La signification de la musique chez l'être humain, ce pourquoi de la musique: est-ce seulement un loisir, une fonction superfétatoire, ou bien alors une fonction indispensable à l'être humain, apparue chez Sapiens avant le langage, ce sont des questions qui m'intriguent depuis des années, au point que, depuis que je suis en retraite, c'est devenu un de mes « hobby- horses » shandéens.
Et j'ai pu employer mon temps libre à suivre des conférences, des cours en ligne, affublés de l'horrible acronyme de MOOC (massive open online courses, ne peut-on trouver des mots français équivalents?) et enfin, lire des ouvrages plus ou moins bons sur ce sujet passionnant.
Le dernier en date est celui-ci, publié par
Emmanuel Bigand et Barbara Tillman, deux chercheurs de l'Université de Bourgogne, qui sont aussi des musiciens émérites.
Un ouvrage paru en 2020, remarquable, original par son approche, clair et bien construit.
Les auteurs y résument leurs recherches et de celles d'autres chercheurs depuis environ une trentaine d'années, qui permettent d'établir que la musique n'est pas un loisir, un luxe, une « bavaroise à la fraise » comme l'avait évoqué le chercheur S. Pinker, mais bien, comme l'avait pressenti le génial
Charles Darwin dans son ouvrage La filiation de l'Homme et la sélection liée au sexe, « les sons musicaux offrent une des bases du développement du langage », la prédisposition à la musique existe depuis le début de la vie humaine, et surtout la musique contribue à la constitution des grandes fonctions psychologiques, cognitives, sociales ou affectives de l'être humain.
Partant du constat que l'on ne pourra jamais remonter le temps pour savoir si la musique a précédé l'apparition du langage chez Homo sapiens, mais du principe que l'on peut étudier les compétences musicales et leur rôle depuis la vie foetale jusqu'à l'âge adulte et la vieillesse, les chercheurs font l'hypothèse suivante:
« Si la musique est un loisir, une « drogue récréative » ou un dérivé tardif d'autres compétences psychologiques, la sensibilité des nourrissons envers la musique devrait être faible, et sa stimulation durant l'enfance ne devrait pas avoir d'impact marquant pour d'autres fonctions. Si, en revanche, il existe une prédisposition pour la musique et que cette prédisposition est stimulée durant l'enfance, alors la musique devrait faciliter le développement d'autres compétences psychologiques….
S'il existe une prédisposition pour la musique, tout un chacun doit pouvoir développer cette prédisposition dans la vie quotidienne sans avoir à suivre un long et fastidieux apprentissage explicite. La compétence musicale devrait être aussi répandue chez l'Homo sapiens moderne que la compétence linguistique. Enfin, si la musique est une aptitude ancienne qui contribue au développement de nombreuses autres, elle doit reposer sur un vaste réseau neuronal qui se déploie bien au-delà du cortex auditif, et l'on doit pouvoir l'utiliser lorsque certaines de ces fonctions sont détériorées par des lésions cérébrales. »
C'est ainsi que l'ouvrage nous fait le point des travaux qui montrent les stupéfiantes dispositions musicales qui apparaissent chez le foetus, qui sont présentes chez le nouveau-né, capable de reconnaitre les contours mélodiques et les intervalles musicaux.
Ces travaux scientifiques, exposés de façon claire et pédagogique, montrent aussi, et c'est sans doute le plus important, que la musique réalise tout naturellement une double stimulation des nourrissons : socio-affective d'une part, en renforçant l'attachement affectif réciproque entre l'enfant et sa mère, mais seulement, et cognitive d'autre part, en sollicitant des ressources neuronales d'intégration de l'information. Elle ouvre ainsi un cercle vertueux entre l'affect et la cognition.
Cette partie la plus novatrice et passionnante de l'ouvrage consacrée au foetus et au bébé, se poursuit avec le rôle de la musique durant l'enfance.
C'est là que l'on apprend notamment que des séances musicales bienveillantes, sans excès (deux fois 45 min par semaine), où l'enfant est en attitude active et en groupe, renforcent les capacités d'acquisition du langage et de l'écriture, et même avec de meilleurs résultats qu'un entraînement phonologique spécifique. de nombreuses études ont été réalisées depuis les années 1990, et répétées dans différents pays, sur des enfants de fin de classe maternelle et de cours préparatoire avec les mêmes résultats positifs, et les auteurs s'étonnent, (mais pourquoi s'étonner, on sait depuis toujours que l'Education Nationale est une grande sclérosée), que ces découvertes n'aient pas eu d'impact sur les méthodes d'enseignement. Qui plus est, ces séances musicales se révèlent bénéfiques chez les enfants en retard scolaire, ceux issus de milieux défavorisés, notamment celles et ceux dont les parents ne parlent pas le français, et même chez les enfants dyslexiques. Parmi les résultats étonnants de l'apprentissage musical, il y a par exemple, les progrès dans d'autres disciplines scolaires telles les mathématiques.
Les chapitres suivants consacrés aux bienfaits de la musique chez les adultes, puis à ceux qui ont des fonctions défaillantes, notamment les sujets atteints d'aphasie suite à un AVC, les femmes et hommes atteints de la maladie d'Alzheimer, ont déjà été rapportés dans d'autres ouvrages. Plus intéressantes sont les études consacrées aux enfants sourds de naissance, chez lesquels ont été posés des implants cochléaires avant l'acquisition du langage, et chez lesquels on observe avec un apprentissage musical adapté, une meilleure acquisition du langage et de l'écriture.
En définitive, cet ouvrage passionnant nous montre que la musique est une nécessité biologique pour l'être humain car elle a contribué à transformer notre cerveau pour régler des problèmes adaptatifs nécessaires à la survie de l'espèce, et aussi qu'un de ses intérêts majeurs est de favoriser les connexions cérébrales entre les zones cognitives, celles des émotions et celles des interactions sociales.