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Citations sur Grand Seigneur (67)

Ma lecture est l’un des rares instants où je me retrouve seule avec mon
père. Personne ne comprend qu’il est parfois de trop dans cette chambre.
Nous avons le sentiment de former, ensemble, un seul être, une entité
supérieure et capable de renverser les forces de la maladie, de la mort,
l’un sans l’autre paraît plus fragile, plus vulnérable. Nous désirons tout
contrôler, tout posséder, jusqu’aux larmes qui ne sont pas les nôtres.
Chacun porte en lui le récit de Jeanne-Garnier et chaque récit sera
différent. Celui que je suis en train d’écrire ne correspondra sans doute
pas à celui de ma mère, de ma sœur ni à celui de ses enfants, une histoire
même si elle est collective diffère selon les points de vue de ses
personnages. Les couleurs, les formes, les odeurs passent par mon
interprétation, comme dans une scène de crime, quand les témoins
rapportent une vision et non une action. Nous sommes novices,
inexpérimentés, nos comportements sont dignes de ceux d’une
bousculade, je ne vois ni ordre ni organisation même si nous restons
ordonnés, organisés, je perçois une furie, un état sauvage, autant d’amour
que de révolte, autant d’énergie que d’abattement, autant de vérité que
d’erreur. Comment procéder sinon ? Aucune méthode n’existe pour
contenir la tristesse ; nous aurons souvent tort.
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Nous sommes novices,
inexpérimentés, nos comportements sont dignes de ceux d’une
bousculade, je ne vois ni ordre ni organisation même si nous restons
ordonnés, organisés, je perçois une furie, un état sauvage, autant d’amour
que de révolte, autant d’énergie que d’abattement, autant de vérité que
d’erreur. Comment procéder sinon ? Aucune méthode n’existe pour
contenir la tristesse ; nous aurons souvent tort.
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L’excitation des oiseaux me renvoie au séisme, à Alger, de 1980 qui
précéda mon départ définitif. Les oiseaux avaient tenté de nous prévenir,
devenus fous avant le grondement de la terre, les vibrations du sol. Nous
étions comme à bord d’une fusée secoués dans un nuage de plâtre et de
poussière. Le séisme a rasé la ville d’El Asnam, lieu de l’épicentre dont
nous nous tenions à moins de cent kilomètres, j’avais treize ans. Quand
on a cru que notre immeuble allait s’effondrer, mon père s’est jeté sur
moi pour me protéger, sans réfléchir, sans hésiter, il m’a enveloppée,
recouverte, pendant une minute, éternelle. Je porte le désir fou de pouvoir
le sauver quitte à me mettre en danger comme lui n’avait pas hésité à le
faire. Redevable d’une dette qui n’existe pas et dont je continue à vouloir
m’amender. Les parents sont les créanciers de leurs enfants.
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Quand André Gide écrit : « Dans cet arbre il y avait des oiseaux qui
chantaient. Ils chantaient, ah ! Plus fort qu’oiseaux, eussé-je cru, pussent
chanter. Il semblait que l’arbre même criât – qu’il criât de toutes ses
feuilles, – car on ne voyait pas les oiseaux », le silence de Jeanne-Garnier
se rompt, les oiseaux que je n’avais pas entendus les jours précédents se
sont réveillés, ont volé depuis la ville, les parcs, les champs jusqu’à nous.
Une folle excitation s’installe, inattendue, elle diffuse une joie dans le
malheur, un sursaut ; suprématie de la nature sur nous, suprématie de
mon imagination sans doute. L’Invisible me fait signe, moi qui attends la
preuve d’un royaume après la vie, royaume qui s’apprête à recevoir mon
père et qui l’appelle par le biais des pies, des merles, des mésanges, ses
bruyants émissaires
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La médication passe par un cathéter de couleur bleue scotché
à même sa peau, nous n’avons pas demandé le nom, la nature, la toxicité
des produits qui affluent via ses veines, notre confiance est grande, égale
à notre degré d’ignorance en dépit de la certitude que mon père est
shooté, drogué, maintenu dans une bulle chimique. Il fallait choisir entre
la parole et la douleur, nous avons sacrifié la première pour circonscrire
la seconde.
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ourtant, sans
nous consulter, nous avons tous décidé de rester présents la durée entière
des visites autorisées, sauf la nuit réservée à ma mère, choix que nous
respectons. Notre course à l’amour se poursuit, rien ne peut l’entraver
hormis la respiration de mon père si elle s’arrête. Je compte les secondes
entre ses inspirations et ses expirations, elles sont au nombre de cinq
désormais.
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J’imagine ma mère la nuit près de mon père, tous deux embarqués sur
un radeau de fortune et emportés par des eaux tourbillonnantes ; qui tient
la main de l’autre ? Les messages de ma mère au petit jour livrent
l’histoire du souffle, de l’agitation, du sommeil, l’histoire de la vie qui
continue, mon père est un rescapé, il déambule dans le donjon de la mort,
retrouve le chemin de la sortie dès l’aube qui annonce une nouvelle partie
d’échecs dont il sortira vainqueur ou non, lui seul semble décider de son
sort. Nous assistons à sa guerre silencieuse, j’imagine deux armées de
cellules ennemies qui s’affrontent à l’épée, l’une compte plus de soldats
que l’autre, le combat est inégal mais persiste. Une nuit passée est un jour
de sauf.
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Être jolie je ne m’en soucie guère, les jours passés ici obligent à
l’essentiel, être à l’heure, s’informer, surveiller, peu importent le
vêtement, le maquillage, la coiffure, mon père ne me regarde pas, ne me
voit pas, il me ressent, je l’espère. J’aimerais apaiser sa peur tandis que la
mienne grandit de jour en jour telle l’ombre de l’arbre qui s’étire sur le
mur. J’implore la médecin-cheffe de m’assurer que mon père ne souffre
pas, je prends un air sérieux comme si j’étais à l’origine des injections
d’opiacé, d’anxiolytique, de somnifère. Ici nous tentons de nous donner
un statut, je suis le guet de la douleur rapportant en élève studieuse ce
que je crois voir, comprendre, une grimace, un gémissement, une main
engourdie, mais je ne sais rien, tellement rien que je demande de quoi est
en train de mourir mon père à une interne bien plus jeune que moi et qui
me répond froidement : « Le cancer de votre père s’est généralisé. »
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Il est rare de croiser des patients dans les couloirs, sauf
un homme en chemise, gilet, pantalon qui se déplace avec une béquille et
qui me fait penser à mon père d’il y a peu, diminué mais apte à se vêtir,
se laver, se parfumer, à tromper la mort. Dans leur lit, les autres patients
attendent la délivrance, le saut vers l’inconnu. La mort se tient tapie
avant de conduire ses brebis vers son pré. Je ressens cependant la
puissance de la vie qui, menacée, en sursis, se débat, se déploie
davantage qu’à l’extérieur où les hommes, les femmes ne savent pas leur
chance de courir, marcher, faire du vélo, héler un taxi, monter dans un
bus, s’engouffrer dans une bouche de métro, se rendre au travail, au
restaurant, rentrer chez soi. Moi non plus je ne savais pas cette chance
qui est, en fait, une habitude, une mécanique.
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A le savait : je faisais mes adieux à celle que j’avais été depuis le
premier jour de notre rencontre, la mort de mon père planant, une autre
histoire s’amorçait. En vingt-quatre heures, nous avons ajouté des pierres
à nos murs pour nous protéger de l’inconnu.
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