Roseville-sur-Mer en Normandie.
Pierre est un jeune homme d’une vingtaine d’années qui vit dans la maison de ses grands-parents, Suzanne et Théodore, avec sa jeune compagne Victoria, enceinte. Ensemble, ils essaient de recréer un cocon où leur famille pourra peut-être s’épanouir sereinement.
Théodore, réfugié dans la maladie d’Alzheimer, vit désormais en EHPAD. Suzanne et l’oncle, Vincent, s’enferment dans les non-dits et veulent vendre cette maison chargée de souvenirs terribles.
Car le passé de Pierre est lourd, très lourd. A 33 ans, sa mère, Sophie, est assassinée par son père, Henri. La famille a été comme désintégrée par ce féminicide qu’ils n’ont pas réussi à empêcher.
Quant à Pierre, âgé d’un an ½ à l’époque, outre le traumatisme à vie, il porte depuis toujours le poids d’une culpabilité qu’il ne peut s’empêcher de ressentir. Même s’il n’est de fait pas responsable de la mort de sa mère, il est celui qui est fait du passé de ses parents, mais qui est fait aussi de leur absence dans sa vie.
La sortie de prison de son père, puis la grossesse de Victoria, le replongent inexorablement dans ce passé tragique qui le hante et le conduit vers de nombreux questionnements existentiels. Comment peut-on vivre lorsqu’on est le fruit d’un amour meurtrier ? En a-t-on le droit et peut-on se projeter dans sa propre existence, a fortiori dans un nouvel amour passion ?
La violence est-elle inhérente aux gènes ? D’où lui vient cette colère sous-jacente ? Est-il voué inévitablement à tout détruire autour de lui, y compris l’espoir d’un amour résilient ? Quel rapport au couple et à l’amour peut-il avoir avec une enfance ainsi marquée ?
Depuis l’arrivée des grands-parents dans la maison en 1972, les allers-retours du récit nous font remonter le temps jusqu’à l’amour débutant de Sophie et Henri en 1988, la bascule progressive dans une emprise perverse, et enfin la violence et le drame en 2001 lorsque la proie réussit à s’échapper. D’autres flash-back nous ramènent à la jeunesse difficile de Pierre, élevé dans les silences de ses grands-parents, à sa rencontre avec Victoria en 2019, à sa joie mêlée à la peur d’être bientôt à son tour un père.
Une histoire très sombre qui bouleverse le lecteur : L’intensité de la scène de crime est décuplée par le talent littéraire de l’auteur. Son écriture est, malgré le tragique, empreinte d’une telle poésie et de beauté qu’elle nous laisse parfois entrevoir l’espoir, celui de la précieuse lumière du ciel ou du mouvement perpétuel du ressac maritime emportant au loin le passé.
Ce livre est certes déstabilisant mais essentiel pour dénoncer l’inadmissible dans notre société, la violence mais aussi la lenteur de l’institution judiciaire qui ne protège pas assez les victimes. Rappelons que plus de 100 femmes sont mortes en 2023 de violences conjugales et que les dégâts familiaux collatéraux de ces meurtres et notamment les traumatismes sur les enfants sont peu et très mal pris en charge.
Tim DUP, très engagé dans la cause des violences faites aux femmes, nous livre dans ce premier roman d’une grande maturité un récit émouvant dont on ne ressort pas indemne. Ses mots si justes pour décrire les sentiments, le mal-être et les angoisses du héros, ses qualités littéraires et sa plume poétique m’ont emportée comme les textes de ces chansons.
J’espère qu’il y aura d’autres romans de ce talentueux écrivain qui n’en est qu’à ses débuts.
Je remercie les Editions Stock et NetGalley pour l’envoi de ce livre.
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