusqu'à une barge gigantesque, longue de vingt toises et large de huit. Vu la relative étroitesse des canaux on avait curé les biefs sur plus de cent lis et, chemin faisant, le "Marquis Spiralé aux Mouvements Magiques et à l'Éclatante Valeur", tout de jaune vêtu, avait arraché les vannes de quarante écluses et brisé les piliers de deux cent quatre-vingt-dix ponts. Neuf cents haleurs étaient morts à la tâche, avec les encouragements et le soutien des quelque cinq mille soldats impériaux qui escortaient le Marquis dans sa marche triomphale. Dans les villages et les bourgs, on réquisitionnait à chaque halte sept cents bœufs, mille chèvres, cinq mille porcs et deux mille setiers de farine. Un million d'hommes et de femmes avaient salué le rocher en s'agenouillant sur son passage... et le voici qui approchait ! Bientôt il rehausserait de ses dix-huit toises les mille pieds du Mont d'Aplomb !
Commenter  J’apprécie          10

Video de Patrick Carré (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Patrick Carré
Maud Simonot "l'Enfant céleste" édition de l'observatoire interviewée par Azélie Carré de la librairie le comptoir des lettres. Rentrée littéraire 2020 librest.com / lalibrairie.com
autres livres classés : chineVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (53) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3224 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..