le vent fait-il du bruit dans les arbres
quand il n'y a personne pour l'entendre ?
C'est donc par ce classique kôan zen que commence «
un monde à portée de main », une respiration s'impose, sentir ce vent s'engouffrer à travers mes crins durs. Laisser couler les pensées, regarder, observer, copier, reproduire. Paula, Kate et Jonas, trois jeunes qui se destinent à la carrière d'artistes. Une vie qui ne laisse pas de marbre surtout dans les carrières. Ont-ils rêver un jour d'embrasser l'idée de devenir peintre ou sculpteur ? Alors que Paula embrasse Jonas, que Jonas caresse Paula, que Kate caresse son bois, Jonas sa toile, Paula ses écailles de tortue. L'art est sensuel, coloré, charnel tout comme l'amour d'ailleurs. J'aime te regarder, t'embrasser, te caresser, dans une chambre pénombrée, store à demi-fermé, après le salon porte de gauche.
Le roman se compose de trois parties, toutes centrées sur Paula, l'objet de toute mon attention, attention qu'elle ne manque pas puisqu'elle a l'intention de me faire pénétrer le monde de l'art, par le truchement de la copie, du trompe-l'oeil, de la découverte sensorielle par des phrases à rallonge qui n'en finissent pas, comme si je manquais de souffle, la lecture essouffle, mais j'aime cette plume sans point, je m'y suis habitué, troisième roman de Maylis de
Kerangal, j'aime son rythme, effréné sans frénésie, j'aime cette fulgurance des mots, des images, des idées qui s'enchaînent, se déchaînent parfois, comme deux corps dans une chambre d'hôtel au bord de l'autoroute. Paula Kate et Jonas se croisent rue de Parme, ce ne serait pas une couleur, il est beaucoup question de couleurs, pour faire cette formation dans le monde de l'art. Une première partie où ils apprennent leur métier, apprennent à se découvrir, se dénuder aussi, et puis comprennent leur métier : la copie, le faux semblant, le trompe-l'oeil, le fac-similé... Apprendre à regarder pour reproduire. Apprendre à observer pour trouver la bonne nuance, non la même nuance, des nuances de couleurs, de gris, de vert, de bleu. Caresser le support, le bois, le marbre, l'écaille de tortue, oui il sera beaucoup question d'écailles de tortue, comme de bisons morts vers la fin, parce que le rôle d'un bison n'est-il pas d'être mort.
Le diplôme en poche, chacun part aux quatre coins de la planète, pour de riches investisseurs, bourgeois ou autres oligarques ou émirs, la richesse a sa noblesse, celle de posséder des palais sertis d'émeraudes et de marbre. Quand à Paula, elle m'embarque pour l'Italie, découvrir, faire revivre Cinecittà, le monde du faux réel, le souvenir de ces vieux films avec
Elizabeth Taylor, maquillée comme une peinture d'un autre temps, ou une icône orthodoxe qu'il faut vénérer. L'âge d'or du cinéma qui n'a qu'un temps, celui d'un film, ou d'une série télévisée. Retour à la case départ, sans se reposer, la plume de Maylis ne pardonne pas le repos, elle enchaîne, se déchaîne, comme deux corps nus sous les draps embrumés de souffles chauds et humides post-coïtaux. Les valises ne sont pas défaites qu'elle se retrouve sur un quai de gare, gare d'Austerlitz, une vieille locomotive dans le genre inter-cité, pour descendre bien plus bas, dans la Dordogne Rouge, celle des grottes, à la découverte de Lascaux, celle des bisons morts peints sur les murs, couleur ocre, et des chasseurs, couleur noire sombre, dans une caverne où il est interdit de respirer, le projet d'une vie, respirer l'air de la préhistoire, peindre Lascaux IV et sentir ce monde à portée de main, de pinceaux, de marteaux ou de truelles.
J'apporte à la fin de ce chapitre ma faible voix, ou mon petit bémol, l'écriture de l'auteure me fascine toujours autant, l'histoire, cette fois-ci m'a moins passionnée, sa «
Tangente vers l'est » m'avait apporté un vent supplémentaire de fraîcheur, de blizzard, de passion, de chair que je n'ai pas retrouvé ici mais je ne lui en veux guère, j'ai appris tout un nouveau monde de couleurs, de teintes, de nuances que je ne soupçonnais même pas, et comme je sais que je serais fidèle à ses prochains écrits, même ses antérieurs puisque deux autres romans m'attendent encore, quand on aime on ne compte pas, c'est comme le nombre de verres de bières.