Bonne ou mauvaise expérience ? Il y a plus de deux ans, notre autrice de romances young adult françaises préférées s'est essayée à la dystopie. Sur son compte Instagram, elle avait promis que ce roman changerait sa carrière littéraire et sonnerait le glas des romances à l'eau de rose. Mais qu'en est - il vraiment ?
A première vue, cette publication apparait plus adulte, plus sérieuse que les précédentes, de par l'utilisation du genre de la dystopie, censée apporter un regard plus cynique sur le monde. Cependant, une fois que l'on avance dans la lecture, on se rend compte que l'univers créé par
Morgane Bicail ne se suffit pas à lui - même, puisque ce 1984 de l'amour est incohérent et laisse certaines questions sans réponse.
Commençons par le personnage de Thiago. Il est un bon exemple de l'erreur que peuvent faire des jeunes auteurs lorsqu'il s'agit de distinguer un jeune qui passe son temps à râler pour tout et n'importe quoi d'un vrai rebelle, au sens politique du terme. Thiago appartient à la première catégorie, bien que l'auteure essaye de lui donner une idée de l'amour qui ne correspond pas à celle d'un jeune de 21 ans et qui m'a fait lever les yeux au ciel de nombreuses fois, tellement j'avais l'impression d'entendre un de ces intellectuels français pédants de l'Après - Guerres qui ponctuent leurs phrases en tirant sur leur cigarette, puis en en recrachant la fumée, ce qui me donne envie de les gifler.
De plus, le bilan très franc (et dont le registre de langue et le ton m'ont paru irréels) que Thiago envoie au tout début du roman à l'Institution (pardonnez - moi, mais je n'ai pas pu m'en empêcher ;)) révèle qu'il ne vit pas dans une dictature, comme essaye de nous le faire croire l'auteur.
Le label "rebelle"de notre personnage principal est d'autant plus remis en question au moment où il tombe amoureux de Shiyo, son "autre", et commence à développer un lien de complicité avec le professeur Palomo durant les cours magistraux sur les Fragments de Barthes. le jeune homme ne remet pas en question son avis initial sur le programme (alors que le genre de la dystopie veut que le personnage principal doute de son opinion à un moment donné) tout en continuant de voir sa dulcinée, qu'il a rencontrée via
Symbiosa, et va même jusqu'à organiser une révolte contre la création de Vopesta avec ses amis et leurs "autres" (mais QUELLE révolte ?).
Vous l'aurez compris, si
Morgane Bicail s'engage sur un chemin au premier abord bien précis, elle finit par en dévier, et c'est ce que démontre la suite du roman. Thiago se réveille d'une léthargie virtuelle et découvre que tout cela n'était qu'un rêve programmé.
Ce n'est pas cette révélation qui pose problème au lecteur (car le moment de rupture tant attendu est arrivé), mais le vide qu'elle laisse par la suite, car si tous ces jeunes sont sous emprise, pourquoi les dominer eux et les relâcher dans le vrai monde sans le souvenir du prénom de leur bien-aimée si c'est pour ne pas connaitre l'amour, objet du programme
Symbiosa ? Quelle explication donner au besoin de ces adultes vicieux de contrôler tous ces jeunes ? le besoin de perpétuer un idéal romantique qui fera souffrir des générations et sur lequel se base justement la société occidentale pour faire vivre son marché économique, marché que l'auteur alimente en publiant une énième romance ?
Et QUEL rôle joue la pandémie là - dedans ? Près de quatre ans après le passage du covid en Europe, avons - nous toujours peur de faire la bise à nos amies et de recevoir des câlins de notre chéri ?
Croyons - nous que l'amour n'existe pas, ou bien, s'il existe, que ce ne soit que sous forme d'une brève consommation ? Très rares sont les français à penser que l'amour n'existe pas ou qu'il ne s'agit que d'une réaction chimique. Nous les européens avons des idéaux, et l'amour fait partie d'eux. C'est pourquoi je pense que nous n'aurons pas besoin d'un programme
Symbiosa pour le préserver, surtout parce que l'amour romantique est l'une des choses comptant le plus dans notre société française avec le bonheur. Qui n'a pas déjà vu une publicité mettant en avant l'amour ou bien le fait de se sentir heureux ?
Et c'est la dernière contradiction qui vient achever le roman de
Morgane Bicail : l'Institution a gagné, parce que Thiago est tombé amoureux de Shiyo et veut la retrouver (il le fait à la toute fin dans une scène digne de la toute dernière séquence de "Your Name"). Il veut revivre l'expérience de ce sentiment amoureux apparemment faux et nuisible à la marche du monde. Quel intérêt y a - t - il à fabriquer une sorte d'esprit critique constamment en guerre contre le supposé ennemi et qui veut dénoncer la manipulation de jeunes si c'est pour qu'au final, le vaillant guerrier accepte de recréer des liens avec une personne qui a été conditionnée pour se mettre en couple avec lui ?
Je ne vous conseillerai donc pas de lire "
Symbiosa", mais si vous cherchez une dystopie récente traitant du sujet de l'amour, regardez plutôt "Equals", "Her" ou "I'm your man". Ces films sont plus terre - à - terre et ont un point de vue plus scientifique sur les rapports amoureux. Il faut croire que cette expérience n'a pas été très fructueuse, car
Morgane Bicail est revenue vers le genre qu'elle maitrise le mieux : la romance. En ce qui me concerne, je considère toujours "
Ne T'attache pas" comme le meilleur roman qu'elle ait jamais écrit.