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Critiques de Paolo Milone (5)
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L'Art de lier les êtres

Ce « roman » puisque c’est ainsi qu’il est présenté, est fait de petits paragraphes numérotés et regroupés par thème au sein de dix chapitres. Dit comme ça, cela peut paraître aride ou réducteur à certains. Il n’en est rien, la respiration entre chaque paragraphe fait aussi partie du roman, tant il est vrai qu’un roman n’est définitivement écrit que lorsqu’un lecteur s’en empare.



« L’art de lier les êtres au lit.

L’art de lier les êtres à la réalité.

L’art de lier les êtres à eux-mêmes.

Lier les êtres est un art.

Insaisissable. »



Paolo Milone est un psychiatre, Paolo est un bel écrivain aussi.

Un surprenant romancier.



Il dit des choses comme

« Quand un paysan montre un produit de son jardin il tend son bâton pour le désigner.

Lorsque, étudiant, pour la première fois, j’ai suivi un psychiatre chevronné aux urgences, il s’est arrêté à quatre mètres du patient pour l’interroger à travers la porte.

Il y a deux types de psychiatrie, celle du long bâton et celle du bâton court.

Le vaste monde de la psychiatrie s’ouvre grand quand on s’approche à deux mètres du patient. Si on s’approche à un mètre, ça devient fantasmagorique. Si on s’approche davantage, ça devient un enfer. »

Mais aussi :

« Si je vois quelqu’un qui bascule, je tends la main pour l’empêcher de tomber et tandis que je le tiens, je lui demande ce qu’il voit. Je suis un lâche contemplant l’abîme avec les yeux des autres »

Le psychiatre c’est probablement la personne la mieux placée pour savoir le nombre de personnes cachées dans toute ville, de personnes qui vivent dans la terreur, ou loin de notre tumulte au plus près du leur.

Il se sent souvent seul, désarmé :

« Parfois tu (une patiente) provoque en moi un tel sentiment de solitude que, une fois l’entretien terminé, je dois appeler ma femme ; si je ne la trouve pas, j’appelle ma fille ; si je ne la trouve pas, un ami.

Je commence : c’est moi, et puis je ne sais pas dire pourquoi j’appelle »

Et parfois il n’y a pas moyen de l’éviter et qu’il faut pratiquer un SSC (en psychiatrie, soin sans consentement).

Il sait utiliser la conjugaison en diagnostic, détailler des dépressifs, des euphoriques, des schizophrènes, des caractériels, des névrosés, par l’emploi qu’ils font de la conjugaison.

Il sait aussi parler de ses patient·e·s avec une infinie tendresse, frustré de parfois rester à la grille de leur jardin secret, ce jardin qu’il pressent, dont il devine les plantes, les fleurs, les aromates…

Et le psychiatre est un être humain, avec ses forces, ses faiblesses, ses certitudes et surtout ses incertitudes.

La frontière est mince, la limite vite atteinte.

« La première fois que ça t’arrive, tu t’étonnes : suis-je tombé amoureux d’une patiente ? Je pense à elle, elle me plaît, je la désire… (…) J’ai le plus de patients possible, pour ne pas m’attacher »

Et si, en fin de compte, au travers des cas qu’il évoque, il nous racontait nous-même, Paolo ? Si nous étions tous un peu ses malades d’une certaine manière ?

Je me sens si proche parfois de ses patients, et c’est aussi de l’être humain Paolo dont, finalement, je me sens proche…



Je pourrais volontiers multiplier par dix le nombre de citations que je ne donnerais qu’un mince aperçu de ce « roman ».

Parfois je me demande ce que signifie vraiment l’expression « livre de chevet », je crois que je viens de la comprendre.



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L'Art de lier les êtres

Les Éditions Calmann-Lévy ont publié en début de mois ce titre inclassable du psychiatre génois Paolo Milone. Celui-ci travaillait au sein du service psychiatrique de l'hôpital Galliera à Gênes, au sein du service 77, de 1988 à 2016. Ce titre se découpe en de longues parties, qui se divisent elles-mêmes en une multitude de sous-parties numérotées. De forme versifiée, ce titre n'est pas un roman, pas davantage un documentaire, mais plutôt une longue ode au service psychiatrique, à ses patients, à ses soignants, à ses états d'âme. Et plus généralement à la maladie psychiatrique. Les Éditions ajoutent que "le médecin Paolo Milone revisite et réinvente ses années passées à « contempler l’abîme avec les yeux des autres »."



Premier constat : la psychiatrie en Italie n'est pas mieux lotie qu'en France, financièrement parlant. Les gens n'arrêtent jamais d'y venir, y reviennent souvent, mais tout manque pour les traiter respectueusement. Et une salle d'entretien, en premier lieu. Puis, Paolo Milone se détourne vite de ces contingences matérielles pour se concentrer sur les patients hospitalisés qu'il supervise. Ces sous-parties liminaires se posent comme une introduction qui profile les ombres des mal-êtres des êtres qui peuplent ces couloirs et ces chambres et cette charge mentale qu'ils traînent avec eux. De fil en aiguille, l'auteur passe d'un sujet à l'autre, de remarques générales et globales, impersonnelles, sur l'état du service 77, c'est ainsi que l'art de lier les êtres prend tout son sens. L'écriture prend le relais des mots thérapeutiques, lesquels s'ils n'ont pas le pouvoir de soigner les esprits tourmentés, ont du moins la fonction de soulager les malades enfermés dans leur propre système dysfonctionnel de pensée. 



S'il y a une certaine forme d'académisme ici, en bon psychiatre, l'homme suit à la classification médicale D.S.M-V, la norme en la matière éditée par l'Association psychiatrique américaine, et s'appuie constamment sur la division entre ce qu'il appelle euphorique, dépressifs, schizophrènes, bipolaires, en revanche le flux de son écriture se libère des contraintes d'un système réglementé au millimètre. Ce texte très morcelé, et parfaitement organisé, apparaît comme une longue litanie déclamée, à certains moments à des patients nommés par leur prénom, au sentiment d'inanité qui s'empare de lui face aux rechutes de ses patients, face à l’incapacité qui est la sienne de traiter une douleur qui dépasse ses capacités de médecins, face à la déconsidération de son domaine d'expertise qui est le parent pauvre de la médecine, face à la lourdeur de la tâche qui l'attend chaque matin, sans que jamais il ne puisse avoir le sentiment d'en voir le bout de son Tartare à lui, comme un Sisyphe et son rocher.



Toutes ces Lucrezia, Gloria, Enrica, tous ces Ennio, Emilio, Filippo, Danilo, Carmelo, Mario dont il décrit les rapports, toujours empreints d'une certaine forme d'affection qui l'attache à ces inadaptés, dont il est l’interprète et le traducteur privilégié. Lui, le décodeur de cette folie, déclinée dans une infinité de nuances de maux par les faiblesses de chacun, qu'il rapporte ici sous la forme d'un long poème en vers. L'écrivain est toujours délicat et respectueux lorsqu'il parle de ses patients, avec la position qui est la sienne de médiateur entre ses patients et le reste du monde, il est d'une lucidité acérée quant au mal impalpable qui les aliène, une souffrance qui le plus souvent beaucoup sont sourds depuis qu'il n'y a rien à voir d'autres que les mutilations nées de la conscience altérée d'une main, guidée par un cerveau en pleine ébullition. L'art de lier les êtres, c'est retrouver une humanité, au-delà des clichés que l'on pose, celle-là même qui les unit avec les heureux qui ne sont ni bipolaires, ni schizophrène ou dépressifs. Les ramener dans le fil de la vie, au-delà des traitements, rétablir le contact dont leur isolement progressif de la maladie les a coupé, voila tout le travail des équipes de psychiatrie de la zone 77, entre psychologues, psychiatres et infirmiers.



J'étais assez curieuse de découvrir le discours de l’intérieur, de ceux qui sont en liaison directe avec ces patients aux maux dont on a bien du mal à se faire une idée précise, d'autant que les journaux d'information ne font guère dans la nuance dès qu'il s'agit de reprendre grossièrement les faits divers qui les impliquent. Le psychiatre italien met à la fois à mal tous les cadres hospitaliers auto-satisfaits qui détournent le regard sur l'humain et se concentrent sur le matériel des chambres froides. Du médecin psychiatre, le collègue, qui, en bon chef de service, s'emploie davantage à brosser son image de docteur égocentrique en voguant constamment à la surface des choses et des êtres dont il est censé s'occuper plutôt que d'affronter le patient souffrant. Paolo Milone plonge le doigt en plein cœur de ce corps mou qu'est la souffrance, il la prend à pleines mains, la palpe, écoute ses battements, prend sa tension. 



Il y a des titres pour lesquels les éditeurs prennent des risques, et L'art de lier les êtres en fait partie à mon sens : la psychiatrie est un domaine qui effraie, car elle évoque des pathologies qui ne sont pas curables, qui changent totalement une personne. Il suffit de voir à quel point les personnes atteintes d'une dépression sont stigmatisés traités avec mépris, comme des personnes faibles, sans volonté, sans caractère. Et la forme de ce texte peut surprendre ou déstabiliser, car le début et la fin ne le sont que d'un point de vue typographique, que le récit n'a pas de forme romanesque. La façon dont le psychiatre fait ressortir, très simplement, toute cette souffrance à fleur de peau et de chaque ligne, levant même le voile sur la position qu'il occupe, est joliment amené et l'implication du médecin à percevoir chacune des brûlures intimes de ses patients, et ne pas se contenter de les faire rentrer dans une camisole médicamenteuse, très louable.














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L'Art de lier les êtres

Pour apprécier L’art de lier les êtres, il faut s’intéresser aux questions de la folie, et de la psychiatrie. C’est le minimum requis pour goûter une telle lecture.

Paolo Milone est un psychiatre génois, retraité depuis quelques années. Son livre est présenté comme un roman. Étrange roman, qui lorsqu’on le feuillette ressemblerait plutôt à un recueil de poésies. Et les petits textes qui le composent, autant de descriptions de patients et de leurs troubles, de récits d’interventions à leur domicile ou dans le service d’urgence de l’hôpital, ponctués de réflexions parfois acerbes sur les collègues de travail du narrateur ou de ses conseils aux jeunes interne et psychologue qui œuvrent à ses côtés, constituent un panorama très juste de ce qu’est la pratique de la psychiatrie dans un service fermé, ici le Service 77, avec ses malades très malades, souvent agités, et qu’il faut parfois attacher pour contenir ce qui les déborde et rend impossible, à certains moments, toute communication verbale avec eux.

L’auteur aborde d’autres thèmes importants : la dangerosité, le suicide, les limites de la psychanalyse, mais aussi l’attirance mutuelle parfois entre le thérapeute et certaines de ses patientes. Heureusement Anna, sa fidèle épouse, est là pour ramener son psychiatre de mari à la réalité lorsqu’il s’égare, ce qui n’est pas si rare, avec un tel métier.

Ce service 77 a bien sûr ses équivalents en France, la folie n’ayant pas de frontières. Et, comme en France, la psychiatrie semble être le parent pauvre de la médecine en Italie. Comme en France, des lits, des services entiers sont fermés chaque jour ou presque, sans rien pour les remplacer… Et c’est là, en décrivant un hôpital lui aussi malade et de plus en plus inadapté aux besoins de notre société, que L’art de lier les êtres prend une dimension politique. Poésie, psychiatrie et politique… Curieux mélange, mais qui prend, dans ce livre puissant, forme d’évidence : peut-être n’est-il pas trop tard pour oublier considérations comptables et impossibles procédures, et retrouver dans la dispensation de soins un peu d’humanité, simplement un peu d’humanité. Mais encore faut-il en avoir les moyens, et que ceux qui les attribuent en perçoivent l’ardente nécessité. Ce précieux livre peut y contribuer.

Léo Cairn.
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L'Art de lier les êtres

Ce n'est peut-être pas très bien de faire une chronique pour un livre qu'on n'a pas fini, mais si j'avais aimé les 40 premières pages, je l'aurais continué et fait une chronique, donc, je me permets de donner mon avis sur la partie que j'ai lue (mais pour avoir survolé le reste, j'ai l'impression que c'est pareil ensuite).

Des chapitres ultra courts (quelques lignes), ça se lit vite, mais c'est très décousu. Apparemment il s'agit de tranches de vie (professionnelle) de l'auteur (car le narrateur a le même nom de famille, c'est un indice), donc ça doit plus tenir du témoignage que du roman. Milone donc (puisque c'est comme ça qu'on l'appelle) est psy dans le Service 77, un service de psychiatrie et il nous relate des moments, forts ou non de son boulot, des anecdotes et des pensées, des réflexions. On suit quelques patients, une suicidaire notamment... Mais je me suis très vite ennuyée et j'ai arrêté. Peut-être que la suite et/ou la fin sont bien, mais ce début ne m'a pas assez donné envie de lire le reste.

Si quelqu'un l'a lu, dites-moi ce que vous en avez pensé en commentaire.

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L'Art de lier les êtres

Des mois, des années d’écoute et de parole, fondées sur les mots plus que sur les médicaments. Quelques succès, des échecs, beaucoup de tâtonnements. De ce minutieux travail, ce texte forme un écho saisissant.
Lien : https://www.lemonde.fr/criti..
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