le titre Les Justes, une expression du judaïsme tirée du Talmud, Juste parmi les nations, désignent celles et ceux qui ont contribué à sauver des citoyens de confession juive pendant la Seconde Guerre mondiale. Wikipédia explique : » le titre de Juste est décerné au nom de l'État d'Israël par le mémorial de Yad Vashem. Au 1er janvier 2020, 27 712 Justes parmi les nations de 51 pays ont été honorés ; la Pologne, les Pays-Bas et la France sont les pays dont les citoyens ont été les plus médaillés. En tout, les Justes ont sauvé des centaines de milliers de personnes. » Parmi eux, l'attention de l'auteur néerlandais
Jan Brokken a été attiré par l'un de ses compatriotes défunts, Jan Zwartendijk, occupant la fonction de consul honoraire à Kaunas la « capitale temporaire » de Lituanie, après l'annexion de Vilnius par la Pologne, pendant les premières années de la guerre : c'est un bel hommage qu'il rend ici à cet homme qui a contribué, en coopération avec d'autres Justes, à sauver plusieurs milliers de Juifs au péril de sa sécurité et celle de sa famille.
C'est plusieurs d'années de recherches qui ont abouti à ce livre, à chemin entre l'essai et le livre d'histoire, qui évoque des hommes, des pays qu'on a moins l'occasion de parler lorsqu'on évoque cette guerre mondiale: les Pays-Bas, de par leur neutralité déclarée mais tout de même envahis par l'Allemagne, des pays baltes imbriqués entre l'omniprésence des deux géants impérialistes et agressifs qui les entourent, l'Allemagne nazie et l'Union soviétique. C'est par le biais de l'histoire de Jan Zwartendijk et de sa famille, sa femme Erni, ses enfants Jan Junior, Edith, Robby que
Jan Brokken va faire débuter son récit, pour comprendre les enjeux géopolitiques et la position de Jan Zwartendijk, d'abord directeur de la filiale lituanienne Philips, assujettie à la maison mère d'Eindhoven, puis directeur de ladite filiale en même temps que consul honoraire des Pays-Bas. C'est un récit extrêmement documenté et précis, qui fait revivre les personnes impliquées jusqu'à la description de leur caractère. Les dernières dizaines de pages le laissent entendre, l'auteur a entrepris cette gigantesque entreprise de recherches et de reconstitutions et d'écriture, en partie pour rendre justice à Jan Zwartendijk, dont le courage n'a visiblement pas été reconnu à sa juste valeur, non seulement par son pays, mais aussi par les autorités hébraïques. Un travail qui a été réalisé en coopération avec deux des héritiers du consul néerlandais, et qui fait écho à la volonté farouche de Jan Junior l'aîné à l'initiative de cette tentative de reconnaissance officielle, et qui se sont farouchement battus pour que le nom de leur père soit officiellement inscrit parmi ces Justes.
On ne se doute pas de l'investissement de
Jan Brokken dans ce récit titanesque sur le destin individuel d'un homme, qui n'a jamais voulu être reconnu comme un héros, qui a joué sur une subtilité des administrations diplomatiques pour envoyer les Juifs dans l'une de ces colonies néerlandaises, Curaçao, méconnue par un grand nombre, par le biais du Japon, dont Chiune Sugihara le diplomate tout aussi digne des honneurs, a travaillé en collaboration avec son confrère néerlandais. Autour d'eux, des familles qui savaient et soutenaient, des supérieurs dans la même lignée, tout un cercle qui a contribué à ce que cette opération, à souligner que même les autorités russes ont joué leur rôle en fermant les yeux sur les activités des deux hommes, qui ont joué sur une coopération implicite, fondée sur le sentiment de faire son devoir d'homme en offrant une porte de sortie à des familles qu'ils pensaient avec raison condamnées. Compassion, entraide sans jamais commisération aucune, mais propulsé par un sentiment instinctif d'urgence, presque religieux, de ne pas faillir à ses valeurs personnelles.
Si on a tous eu écho de ces sociétés qui ont tristement collaboré avec l'Allemagne nazie, il est intéressant de constater que Philips a au contraire fait son possible pour épargner ses collaborateurs juifs des arrestations et des déportations et mettre au placard les individus sympathisants du régime allemand. Et de découvrir la Lituanie comme un territoire certes pillé par ses voisins expansionnistes, mais terre multiculturelle entre influences polonaises, allemandes, russes, yiddish, juif, catholique et orthodoxe, avant la Shoah. Une terre d'abris pour ces Volksdeutsch déracinés et mal acceptés. Un panier multiculturel dont la famille Zwartendijk est aussi une image, d'origines néerlandaise, tchécoslovaque pour Erni l'épouse, Jan ayant déambulé en Europe centrale, et qui a pressenti les changements de mentalité. C'est d'ailleurs dans ces moments-là que se fait le plus apprécier le sens de la réflexion, d'analyse et de synthèse de l'auteur, concernant les principaux concernés de la famille Zwartendijk, mais aussi les frères et soeurs, aux personnalités remarquablement clairvoyantes, totalement conscients eux de ce qui se jouait chez leurs voisins belliqueux.
Les recherches de Jan Zwartendijk ne se sont pas arrêtées aux frontières de la Lituanie, qui ont d'ailleurs largement été transgressées par l'armée rouge, il est allé jusqu'au Japon, première et dernière étape pour une bonne partie des persécutés, comme pour finir le travail de Jan Zwartendijk, qui jusqu'au bout n'a pas vraiment su si les visas qu'il avait attribués ont sauvé des vies. Un devoir de mémoire, bien plus que cela, ce titre est la réhabilitation de ceux, et il n'y a pas que Jan Zwartendijk, on citera l'ambassadeur néerlandais de Lettonie,
De Decker, l'ambassadeur de Pologne Tadeusz Romer qui ont de leur côté ont pris des risques, comme Jan Zwartendijk, qui a été remercié par un blâme quelques années plus tard, vraisemblablement par désobéissance au rôle qui était le sien en tant que consule honoraire.
C'est un titre, qui fourmille d'anecdotes et d'histoires personnelles sur des hommes et femmes que le consul néerlandais a côtoyés, ou plus générales sur ces communautés juives qui ont trouvé refuge au Japon : essai-document très exhaustif que dont on ressort plus instruits, j'y ai appris ainsi que les Etats-Unis ont fermé les frontières aux réfugiés juifs dès 1939, ils ne s'en sont visiblement guère vanté, ce que l'on comprend facilement.
Jan Brokken y explore quantité de pays et de personnages, on y lit une page de l'histoire et sous l'angle d'un auteur néerlandais, point de vue que l'on n'est guère habitué à endosser. La rentrée littéraire n'est pas que fiction et autofiction, et à coté de toutes ces informations que l'on reçoit, ce qui m'a aussi touché, c'est la façon dont l'auteur a eu à coeur de parachever les efforts de Jan Junior, attaché à rendre à son père l'honneur qu'on lui a mesquinement refusé à deux reprises et de mettre en lumière ces quelques hommes, cernés entre nazisme et armée rouge, qui ont trouvé suffisamment de courage pour sauver ces milliers de vie.
Lien :
https://tempsdelectureblog.w..