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Le rêve du pêcheur
Hemley Boum
Roman (5°)
Gallimard, 2024, 349p


Me revoici à Douala, dans le quartier misérable de New Bell, et dans ce pays qui me désole, où seuls les hommes, disent-ils, mangent de la tortue, tant le mets est succulent. Remarque machiste d'antan, certes, mais qui en laisse entendre.
C'est un roman de fuite, d'envol, et de comptes à régler, de transmission. Car on ne vient pas de nulle part, on ne naît pas de personne.
Zachary s'enfuit, s'envole, respire enfin, est disponible à ce qui vient. Il a 18 ans. Et pourtant il n'est pas libre. C'est le père de sa petite amie -elle n'est pas pour lui- qui l'exile en France, lui paie des études, de psychologie, parce que dans cette faculté il y a de la place, à condition qu'il ne retourne pas au pays. Zachary coupe toute amarre, il laisse sa mère alcoolique et prostituée, son ami est mort, victime de la vindicte populaire à cause d'un vol qui a foiré, il abandonne sa petite amie.
Il étudie, devient psychologue. Un soir de dépression, il rencontre Juliette, psychiatre, avec qui il se marie et a deux jumelles qu'il prénomme l'une du nom de sa mère Dorothée, l'autre du nom de sa petite amie, Nella. Juliette n'en sait rien. Elle a épousé le Zachary français, qui ne lui a rien dit de son passé, qui vit en France en ne se pas remarquer, il ne veut pas faire de vagues. Déjà petit, il ne voulait pas creuser ce qu'il entendait dire de sa mère, il le refoulait. Il a expliqué à Juliette la raison de sa dépression, le suicide d'un adolescent camerounais dont il n'a pas su voir la détresse, cet enfant qu'on ne nomme pas, c'est « l'enfant », à qui on donne un autre nom, « Sunday » parce qu'il est né un dimanche, qu'on abandonne au pays et qu'on reprend et fait venir en France, sans rien lui expliquer. Il lui a expliqué aussi sa relation avec une autre femme noire, très intéressée par la question des Noirs, racisée, et qui l'a fait réfléchir sur son origine, sa couleur, sa place.
Zachary n'a plus de désir pour sa femme, pour l'avoir vu accoucher. Elle est la mère de ses enfants. le couple bat de l'aile. Pour penser à autre chose, il va voir sur les réseaux sociaux, et retrouve sa petite amie qui lui dit de rentrer au pays dare-dare, sa mère est moribonde.
Cela fait vingt ans qu'il a quitté le Cameroun. IL ne reconnaît rien de Douala. IL y retrouve Nella et son ami qui n'est pas mort, mais est resté hémiplégique. Il apprend que le père de Nella s'est occupé de sa mère, qu'il voit, ainsi que sa grand-mère qu'il ne connaissait pas, confortablement installées et en bonne santé pour sa mère. Nella a inventé cette histoire pour faire rentrer Zachary dans son pays.
Les deux femmes vont lui conter son ancêtre Zacharias, homme de doutes et de solitude, parce qu'il est déçu de n'être pas bon à l'école, et fils d'un pêcheur qui aimait excessivement la mer. Il vit à Campo, là où le fleuve femelle se jette dans l'océan mâle, et où le poisson pullule.
Avec sa grand-mère, qui défend la valeur travail et la dignité des femmes, il a deux filles, l'aînée ennuyée par les remarques contraignantes de sa mère, et la cadette docile. Zacharias écoute les sirènes d'un grand exploitant forestier qui veut s'approprier les terres des paysans et leur fait miroiter une vie de luxe grâce à l'utilisation d'une carte à crédit. Zacharias achète des choses que sa femme ne trouve pas utiles, jusqu'au jour où il perd son travail à cause de l'industrialisation de la pêche, et ne peut rembourser ses dettes. Tout va de mal en pis, jusqu'au tragique.
Cette histoire, il faut la dire à Juliette qui porte le même nom que sa grand-mère. Une fois qu'elle l'aura écoutée, elle, qui veut divorcer, fera ce que bon lui semblera. En tout cas, l'histoire, contée par des esprits relayés par des personnes réelles dont les voix ont changé, a comme ressuscité Zachary qui se sent extrêmement heureux.
Tout ce qui concerne Douala ne peut me laisser indifférente. Je connais Campo, Kribi, Ebodjé, je mange ndolé et miondos, connais les fameux sorciers. Celui du livre n'est pas un charlatan. Ce roman, à la fois récit, documentaire, et réquisitoire, a de l'intérêt. Les personnages, notamment les femmes, pourraient être épiques, les femmes du fleuve, de la forêt et de l'océan. Cependant il manque quelque chose à l'écriture pour faire de ce livre un très grand livre. Ou c'est moi qui apprécie mal parce que le Cameroun m'irrite.
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Le rêve du pêcheur s'étire sur trois générations, au gré d'un récit qui entremêle savamment les fils de différentes destinées, avant un dénouement qui rétablit la chronologie et va vers l'apaisement. Il y a des points communs entre les différents personnages : la souffrance en premier lieu, pour le pêcheur d'un petit village côtier du Cameroun, la prostituée de Douala et l'exilé à Paris. Les parcours sont erratiques et marqués par la fuite, à un moment ou à un autre, censée amener la délivrance, qui ne vient pas, bien au contraire, et alourdit le bagage de celui ou de celle qui a tout quitté, sans un regard à l'arrière. le livre de Hemley Boum est splendide, écrit dans une langue déliée, douloureusement romanesque, avec des personnages forts, qui commettent des erreurs monumentales et cherchent maladroitement à raccommoder les morceaux épars de leurs fautes. Peut-être que la fin du roman, en revanche, est un peu trop naïf dans son optimisme mais il fallait bien ce baume pour cicatriser tous les traumatismes et la beauté du livre ne s'en trouve pas affectée. le colonialisme moderne, le racisme, l'exploitation de l'homme par l'homme, l'exil et les remords sont autant de défis à surmonter pour parvenir , sinon au bonheur, tout du moins à une forme de sérénité et de réconfort qui passe par l'amour, l'amitié, la famille et le lien parfois invisible de la transmission.
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
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Lumineux est le bon adjectif pour qualifier ce roman. Il raconte une histoire, plusieurs devrais-je dire. Un pays, le Cameroun, nous est conté au travers de la vie d'une famille, des bouleversements sociologiques et économiques, à la source des problèmes à venir, de ceux qui construiront les destins de trois générations de Camerounais. L'acculturation y est décrite de l'intérieur, l'irruption d'une marchandisation de la vie casse le tissu social, broie les âmes et les repères ancestraux. Un enfant de ce chaos cherche dans sa vie d'adulte une issue, poussé par les circonstances, en France où il se révèle, épousant en creux les valeurs de son nouveau pays. Miné de l'intérieur, il retourne en son pays d'origine, y cherchant des réponses, assemblant les pièces d'un puzzle identitaire.
Les passerelles s'établissent entre les deux mondes, la filiation intérieure permet une fusion, magique miracle très au delà de nos rationnelles certitudes.
Beau livre d'une humanité multiple dont nous avons besoin aujourd'hui, à l'heure des exclusions multiples et des tabous liés à l'ignorance crasse de nos contemporains.
A lire de toute urgence.
Merci.
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Un roman magistral sur l'exil et l'identité.
L'histoire d'une déstructuration, celle d'un petit village du Cameroun et de ses habitants dont la vie va être profondément bouleversée à la suite de l'installation de compagnies d'exploitation étrangères. Là où les habitants ne manquaient de rien et se contentaient de peu, vont venir peu à peu s'installer l'avidité, la création de nouveaux besoins, l'endettement, la pauvreté, l'expropriation des populations, jusqu'à l'exil forcé de Zack.
C'est l'histoire de cette dislocation qui est racontée dans ce magnifique roman, au travers de celle de la famille de Zack, de sa mère et de ses grands parents.
Rarement un roman ne m'a autant ému. Hemley Boum a un tel talent pour faire vivre ses personnages et raconter leurs destins que j'ai très vite été retourné par les émotions. Quelle écriture magnifique ! Il y a des passages vraiment sublimes, de très belles envolées littéraires.
La connexion avec les personnages est tellement forte que je n'ai pas pu m'empêcher d'éprouver un petit sentiment de tristesse en tournant la dernière page de ce livre.
Sans aucun doute, ce roman figurera dans le top de mes lectures.
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Le pêcheur voulait plus. Il voulait prendre sa revanche sur ses échecs d'enfance. Il voulait trouver l'admiration dans le regard de ses proches. Il voulait tout simplement. Ce n'est pas un mauvais bougre, il n'est pas le seul à ne pas se satisfaire de sa condition. Et puis, il y a l'environnement, la société qui change et qui se nourrit de toutes ses envies. Cette société qui exploite les rêves et casse les hommes simples.
J'ai aimé ce regard sur plusieurs générations. J'ai aimé comprendre les liens qui les reliaient et qui s'étaient dénoués avec le temps. J'ai aimé ce livre. J'ai été émue par un jeune homme qui, comme beaucoup, ont la force un jour de faire face à leur passé. J'ai été touché par des mots, des phrases qui avaient du sens pour moi : des réflexions sur la vie en général et sur les choix que nous faisons.
Merci à l'autrice pour sa plume et son histoire qui m'a touchée. Je l'ai lu très vite, j'ai été emportée.
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Le rêve du pêcheur est l'histoire de plusieurs membres d'une famille camerounaise qui ont eu des destins bien différents. le grand-père était pêcheur, sa fille prostituée, le petit-fils va partir en France et devenir psychologue pour enfants. le récit se déroule en différents lieux et c'est l'occasion d'aborder plusieurs thématiques.

La vie du pêcheur nous montre la vie au village. Une vie simple, pauvre mais heureuse, jusqu'à ce qu'une coopérative s'installe près de chez eux. L'intrusion de la société de consommation en un lieu où les habitants se contentaient du peu qu'ils avaient ne se passe pas sans problème. Zacharias le pêcheur achète un four à sa femme qui ne s'en servira jamais, un canapé, une moto. Ensuite lui et les autres se retrouvent endettés et n'ont plus qu'à travailler pour la coopérative afin de rembourser. Comme un miroir aux alouettes, le "progrès" a ébloui puis ruiné le village que beaucoup d'habitants vont déserter pour aller vivre en ville.

Cette partie est l'occasion de découvrir la vie au village et les relations entre les habitants. La solidarité, le troc, et aussi les contraintes sociales car le village est une communauté où l'honneur ou la honte d'une personne retombe sur toute la famille.
On y découvre aussi la loi du plus fort puisque Zacharias est accusé de vol et envoyé en prison sans jugement et sans qu'aucune preuve n'ait été trouvée contre lui. Là-bas sa famille doit lui envoyer à manger pour qu'il puisse survivre, elle doit aussi soudoyer les gardiens pour lui rendre visite, même avec un permis en bonne et due forme. le petit billet qui permet de graisser les rouages de l'administration pour que les choses se passent en douceur ...

Le récit parle peu de la mère. Elle fait son job de prostituée, elle couche avec le propriétaire pour payer le loyer, elle couche avec le directeur d'école pour payer la scolarité de son fils, et elle se saoule tous les soirs pour oublier.

Cet environnement n'étant pas favorable au développement harmonieux de l'enfant, au fil d'évènements rocambolesques, Zack le fils, va fuir en France et se lancer dans des études de psychologie, la seule matière où il restait des places à la fac de Nanterre. Il est d'abord émerveillé par ce qu'il voit, puis il se confronte à des réalités moins sympathiques et s'interroge sur l'attitude à adopter pour les Noirs vivant en France. Lui est du genre à ne pas faire de vagues dans le pays qui l'accueille, il désavoue son amie Maëlle qui voit des attitudes racistes partout et passe son temps en confrontations. Marié et père de deux jumelles, Zack va peu à peu sombrer dans la déprime et son couple va péricliter.

Puis il rentre au Cameroun quand il apprend que sa mère est gravement malade. Et là je vous laisse découvrir comment tout s'éclaire pour lui.
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Je suis encore transportée par ce récit au moment où j'écris cette critique. le rêve du pêcheur nous raconte les vies de différents membres d'une famille camerounaise, entremêlant leurs destins entre arrivée de la globalisation et de l'industrialisation au Cameroun, exil, fuite et changement du monde tel qu'il est connu par les personnages.

Je n'avais pas forcément prêté beaucoup d'attention aux lieux des chapitres, et tout comme l'histoire se répète à cause de pans de vies cachées, les personnages se transmettent aussi leurs prénoms (il y a deux Zacharias, trois Dorothée…) Toutes ces vies en miroir qui peuvent prêter à confusion au départ, mais qui font sens au fur et à mesure que l'on déroule le récit.

Plus que les deux protagonistes masculins au centre de l'attention, ce sont les femmes qui structurent tout ce récit. Au lieu de fuir, de s'exiler par peur ou par lâcheté, elles restent droites et font face à l'adversité. À aucun moment elles ne laissent le destin choisir pour elle, et c'est ce qui fait la force de ce livre.

C'était un énorme plaisir de lecture, jusqu'à la dernière phrase qui permet de sublimer tout le roman. Un grand coup de coeur de cette année, que je recommande très fortement !
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Le rêve du pêcheur m'a bel et bien prise dans ses filets, pour me relâcher sur le rivage, rincée par l'intensité des émotions des personnages. Un roman lu d'une traite, rythmé et vibrant.

Zacharias habite Campo, un petit village sur la côte du Cameroun, proche de la frontière avec la Guinée Equatoriale. Sa vie est rythmée par les marées, sa pirogue et un quotidien doux tourné vers sa femme et ses deux filles. Mais il aspire à plus et pense trouver des opportunités avec l'arrivée d'une société d'exploitation du bois qui vient bouleverser la vie de ce village traditionnel.
Quelques décennies plus tard, Zack est psychologue clinicien à Paris. Il a complètement tourné le dos à son enfance camerounaise mais les démons de son passé le hante et le somme de s'y confronter, au risque de traverser sa vie en fantôme.

Ce sont deux histoires d'hommes qu'Hemley Boum entremêle habilement dans son nouveau roman, comme un écho au trois histoires de femmes qu'elle nous a conté dans Les jours viennent et passent. Un roman fort et dur, où le malheur semble se transmettre en héritage, mais ce serait sans compter le courage et l'endurance des femmes de cette famille. Hemley Boum y peint les transformations du Cameroun, à travers des personnages ballottés par les évènements qui n'ont que leur instinct comme clé de compréhension. Un roman comme je les aime, dont les personnages continuent à vous accompagner pendant longtemps, et qui a fait résonner le son de l'océan dans mes oreilles.

Merci pour cette très belle lecture, je recommande!
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Le cinquième roman de Hemley Boum est une magnifique fresque familiale camerounaise sur trois générations. Elle brosse des portraits nuancés d'hommes et de femmes, nous transportant tour à tour au Cameroun, à Campo et à Douala, et en France, à Paris.

Zacharias mène une vie paisible à Campo, un petit village de pêcheurs, zone frontalière située à l'extrême sud-est du Cameroun, face à l'Atlantique. avec son épouse bien-aimée Yalana et ses deux filles, Dorothée et Myriam. La famille connaît une vie simple, se contentant des produits de la terre et de la pêche. Ce quotidien tranquille est bouleversé par l'arrivée d'une compagnie forestière et la création d'une coopérative de pêcheurs, qui vont bouleverser l'économie locale et déstructurer la vie du village. Au début, le progrès semble être une bénédiction, offrant aux pêcheurs les moyens d'améliorer leur quotidien en leur permettant de s'endetter sur leur salaire, mais bientôt les chalutiers remplacent les petites embarcations des pêcheurs qui ne sont plus compétitifs. Ce métier ancestral ne leur permettra bientôt plus de rembourser les dettes accumulées ni de vivre décemment.

Parallèlement, nous suivons la vie de Dorothée, désormais mère d'un garçon auquel elle a donné le nom de son père. Tous deux vivent de façon précaire dans un quartier de Douala et s'aiment d'un amour inconditionnel. Enfin, le destin de Zachary, devenu Zack.

Zacharias va commettre un crime, un acte presque réflexe et non prémédité qui aura de graves répercussions. Son petit-fils, Zachary, répétera cette erreur de jugement. Hemley Boum met en scène ces deux hommes à la croisée des chemins, qui ont le choix de leurs actions, mais qui feront le mauvais choix. Elle construit son récit en mettant en miroir leurs histoires : chacun d'eux commet un délit qui change sa vie et celle de son entourage, et sera confronté à ses responsabilités personnelles.

L'un des thèmes explorés dans ce roman est celui de l'exil, à travers celui de Dorothée à Douala et celui de son fils Zack à Paris. « L'exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. » Mais ce roman est très riche et aborde aussi les questions de la transmission, des différences entre la vie au village et à la ville, du racisme ordinaire, et dépeint les travers humains de manière très subtile.

L'écriture de Hemley Boum est belle et émouvante, et je suis tombée sous le charme de cette fresque familiale qui, comme un opéra, se termine en apothéose. Ligne après ligne, en véritable artiste, elle a construit un récit qui plonge le lecteur, sans le perdre, au coeur d'une histoire où de nombreux personnages aux noms similaires évoluent dans des temps et des lieux différents. Après avoir refermé ce livre à regret, je n'ai qu'une envie : mettre la main sur ses précédents romans !

Retrouvez ma critique complète de ce roman magistral sur mon blog
Lien : https://lavaliseauxlivres.wi..
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Magnifique roman.
Zack, psychologue clinicien à Paris, a construit sa vie en laissant de côté son enfance et sa famille camerounaises. Les aléas de la vie l'obligent à s'y replonger.
En parallèle, on suit le destin de son grand-père, pêcheur traditionnel camerounais dont le destin sera bouleversé par la mondialisation de l'économie.
Un roman sublime.
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