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EAN : 9791097515577
1 pages
LA TRACE (12/01/2022)
4.36/5   22 notes
Résumé :
Madame Maya. C’est le nom de mon professeur de français.

Le français, cette langue qui m’est inconnue, en ce premier jour d’école ; mon premier jour d’école en France, au milieu de tous ces Français qui s’expriment dans un langage mystérieux, inconnu de moi, moi, la graine de cacao…
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« 𝘪𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘯𝘰𝘯 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘢 𝘵𝘦𝘵𝘦
𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘪𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘰𝘶𝘪 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘦 𝘤oe𝘶𝘳… »

Quelques mots de Prévert et ce souvenir de mon professeur de français remontant en songes à l'orée de ma mémoire… Quelques notes vibrantes qui m'habitent à la fin de cette lecture.

Amine n'est pas un Cancre, non… Amine dit oui à ce qu'il aime mais il ne dit pas non au professeur…

En ce premier jour d'école, Amine est debout devant ses nouveaux camarades. On le questionne, oui… Mais Amine ne répond pas.
Amine ne parle pas la langue de Molière. D'ailleurs, Amine ne connaît pas Molière. Il n'est pas d'ici, il est de nulle part… Il est la graine de cacao semée dans le désert… Il est de Mbour, Sénégal… Là-bas, Amine dormait sous un ciel où les étoiles caressent les dunes…

« 𝘓𝘦 𝘥é𝘴𝘦𝘳𝘵 𝘦𝘴𝘵 𝘣𝘦𝘢𝘶… 𝘌𝘵 𝘤'𝘦𝘴𝘵 𝘷𝘳𝘢𝘪. 𝘑'𝘢𝘪 𝘵𝘰𝘶𝘫𝘰𝘶𝘳𝘴 𝘢𝘪𝘮é 𝘭𝘦 𝘥é𝘴𝘦𝘳𝘵. 𝘖𝘯 𝘴'𝘢𝘴𝘴𝘰𝘪𝘵 𝘴𝘶𝘳 𝘶𝘯𝘦 𝘥𝘶𝘯𝘦 𝘥𝘦 𝘴𝘢𝘣𝘭𝘦. 𝘖𝘯 𝘯𝘦 𝘷𝘰𝘪𝘵 𝘳𝘪𝘦𝘯. 𝘖𝘯 𝘯'𝘦𝘯𝘵𝘦𝘯𝘥 𝘳𝘪𝘦𝘯. 𝘌𝘵 𝘤𝘦𝘱𝘦𝘯𝘥𝘢𝘯𝘵 𝘲𝘶𝘦𝘭𝘲𝘶𝘦 𝘤𝘩𝘰𝘴𝘦 𝘳𝘢𝘺𝘰𝘯𝘯𝘦 𝘦𝘯 𝘴𝘪𝘭𝘦𝘯𝘤𝘦… 𝘊𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘦𝘮𝘣𝘦𝘭𝘭𝘪𝘵 𝘭𝘦 𝘥é𝘴𝘦𝘳𝘵, 𝘥𝘪𝘵 𝘭𝘦 𝘱𝘦𝘵𝘪𝘵 𝘱𝘳𝘪𝘯𝘤𝘦, 𝘤'𝘦𝘴𝘵 𝘲𝘶'𝘪𝘭 𝘤𝘢𝘤𝘩𝘦 𝘶𝘯 𝘱𝘶𝘪𝘵𝘴 𝘲𝘶𝘦𝘭𝘲𝘶𝘦 𝘱𝘢𝘳𝘵… »

A son arrivée en France, au collège Camile Claudel, Amine ne connaît ni Molière ni Saint-Exupéry. Il ne connaît pas le petit prince et son ami le renard. D'ailleurs, Amine n'a pas d'amis…

Maya, son professeur de français, n'en aura que faire. Malgré les menaces qui grondent, elle sera ce puits… Graine après graine, elle l'arrosera de son savoir, jour après jour l'abreuvera de ses connaissances avec persévérance et générosité, lui offrant cette nouvelle langue en héritage.

𝘓𝘪𝘳𝘦, é𝘤𝘳𝘪𝘳𝘦, 𝘦𝘹𝘪𝘴𝘵𝘦𝘳…
Trois mots-piliers. Une nouvelle vie qui commence…

« 𝘴𝘰𝘶𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘩𝘶é𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘦𝘯𝘧𝘢𝘯𝘵𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘥𝘪𝘨𝘦𝘴
𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘳𝘢𝘪𝘦𝘴 𝘥𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴
𝘴𝘶𝘳 𝘭𝘦 𝘵𝘢𝘣𝘭𝘦𝘢𝘶 𝘯𝘰𝘪𝘳 𝘥𝘶 𝘮𝘢𝘭𝘩𝘦𝘶𝘳
𝘪𝘭 𝘥𝘦𝘴𝘴𝘪𝘯𝘦 𝘭𝘦 𝘷𝘪𝘴𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘶 𝘣𝘰𝘯𝘩𝘦𝘶𝘳. »

***

À 𝙁𝙧𝙖𝙣𝙘𝙚…


✨✨✨

Mona Azzam est professeur de Lettres. Comme Amine, et Maïmouna avant lui (dans son précédent roman Ulysse a dit), elle aussi est d'Ici et D'ailleurs, née en Côte d'Ivoire avant de voyager vers le Sénégal puis d'exercer professionnellement au Liban avant de revenir poser ses valises dans un établissement scolaire de Montpellier… Tout cela se ressent dans ses romans…

Roman, conte, expérience personnelle peut-être, se mélangent sous une plume généreuse et appliquée, dont se dégagent des émotions faisant renaître ces souvenirs jaunis de vieux bancs d'école, d'odeur de colle, de beaux textes et l'amour de la langue que nous a légué, un jour, un professeur de français…

Merci à Editions La Trace et Mona Azzam pour cette lecture !


***

𝘐𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘯𝘰𝘯 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘢 𝘵𝘦𝘵𝘦
𝘮𝘢𝘪𝘴 𝘪𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘰𝘶𝘪 𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘦 𝘤𝘰𝘦𝘶𝘳
𝘪𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘰𝘶𝘪 à 𝘤𝘦 𝘲𝘶'𝘪𝘭 𝘢𝘪𝘮𝘦
𝘪𝘭 𝘥𝘪𝘵 𝘯𝘰𝘯 𝘢𝘶 𝘱𝘳𝘰𝘧𝘦𝘴𝘴𝘦𝘶𝘳
𝘪𝘭 𝘦𝘴𝘵 𝘥𝘦𝘣𝘰𝘶𝘵
𝘰𝘯 𝘭𝘦 𝘲𝘶𝘦𝘴𝘵𝘪𝘰𝘯𝘯𝘦
𝘦𝘵 𝘵𝘰𝘶𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘣𝘭è𝘮𝘦𝘴 𝘴𝘰𝘯𝘵 𝘱𝘰𝘴é𝘴
𝘴𝘰𝘶𝘥𝘢𝘪𝘯 𝘭𝘦 𝘧𝘰𝘶 𝘳𝘪𝘳𝘦 𝘭𝘦 𝘱𝘳𝘦𝘯𝘥
𝘦𝘵 𝘪𝘭 𝘦𝘧𝘧𝘢𝘤𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘵
𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘩𝘪𝘧𝘧𝘳𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘮𝘰𝘵𝘴
𝘭𝘦𝘴 𝘥𝘢𝘵𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘯𝘰𝘮𝘴
𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘩𝘳𝘢𝘴𝘦𝘴 𝘦𝘵 𝘭𝘦𝘴 𝘱𝘪è𝘨𝘦𝘴
𝘦𝘵 𝘮𝘢𝘭𝘨𝘳é 𝘭𝘦𝘴 𝘮𝘦𝘯𝘢𝘤𝘦𝘴 𝘥𝘶 𝘮𝘢î𝘵𝘳𝘦
𝘴𝘰𝘶𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘩𝘶é𝘦𝘴 𝘥𝘦𝘴 𝘦𝘯𝘧𝘢𝘯𝘵𝘴 𝘱𝘳𝘰𝘥𝘪𝘨𝘦𝘴
𝘢𝘷𝘦𝘤 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘳𝘢𝘪𝘦𝘴 𝘥𝘦 𝘵𝘰𝘶𝘵𝘦𝘴 𝘭𝘦𝘴 𝘤𝘰𝘶𝘭𝘦𝘶𝘳𝘴
𝘴𝘶𝘳 𝘭𝘦 𝘵𝘢𝘣𝘭𝘦𝘢𝘶 𝘯𝘰𝘪𝘳 𝘥𝘶 𝘮𝘢𝘭𝘩𝘦𝘶𝘳
𝘪𝘭 𝘥𝘦𝘴𝘴𝘪𝘯𝘦 𝘭𝘦 𝘷𝘪𝘴𝘢𝘨𝘦 𝘥𝘶 𝘣𝘰𝘯𝘩𝘦𝘶𝘳.

Le Cancre, Jacques Prévert
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Un enfant tombé comme un cheveu dans la soupe, deux prunelles obscures perdues au fond d'une classe, une ligne droite sans aucun mouvement fixant le tableau noir où se mêlent lignes et traits incompréhensibles.
Amine ne sait pas encore que la grâce est sur lui, qu'il s'est glissé dans le coeur d'une dame au manteau couleur lavande qui enseigne le français, une "Maya-poème" qui d'un babil incompréhensible pour le petit immigré qu'il est, va faire un langage aussi suave qu'un baiser.

"Le bambara est ma langue maternelle. La première. le français est ma langue maternelle. La seconde. Mélange de langues, bouches rivées l'une sur l'autre; bouches avides et gourmandes. Bouches gutturales et assonantes. Moment de grâce. Une langue effleure une autre langue, la titille. Contorsions de langues. "

Il ne sait pas encore qu'un petit garçon aux cheveux rouges, bravant les moqueries, choisira de le rejoindre à la place du cancre. Un duo en marge des autres, comme une évidence : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi."
Une amitié qui traverse le temps malgré l'éloignement, les destins séparés.
Un lien gardé vivant dans le coeur de madame Maya, fée bienveillante qui, au terme de sa vie, manoeuvre habilement au rapprochement du binôme.

Il ne sait pas non plus le petit Amine que, vingt ans plus tard, une jolie sorcière à la crinière rousse lui lira le plus beau des contes, bouleversant l'homme qu'il est alors devenu par ses révélations, sa poésie, ses courbes rimées.

Elsa, Théo, Amine, triangle d'or tissé du fil de l'amitié porté jusqu'à la cîme par la bonté d'une simple professeure de français.

Mona Azzam use de sa très belle plume pour nous parler de thèmes sensibles tels le racisme ou l'intégration.
Pour nous interpeller sur l'importance de la culture, de la lecture.
Elle fait de ses personnages des êtres à part, dotés d'une sensibilité à fleur de peau qui les rend attachants dès le début.
Il y a chez chaciun d'eux une sorte de pudeur, de réserve malgré l'adversité, qui force l'admiration.
L'auteure jongle joliment avec les mots, les tournant et les retournant pour en faire des phrases aussi légères qu'une plume qui ravissent l'âme.

Un livre qu'on lit et qu'on relit sans se lasser et qui allie le plaisir à la réflexion.

Merci à Babelio et aux éditions La Trace pour l'envoi de ce petit bijou !
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Le petit prince venu d'ailleurs

Avec Amine Mona Azzam raconte la rencontre d'un jeune immigré avec une professeur de français déterminée à lui construire un avenir. Une rencontre déterminante, bouleversante.

Vingt ans après avoir franchi les grilles du collège Camille Claudel d'Annecy pour la première fois, Amine est de retour afin d'assister aux obsèques de sa professeur de français, Madame Maya. S'il a fait le voyage depuis Marseille, c'est qu'il doit tout à cette femme. Quand elle a fait la connaissance d'Amine, elle vivait seule. Son mari l'avait quittée après la mort de leur enfant. Dans sa classe de 6e le jeune immigré venait tout juste de débarquer du Sahel et ne parlait quasiment pas français. Une situation qui laissait l'enseignante tout à la fois révoltée, désemparée et attendrie.
Révoltée parce qu'il n'y a pas de place pour lui dans les structures dédiées et que ses collègues baissent les bras. Désemparée, parce qu'elle n'a pas de baguette magique ou même d'outils pédagogiques pour lui venir en aide. Et attendrie devant le désarroi et la tristesse du garçon.
Un garçon qui, en ce jour glacial de 1995, préfère mentir à son père et lui dire que tout va bien plutôt que de reconnaître qu'il est incapable de suivre les cours, qu'il peut à peine comprendre les quelques mots bienveillants de Madame Maya, la seule qui semble lui accorder un peu d'intérêt.
Mona Azzam a eu la bonne idée de faire alterner les voix des différents acteurs. Celle de l'enseignante et celle du jeune immigré, pour raconter leurs parcours respectifs l'un vers l'autre, mais aussi celle du principal de l'établissement. Il se souvient avoir fermé les yeux quand une fronde malsaine s'est propagée pour empêcher Amine d'aller en classe de neige. Celle de son copain de classe Théo qui par solidarité a prétexté une rage de dents pour ne pas partir à la montagne avec sa classe. Celle d'Elsa Bonnet, que je vous laisse découvrir.
À force de travail, d'heures de soutien, y compris durant les vacances, Madame Maya va réussir son pari. Amine va réussir à maîtriser la langue française et pouvoir progresser dans toutes les matières. Jusqu'à réussir à écrire une nouvelle qui sera primée (et reproduite en intégralité dans ce récit). Mona Azzam réussit fort bien à montrer dans cette histoire les lacunes de notre système éducatif, pas ou peu enclin à faire les efforts nécessaires pour pouvoir mieux intégrer les immigrés ou les élèves en difficulté. Mais on pourra aussi avoir une lecture plus réjouissante, celle qui met en avant une volonté inébranlable, une forte motivation et un engagement qui tient du sacerdoce. Un roman tout en nuances, j'allais écrire très loin du noir et blanc.



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Suite à de belles critiques d'amis babelionautes, j'avais ajouté le nom de Mona Azzam dans ma wishlist-livres. Lorsque j'ai vu que son dernier livre, ‘'Amine'' figurait dans la Masse Critique de janvier, je me suis inscrite ; d'autant plus que ce livre est édité par La Trace comme quelques pépites qui figurent dans ma bibliothèque (‘'Mayacumbra'', Au Rebord du Monde'', ‘'Au Coeur du Monde'', pour ne citer qu'eux). Merci à Babelio et La Trace de m'avoir sélectionnée.

J'ai été happée dès le prologue dans lequel Amine, le narrateur, parle de rencontres avec certaines personnes : « Ces personnes sont un projet (de vie) en soi. On a l'opportunité de ne les croiser qu'une seule fois dans la vie. Elles sont un joker qui nous est donné de saisir. le sésame qui ouvrira la caverne d'Ali Baba. » Nous sommes nombreux à avoir rencontré une de ces rares personnes positivement déterminantes dans notre parcours de vie.
Pour Amine, c'est une professeure de français qui prend en charge ce petit malien immigré et triste, passé de son désert natal aux neiges alpines et qui ne connaît que deux mots de français ; et ce, malgré la pesanteur d'une administration trop lourde et la bêtise, voire la malveillance, de collègues. Cela m'a rappelé ma troisième et dernière année en tant que professeur auxiliaire dans l'Education Nationale : un collègue et moi avons fait des démarches pour qu'un élève très doué mais de milieu défavorisé puisse passer de classe de CAP en classe de BTS en cours d'année pour avoir un diplôme plus valorisant en quittant le lycée dès ses 16 ans (proposition, entre autres, de cours gratuits de rattrapage de niveau) ; nous nous sommes heurtés à l'hostilité des collègues professeurs (‘'on envoyait un mauvais signal'') et au non-recevoir de l'institution (‘'pas de procédure prévue'').

Désolée pour cette digression… Revenons au roman. Ce livre fait magnifiquement ressortir à quel point certaines rencontres sont déterminantes pour des enfants coupés de leurs racines (comme Amine) ou entourés de personnes peu ouvertes aux autres et/ou sensibles au qu'en dira-t-on (comme Théo).
Un bouleversant roman choral à l'écriture légère, mais lourde de sens, poétique parfois, entrelacs de mots où affleurent en permanence l'amour de l'autrice pour l'Afrique (les rédactions d'élèves sont très belles), sa passion pour son métier (ou, plutôt, sa vocation) d'enseignante et la force et la puissance de l'amitié entre Amine et Théo.

« L'éducation comme l'eau, peut être aussi bonne pour le coeur » écrit le petit Amine dans la nouvelle qui lui vaudra un premier prix.

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"Qui ne se souvient pas, avec tendresse, parfois un peu plus, d'un professeur en particulier et dont le rôle a été décisif, à un moment où à un autre ? " C'est la première question que pose Mona Azzam dans le prologue de son nouveau roman, Amine. le ton est donné, la question trouve résonnance, le lecteur ne peut désormais rester indifférent au récit.
En ce mois de décembre 1995, Amine fraîchement débarqué, avec sa famille, du Sahel à Annecy, ayant pour seuls bagages à peine deux mots de français, va connaître, en entrant au collège en classe de sixième, la double peine de la différence et de la barrière linguistique. Ne pas parler la langue de ceux qui vous entourent est un véritable handicap dans un lieu où elle est le seul moyen d'être intégré, d'accéder à la connaissance et à l'apprentissage. Amine était condamné à cet isolement et à ce naufrage, si Madame Maya, son professeur de français, n'était venue à la rescousse. On repense alors à Ulysse et à Maimouna dans le précédent roman de Mona Azzam, Ulysse a dit.
Les mots de Mona Azzam sont envoûtants et le miracle se produit à chaque fois. Ainsi Amine, comme Maïmouna, pénètrent dans votre univers. Maya comme Ulysse, deviennent proches. Vous les aimez. Ils détiennent cette parcelle d'humanité et de vérité, ils ont ce goût des mots et ce besoin de transmettre, qui touchent et font entrevoir que le beau côtoie le plus terrible, le lumineux le plus sombre. Leur message ne peut rester lettre morte, il doit être entendu, partagé. Ainsi le monde pourra grandir en humanité et en fraternité, en amour tout simplement. Mona Azzam en est le scribe, si talentueux.

Le sauvetage d'Amine se fera par la transmission des mots, du langage. Madame Maya par sa patience, le temps donné sans compter, les encouragements, sa confiance, donnera à Amine les ailes nécessaires à son envol. Mais le prix à payer de cette réussite leur coûtera cher. Rumeurs, jalousie, calomnie, rien ne leur sera épargné.
Si la transmission des mots et de la langue fut salutaire, libératrice, elle fut vite considérée comme une trans-mission, un dépassement, un franchissement des limites de la mission de professeur. Un jugement qui condamnera Maya à la mise à l'écart et plongera Amine dans un nouvel enfermement, celui de bouc émissaire. Et l'on pense alors à René Girard, à Albert Camus, à André Cayatte et d'autres encore.
Mais de bouc émissaire à héros, il n'y a souvent qu'un pas, Amine en fera l'expérience. Les mots transmis et reçus lui ouvriront les portes de l'écrit et avec lui la reconnaissance de ses pairs.
Les armes des mots sont toujours les plus fortes. Amine les saisira, elles le rendront victorieux. Ce sont elles aussi, que Mona Azzam utilise pour combattre l'injustice et défendre le droit à l'éducation et à l'accès à la connaissance, afin de gagner dignité et liberté, elles encore, pour donner le goût de la langue, la servir quoiqu'il en coûte et procurer un réel plaisir au lecteur.

Quelques vingt ans plus tard, Amine, tout comme Théo, son seul ami de l'époque, reviennent à Annecy à la demande d'Elsa la notaire de Maya, récemment décédée. Avec ce retour, s'opère la résurgence du passé dans ce récit à deux voix qui se font écho, celle d'Amine et de Maya, rejointes par celle de Théo et complétées par Elsa, celle aussi de Monsieur C, principal du collège, voix de la lâcheté et de la mauvaise conscience.

Nombreuses sont les questions qui passent dans la tête des personnages et ponctuent les pages du livre de leurs points d'interrogation qui viennent vriller nos certitudes et invitent à prendre position.

Amine est un roman qui interpelle, un récit prenant avec des personnages habités et attachants, un témoignage criant de vérité sur le métier et la vocation d'enseignant, une magnifique histoire d'amitié et de fidélité, un texte puissant aux messages forts qui secouent et, toujours et encore, l'écriture poétique de Mona Azzam qui touche et adoucit.
Comment ne pas être attendri par Amine, admiratif de son courage, touché par sa reconnaissance envers son professeur ?
Comment rester insensible devant la générosité de Maya, sa détermination et sa délicatesse ?
Madame Maya, un professeur hors pair ?
Et Mona Azzam ? Qui ne se souvient pas, avec tendresse, parfois un peu plus, d'un professeur‐romancier-poète en particulier et dont le rôle a été décisif, à un moment où à un autre ?
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Maya, 10 décembre 1995
Premier jour d’école pour le nouvel arrivant.
Un petit de dix ans, en provenance du Sahel et qui vient s’ajouter à mes vingt-trois élèves de 6ème.
Tremblotant malgré la chaleur diffusée par le radiateur en classe, je l’observe qui hésite tandis que les autres élèves s’installent dans un brouhaha de chaises tirées. Il attend que je lui indique sa place, le jeune Amine, dont j’ai juste été informée de l’arrivée, le matin même.
— Bonjour Amine, je suis Madame Maya, votre professeur de français. Bienvenue parmi nous.
Les élèves l’observent avec une forte curiosité.
Sa voix qui répond “bonjour” n’est qu’un murmure, à peine perceptible.
— Amine, vous vous installerez sur la table de devant, à côté de Théo. Théo, tu lui fais de la place?
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Je n'ai pas oublié que rien n'est absolument noir; rien n'est absolument blanc. Je n'ai pas oublié, qu'entre le noir et le blanc, il y a des nuances, ni tout à fait grises, ni tout à fait pâles. Il y a des nuances qu'il nous appartient de teinter, à notre guise. Et librement. Surtout librement.
C'est ainsi que l'on exprime sa liberté, ses choix. C'est ainsi que le prisme se pare de couleurs, les retient. Ces couleurs que l'on s'attache à vouloir apposer sur la toile de nos actes.
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L'école n'est pas en marge de la vie.
Elle est le principal lieu de vie où l'on se forme en tant qu'individu et en tant que citoyen.
Elle est parfois le lieu où l'on se découvre un talent dont on ne soupçonnait pas l'existence.
Et qui se dévoile au grand jour, parce qu'un jour le contexte a été propice.
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(Les premières pages du livre)
« La façade du collège Camille Claudel n’a pas changé.
Vingt ans se sont écoulés. Comme si le temps n’est pas passé. Comme si les années ne comptent pas.
Vingt ans. Cela change un homme. Cela ne change pas la façade d’un collège.
Serais-je revenu à Annecy sans ce courriel reçu la veille ? Aurais-je fini par revenir après toutes ces années d’absence ?
J’en doute.
Un mail, formel, poli, neutre. Maya B. Décédée. Maître Bonnet. Merci de bien vouloir me contacter en urgence.
Vingt ans après notre départ pour Marseille, la cité phocéenne, terre de soleil et de mer, le hasard me ramène en ces contrées savoyardes sur ordre de Madame B., mon professeur de français de l’époque.

Arrivé par le train, mes premiers pas, au sortir de la gare, m’ont mené ici, au collège. Un lieu déserté en ce mois de juillet, synonyme de vacances scolaires. Mon regard, fixé résolument sur le grand portail vert foncé, passe au travers, s’aventure, en franchit le seuil, en un éblouissement.
Je me revois, vingt ans en arrière, franchissant cette même porte, d’un pas hésitant, la peur au ventre, croulant sous les diverses couches de vêtements, en cette lointaine et froide matinée de décembre.
Je me revois, gauche et timide, craintif, les jambes tremblantes, ignorant tout de ce qui m’attendait, de l’autre côté.
Je me revois, moi, le petit Amine, fraîchement débarqué en France, parlant à peine deux mots de français.

Vingt ans déjà. Le portail s’ouvre. Je m’avance à petits pas. Je franchis le seuil.
Ils sont tous là, dans la cour enneigée.
Ils sont tous là ; tignasses blondes, brunes, rousses, défiant le froid, emplissant l’enceinte de la cour de leurs rires aussi légers que les flocons de neige.
Foule de manteaux et de bonnets de toutes les
couleurs. Ils sont tous là.
Elle est là. Madame Maya B. Personnage féerique dans son écrin de lavande.
De sa main droite revêtue d’un gant jaune, elle me fait signe. Je m’avance vers elle.
Le portail se referme dans mon dos.
Les souvenirs m’accompagnent telle une besace
emplie d’un bric-à-brac de fragments de vies.
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Dans le fond, Que reprochait-on au juste à Maya ? De ne pas avoir été indifférente à la détresse d'un enfant parachuté dans un pays autre que le sien, ignorant la langue et le langage de ce pays neuf ? De ne pas avoir ignoré cet enfant ? D'être allée vers lui, à l'instar de tout professeur investi d'une mission ? Que lui reprochait-on ? D'avoir fait en sorte que ses efforts portent leurs fruits ?
Lui enviait-on sa réussite ? Son implication, là où d'autres avaient choisi de baisser les bras, en se contentant de dire, "c'est ainsi, je n'y peux rien" ?
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