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3,43

sur 815 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Paula, Jonas et Kate ont gardé contact depuis l'Institut de peinture de la rue du Métal à Bruxelles. Depuis cette année de 2007. Une année charnière pour Paula Karst qui, après un bac terne, une inscription en droit et deux ans à glander et chercher sa voie, s'inscrit à l'Institut de peinture. Elle en est certaine, elle veut apprendre à peindre les décors. Maîtriser l'art de l'illusion, du trompe-l'oeil. Rapidement, elle trouve un appartement dans Bruxelles, quitte Paris et ses parents et s'installe avec son nouveau co-locataire, Jonas. Quelques mois ô combien riches mais aussi éprouvants attendent la jeune femme...

De Paris aux grottes de Lascaux, en passant par une Bruxelles grise et pluvieuse, une Rome étouffante et ensoleillée ou encore une Moscou froide, Maylis de Kerangal nous entraine sur les pas de Paula Karst, une jeune femme devenue, au prix d'efforts, une créatrice de décors en trompe-l'oeil. de par son écriture très visuelle et précise, au plus près de la matière et de la technicité, l'auteure nous plonge parfaitement dans ce monde d'illusion, s'attachant au moindre détail. Ce roman se révèle très intéressant, extrêmement riche et pointilleux et nous fait découvrir, justement, l'envers du décor, nous montre ce que notre regard ne voit plus. L'art, un monde complexe, qui prend toutes ses formes au coeur de ce roman d'apprentissage...
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Nous suivons les pas de Paula, jeune étudiante, qui s'apprête à suivre une année de formation dans un atelier Bruxellois, spécialisé dans le trompe l'oeil . On assiste très vite à la formation d'un trio amical avec Jonas le colocataire et Kate , une autre étudiante . C'est une histoire d'apprentissage, de passion pour des études difficiles et un métier original que nous fait découvrir l'auteur .
C'est ma première incursion dans l'oeuvre de Maylis de Kerangal, et si je me suis laissée tenter, c'est uniquement pour le sujet (les études d'art) .
La première chose qui frappe dans son univers , c'est l'écriture .
Une écriture qui claque par sa précision , sa richesse de vocabulaire et sa poésie. On sent qu'elle prend plaisir à énumérer les noms des couleurs, la matière des pinceaux, tout cela nous charme et nous transporte, Maylis de Kerangal se documente énormément .
Mais peut-être aussi que c'est cela qui pêche et qui maintient le lecteur à distance, à moins qu'elle se soit perdue dans la montagne des informations qu'elle souhaite partager avec nous.
Si j'ai aimé le début de l'histoire, très vite , je me suis ennuyée lors des descriptions de Cinecittà ou Lascaux car elle prennent le pas sur l'histoire à proprement dit. Elle la vampirise, l'absorbe, la laisse sur le pavé. Impression de lire une page Wiki…
Il ne se passe pas grand- chose dans ce roman : tout juste le début d'une histoire d'amour (?) dont on se dit qu'elle aurait dû ( ou pu ) , arriver bien plus tôt, ( à moins qu'ils soient tous très mal dans leur peau…). Les caractères des uns et des autres, sont à peine esquissés , Kate quasi inexistante .
Et si j'ai pris plaisir à découvrir au début le parcours professionnel de Paula, ses chantiers loin de ses proches, le statut précaire de free-lance , très vite Maylis de Kerangal oublie cet aspect , oublie ses personnages , se perd dans les mots, les descriptions , les informations, et son roman devient éthéré , abstrait . Frustration...
Je lui sait gré tout de même de montrer qu'ils n'y a pas que les étudiants en médecine qui en "chient ", qui font des nuits blanches et qui bossent !
Tous les apprentissages qui visent l'excellence, sont exigeants…
J'ai aimé la fièvre , la passion dévorante , l'obsession qu'a ce trio pour apprendre à maitriser les techniques picturales. Peut-être que c'est ça le problème, en dehors de cette apprentissage, rien ne compte, rien n'est ressenti .
J'ai aimé la poésie des couleurs et la beauté de l'écriture .
J'ai trouvé amusant que Paula ( dont l'oeil est le principal outil de travail avec la main) , souffre de strabisme et ait un oeil vairon et que cela ne soit en rien un frein pour savoir dessiner et mettre le monde à portée de sa main ...
Toutes ces pages m'ont portée , mais pas transportée hors de mon monde , je m'attendais à plus d'intensité...
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Un petit coup d'éponge végétale et, sur un fond bien préparé - un enlevé blanc de zinc et noir de vigne-  , un glacis gris de Payne , une estompe légère des contours avec un petit gris gorgé de bleu ceruléen, un coup de spalter pour unifier la touche, un trait , fin, ferme et sensible,  au fileur, pour faire naître la forme : c'est  un oiseau qui trace son vol aigu dans le ciel changeant de Bruxelles-la-Belle.

Un oiseau qui prend son vol pour sillonner le monde...

C'est un étudiant de l' Institut de Peinture, rue du Métal,  à  Saint-Gilles, qui part , fort de son diplôme tout neuf de peintre en décor,  comme Paula aux yeux vairons, avec une coquetterie dans le gauche,  comme Kate la nageuse aux épaules tatouées de poissons, comme  Jonas aux mains d'or, Jonas le "faussaire" surdoué, le roi du trompe-l'oeil. ..

Oh, comme j'ai rêvé avec Paula, Kate et Jonas... Des odeurs de térébenthine plein le nez, à en éternuer, les doigts poisseux de peinture fraîche, je m'y croyais,  dans cette école fameuse dont m'ont parlé tant de peintres français- toi, Gratienne, toi, Sylvie...- avec des étoiles dans les yeux...

Je me suis laissée porter par leurs rêves, enlever par l'euphorie de leurs premiers chantiers- un ciel de chambre d'enfant, un décor de péplum à Cinecitta, une fresque du XVII à restaurer dans l'île Saint-Louis- , je me suis laissée emporter par la libre itinérance de leur parcours, tantôt ici tantôt ailleurs, jamais attachés, toujours flottants, dans la bulle close et magique de leur savoir-faire...

Et surtout je me suis laissée rouler , enrouler, dérouler, par la vaste houle de la phrase de Kerangal, une phrase sans galets, soyeuse, ample, majestueuse -  périodique comme celle De Chateaubriand, retenant infiniment ses mystères comme celle de Proust, rythmée comme une  tirade racinienne....ou, si vous préférez, une phrase ensorcelante comme la chanson de Kâa dans le livre de la Jungle: "Trust in me"...avec les yeux du vilain reptile qui dessinent des spirales et Mowgli qui s'abandonne..

Tout à fait moi pendant cette lecture!

Peu m' importe un sujet finalement un peu mince, un propos un peu épars,  un trio un peu disjoint : j'ai senti, j'ai vu, j'ai imaginé,  j'ai voyagé,  et mes pinceaux m'ont furieusement démangé la main!

La conclusion en point d'orgue, dans le quatrième fac-similé de Lascaux, à l'heure sanglante de Charlie Hebdo m'a achevée.

De beauté et de force.

Ces heures-là,  je ne me rappelle que trop comment je les ai vécues, elles me poursuivent encore, elles m'obsèderont toujours.

Alors les vivre avec Paula, à genoux dans la glaise périgourdine, en communion avec le berceau artistique de l'humanité,  ça vous  redonne confiance en l'homme. Et il y a des jours où on en a tellement besoin!
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le vent fait-il du bruit dans les arbres
quand il n'y a personne pour l'entendre ?

C'est donc par ce classique kôan zen que commence « un monde à portée de main », une respiration s'impose, sentir ce vent s'engouffrer à travers mes crins durs. Laisser couler les pensées, regarder, observer, copier, reproduire. Paula, Kate et Jonas, trois jeunes qui se destinent à la carrière d'artistes. Une vie qui ne laisse pas de marbre surtout dans les carrières. Ont-ils rêver un jour d'embrasser l'idée de devenir peintre ou sculpteur ? Alors que Paula embrasse Jonas, que Jonas caresse Paula, que Kate caresse son bois, Jonas sa toile, Paula ses écailles de tortue. L'art est sensuel, coloré, charnel tout comme l'amour d'ailleurs. J'aime te regarder, t'embrasser, te caresser, dans une chambre pénombrée, store à demi-fermé, après le salon porte de gauche.

Le roman se compose de trois parties, toutes centrées sur Paula, l'objet de toute mon attention, attention qu'elle ne manque pas puisqu'elle a l'intention de me faire pénétrer le monde de l'art, par le truchement de la copie, du trompe-l'oeil, de la découverte sensorielle par des phrases à rallonge qui n'en finissent pas, comme si je manquais de souffle, la lecture essouffle, mais j'aime cette plume sans point, je m'y suis habitué, troisième roman de Maylis de Kerangal, j'aime son rythme, effréné sans frénésie, j'aime cette fulgurance des mots, des images, des idées qui s'enchaînent, se déchaînent parfois, comme deux corps dans une chambre d'hôtel au bord de l'autoroute. Paula Kate et Jonas se croisent rue de Parme, ce ne serait pas une couleur, il est beaucoup question de couleurs, pour faire cette formation dans le monde de l'art. Une première partie où ils apprennent leur métier, apprennent à se découvrir, se dénuder aussi, et puis comprennent leur métier : la copie, le faux semblant, le trompe-l'oeil, le fac-similé... Apprendre à regarder pour reproduire. Apprendre à observer pour trouver la bonne nuance, non la même nuance, des nuances de couleurs, de gris, de vert, de bleu. Caresser le support, le bois, le marbre, l'écaille de tortue, oui il sera beaucoup question d'écailles de tortue, comme de bisons morts vers la fin, parce que le rôle d'un bison n'est-il pas d'être mort.

Le diplôme en poche, chacun part aux quatre coins de la planète, pour de riches investisseurs, bourgeois ou autres oligarques ou émirs, la richesse a sa noblesse, celle de posséder des palais sertis d'émeraudes et de marbre. Quand à Paula, elle m'embarque pour l'Italie, découvrir, faire revivre Cinecittà, le monde du faux réel, le souvenir de ces vieux films avec Elizabeth Taylor, maquillée comme une peinture d'un autre temps, ou une icône orthodoxe qu'il faut vénérer. L'âge d'or du cinéma qui n'a qu'un temps, celui d'un film, ou d'une série télévisée. Retour à la case départ, sans se reposer, la plume de Maylis ne pardonne pas le repos, elle enchaîne, se déchaîne, comme deux corps nus sous les draps embrumés de souffles chauds et humides post-coïtaux. Les valises ne sont pas défaites qu'elle se retrouve sur un quai de gare, gare d'Austerlitz, une vieille locomotive dans le genre inter-cité, pour descendre bien plus bas, dans la Dordogne Rouge, celle des grottes, à la découverte de Lascaux, celle des bisons morts peints sur les murs, couleur ocre, et des chasseurs, couleur noire sombre, dans une caverne où il est interdit de respirer, le projet d'une vie, respirer l'air de la préhistoire, peindre Lascaux IV et sentir ce monde à portée de main, de pinceaux, de marteaux ou de truelles.

J'apporte à la fin de ce chapitre ma faible voix, ou mon petit bémol, l'écriture de l'auteure me fascine toujours autant, l'histoire, cette fois-ci m'a moins passionnée, sa « Tangente vers l'est » m'avait apporté un vent supplémentaire de fraîcheur, de blizzard, de passion, de chair que je n'ai pas retrouvé ici mais je ne lui en veux guère, j'ai appris tout un nouveau monde de couleurs, de teintes, de nuances que je ne soupçonnais même pas, et comme je sais que je serais fidèle à ses prochains écrits, même ses antérieurs puisque deux autres romans m'attendent encore, quand on aime on ne compte pas, c'est comme le nombre de verres de bières.
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J'attendais beaucoup de ce dernier roman de Maylis de Kerangal. Dire que j'ai été déçue serait excessif mais je suis assez partagée sur mes ressentis de lectrice.
Première question qui s'est imposée à moi : pourquoi ce choix d'une héroïne, Paula, qui veut devenir peintre en décor et va suivre une formation à l'Institut de peinture de Bruxelles. Aventure qu'elle va partager avec Jonas et Kate. Très vite , j'ai senti que l'auteure m'entraînait sur une piste dont les enjeux m'ont paru assez clairs : les interrogations de Paula sur le jeu troublant entre la réalité et le monde du trompe l'oeil rejoignent celles de Maylis de Kérangal. Dans le roman les deux niveaux se confondent souvent ou sont interchangeables. La réalité est le monde de l'illusion et celui du faux-semblant a plus de consistance, de présence que le monde auquel il renvoie, tout simplement parce qu'il est exigeant et demande une empathie, un travail sur l'imaginaire qui sont fondamentaux dans la création artistique. Comment alors ne pas faire le parallèle entre trompe l'oeil et fiction romanesque ?
La clé du roman à ce niveau-là est pour moi le long passage que l'auteure consacre à l'écaille de tortue, motif choisi par Paula pour le panneau de son examen de fin d'année. Belle métaphore sur l'acte d'écrire, surtout lorsque l'on a comme Maylis de Kérangal un souci presque maniaque de cerner au plus près des univers très particuliers. Heureusement d'ailleurs que ce souci de précision va de pair avec un amour rabelaisien du langage qui fait que souvent les mots emplis de sons et de couleurs explosent dans un phrasé diluvien mais grisant !
L'écriture de l'auteure me fait penser à une vague où l'on peut se noyer, c'est vrai mais sur laquelle on peut aussi surfer en se laissant emporter par le flot qui enfle, grossit pour se laisser mourir enfin en de multiples jaillissements... Autre qualité de son écriture dans ce roman, le regard de peintre qu'elle porte sur tous les personnages et les décors. Allié à l'humour cela donne des portraits qui sont de véritables petits bijoux.
Drôle de traitement d'ailleurs que celui des personnages. Tout au long du roman court un "on" qui a valeur pour ainsi dire de narratrice ou narrateur et la dimension humoristique lui est souvent associée. Mais cette mise à distance de ses héros et notamment celle de Paula a pour moi une autre dimension. Maylis de Kérangal accorde beaucoup de place au discours du corps.Et il me semble qu'à travers son héroïne ce qu'elle veut nous faire sentir est une sorte de paradoxe : la plus grande proximité de vie, la plus grande intimité des corps cache une solitude existentielle qui rend inviolable cette part énigmatique que chacun porte en soi. Je l'avais déjà perçu dans Réparer les vivants. C'est encore plus présent ici.
J'ai donc beaucoup aimé la première partie du roman dans laquelle toutes ces thématiques s'entrelacent dans un style qui m'a ravie. Mon intérêt a nettement faibli au niveau de ce que je considère comme la deuxième partie. J'ai en effet perdu de vue Paula et je me suis également un peu perdue dans les studios de Cinecittà et encore un peu plus dans les grottes de Lascaux.
Dommage. J'aurais aimé quitter Paula différemment...
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Pour commencer, il y a cette photo intrigante de couverture que l'on appelle le lardon ou encore La Rose de l'Inca. Comme toujours chez Maylis de Kerangal, des détails intelligents pour suivre, cette fois, le parcours de Paula qui étudie la technique du Trompe-l'oeil. Ce roman me parle beaucoup, puisque ayant eu comme loisir la spéléologie, j'ai bien sûr aussi été fascinée par ces mômes qui, au cours d'une promenade, et grâce à leur chien, ont découvert la grotte de Lascaux.

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Paula, jeune fille de 20 ans, se cherche, et décide, alors que rien ne l'y destinait, d'intégrer la prestigieuse école d'art, rue du Métal, à Bruxelles. Elle va découvrir, elle qui n'exerce aucun sport, n'a pas l'habitude du labeur, ce que c'est que de se consacrer corps et âme à la matière qu'elle étudie, qui est devenue une passion, un sacerdoce.

Elle va se couper de tous ses amis pour se consacrer uniquement, pendant 6 mois, à la découverte des textures, de la matière, des couleurs, des reliefs, à reconstituer, sans y mettre d'elle, les éléments de décoration d'art, des mondes, des paysages, par le biais des pinceaux.

Une fois son diplôme en poche, elle rentre chez ses parents et se laisse vivre, jusqu'au moment où elle va avoir une petite commande qui va lui mettre le pied à l'étrier. Elle acceptera alors tout ce qui se présentera, se fera exploitée, se rendra en Italie et entrera dans le monde du cinéma et fera des décors pour des films. Elle deviendra une « intermittente » et une nomade.

Son carnet d'adresse commençant à se remplir, elle aura des travaux plus alléchants à réaliser, jusqu'au jour où, Jonas son ami, amant, avec qui elle est toujours restée en contact lors de son stage à Bruxelles, va lui proposer de faire partie d'une équipe qui réalisera….

Et oui, si vous voulez le savoir, il vous faudra le découvrir par vous-même en lisant ce roman qui m'a permis de découvrir le monde de la « copie », du « faux », de la reproduction, du trompe-l'oeil, des couleurs, des textures, de la matière, pas si anodin que cela, monde que je ne connaissais pas. Maylis de Kerangal m'a fait voyager dans des décors plus somptueux les uns que les autres, plus réels que jamais, m'a fait traverser les époques, les pays, et en même temps, fait référence, dans son livre, au monde dans lequel on vit, où la violence et la beauté se côtoient et s'entrechoquent parfois. Un vrai bon moment de plaisir.

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Maylis de Kerangal souffle le chaud et le froid sur mon humeur : après la « Naissance d'un pont » qui avait séduit l'ingénieur ensommeillé dans les tréfonds abyssaux de mes méninges, j'avais été déçue par son « Réparer les vivants », cette histoire de coeur sans émotion, froide, clinique. Ici il s'agit d'une histoire avec une vraie héroïne (ou peut-être devrai-je dire anti-héroïne ???) en chair et en os, une fille paumée, Paula, qui quitte le nid familial (douillet mais asphyxiant) et l'appartement parisien de la rue Paradis pour pousser un peu par hasard le monde du trompe-l'oeil, passer de l'autre côté du décor – comme Alice au Pays des Merveilles - et découvrir sa vocation … La métamorphose de Paula en artiste, métamorphose chaotique, tantôt lente tantôt soutenue, est probablement la partie la plus réussie du roman. Métamorphose qui s'apparente fort à un éveil à la vie, au monde qui nous entoure, aux autres. Métamorphose qui imprime ses stigmates sur le corps de Paula.

De Kerangal parle aussi de façon fort intéressante du processus créatif. Enfin …d'un type de processus créatif : l'artiste se nourrit d'abord – consciemment ou inconsciemment – d'images, d'histoires, d'odeurs, puis il digère, s'imprègne, s'imbibe de cet amas informe pour finalement donner forme à une oeuvre personnelle, inattendue, émouvante, peut-être interpellante, voire dérangeante. L'enthousiasme qui s'empare de l'artiste, l'emballement, l'embrasement, ces moments où le passé et le futur disparaissent pour laisser place au présent dans toute sa densité, sont magnifiquement décrits.

La suite du roman, et de la vie de Paula, est beaucoup plus terne : les petits boulots précaires s'enchainent, sans réel reconnaissance, les relations amoureuses qui tiennent plus de l'exercice physique et hygiénique, les chantiers où Paula tait sa créativité, sa personnalité, pour s'effacer devant les oeuvres qu'elle restaure …

Et c'est un peu à l'image du sujet, le trompe-l'oeil, comme si Paula avait goûté à la vie d'artiste pendant ses études pour finalement se laisser rattraper par la réalité, les contingences matérielles. Paula, l'héroïne malheureuse…

L'écriture est originale et - je pense - ne laisse pas indifférent … Profusion de mots, des mots qui sonnent, bondissent, rebondissent et trébuchent dans les oreilles, dans la bouche. Des mots qui ouvrent la porte aux rêveries. Des avalanches de mots, qui s'apparentent parfois plus à des listes de termes techniques, des catalogues de spécialiste, et dont la profusion m'hypnotise … Poésie du quotidien.

Mais si l'histoire est sombre – enfin selon mon point de vue – certains passages sont simplement lumineux. Je pense à la rencontre de l'amie de Paula avec une baleine. Et je pense aussi bien sûr à l'épisode des grottes de Lascaux, et à la dernière image du roman.

Une belle lecture en somme.
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Trouvé dans une boîte à livres, le monde à portée de main m'a permis de renouer avec Maylis de Kerangal que j'avais délaissée depuis Réparer les vivants, et ce furent de belles retrouvailles.
Avec le ton et la langue tout d'abord, une langue puissante, haletante, enveloppante, qui vous happe et vous donne envie de connaître la suite toutes affaires cessantes, avec également un vocabulaire riche, chatoyant, précis et technique, dont les mots roulent comme des cailloux dans un torrent.
Maylis de Kerangal écrit dans l'urgence et son rythme vous entraîne dans le sillage de la jeune Paula Karst qui décide à vingt ans, après deux années décevantes à l'université, d'apprendre la peinture de décors et trompe-l'oeil dans une école à Bruxelles.
L'autrice ne rentre pas dans l'explicitation des motivations de Paula. Celle-ci se lance à corps perdu, tête baissée, dans ce difficile apprentissage, seule, avec opiniâtreté, sans regarder autour d'elle. Elle doit maîtriser ses gestes, ses postures pour éviter les souffrances. Elle se familiarise avec les matières, les essences de bois, les marbres et les pierres.
Après cette période de formation, Paula démarre son expérience professionnelle sur des chantiers en Italie et découvre la magie des studios de cinéma de Cinecittà.
Ce sera enfin, à la fin du livre, la troisième période, à Lascaux, où Paula participe à la duplication des peintures pariétales de la fameuse grotte.
Au travers de ces trois immersions dans le monde de la création, l'autrice nous offre des variations subtiles sur les relations entre la réalité et la fiction, entre la copie, la reproduction et l'art. Elle nous entraîne dans une réflexion sur l'illusion générée par la peinture en trompe-l'oeil et les décors de Cinecittà, qui, bien que faux, doivent être plus réels que la réalité et requièrent un travail approfondi sur cette réalité.
J'oubliais, en filigrane, une émouvante histoire d'amitié entre trois personnages qui évolue au fil des pages et qui vient parachever ce roman dense et envoutant.

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J'ai beaucoup aimé ce roman. L'univers, celui des peintres experts en trompe-l'oeil est très original. On en a de plus une description très fouillée et très précise.
J'aime toujours autant le style de l'écrivaine, qui est vraiment singulier. Les personnages sont creusés à l'extrême, ils tiennent debout tout seul, ils existent indépendamment du roman et de son contexte. Ils apparaissent dans toute leur chair et toute leur âme. Finalement, l'intrigue, la trame disparaît et seuls les personnages subsistent. Ils n'existent pas pour leur relation les uns avec les autres, pour leur relation avec un quelconque héros, mais bien pour eux mêmes, dans leur extraordinaire normalité.
Je pense que Maylis de Kerangal est vouée à être l'un des grands auteurs de notre époque, justement pour sa capacité à créer des personnages aussi vrais et aussi puissants.
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