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EAN : 9782283039489
592 pages
Buchet-Chastel (02/05/2024)
4.17/5   18 notes
Résumé :
A des époques différentes, trois femmes sont amenées à quitter la France pour Pondichéry, en Inde. Alice, en 1930, rejoint son mari médecin chargé de diriger la léproserie ; Oriane, en 1950, veut revisiter les lieux d'une petite enfance dont elle ne conserve que de vagues souvenirs ; Céline, enfin, en 2012, a fui une situation familiale dramatique. Ce séjour dans un ancien comptoir français va bouleverser leur vie.

Ce premier roman d'Anne Vantal, à l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Performance littéraire de haut vol, Pondichéry ou le rivage des ombres est pourtant le premier roman signé Anne Vantal. Il faut tout de même préciser que celle-ci a déjà fait ses preuves dans la littérature jeunesse et dans de nombreux autres domaines de la culture.
Dès que je lis Pondichéry dans le titre de ce pavé de près de six cents pages, je ne peux m'empêcher de penser à la chanson délicieuse et coquine de Guy Béart : « Chandernagor ». Malicieusement, il cite ces fameux Comptoirs français de l'Inde résultats d'une colonisation amorcée au XVIIe siècle. Karikal, Yanaon, Mahé, Chandernagor et, bien sûr, Pondichéry sont un peu oubliés parce que ces Comptoirs ont été transférés à l'Inde dès 1954 pour une fusion définitive en 1963.
Revenons donc à ce « Pondichéry facile » et ce « Pondichéry accueillant » grâce à Anne Vantal qui rafraîchit judicieusement nos mémoires ou, tout simplement nous apprend une Histoire délaissée au travers de trois destins de femmes, à trois époques différentes.
Je trouve vite la lecture de Pondichéry ou le rivage des ombres très agréable grâce à l'écriture fluide d'Anne Vantal et aux détails savoureux dont elle émaille son récit, un récit vivant et rythmé par le passage du début des années 1930 au début des années 1950 et enfin à 2012.
C'est d'abord Alice qui capte mon attention. Cette talentueuse pianiste vogue vers l'Inde où elle doit rejoindre Jules de Rouvray, son mari, un médecin, qui l'attend à Bombay, avant de rejoindre son poste, à Pondichéry.
Oriane, le 19 janvier 1950, retrouve Pondichéry, sa ville natale. Son parcours est un peu en retrait pour l'instant. Il va se révéler décisif par la suite.
Quant à Céline, troisième personnage principal de l'histoire, elle est sage-femme dans une maternité de Pondichéry et elle nous permet d'aborder notre époque, en 2012.
Les passages de Céline à Oriane ou Alice sont parfaitement datés avec jour, mois, année, ce qui facilité la lecture. Je me doute bien que les liens existent entre ces trois femmes mais Anne Vantal est très forte, ménageant le suspense jusqu'au bout, lâchant au compte-gouttes les révélations.
Au travers du parcours des trois héroïnes, l'autrice permet d'appréhender tous les problèmes de ce pays immense où l'on parle différentes langues – le tamoul à Pondichéry - et surtout où la population est soigneusement divisée en castes.
Anne Vantal excelle pour décrire la nature exubérante de ce pays qui subit régulièrement les ravages de la mousson. Elle décrit aussi les habitations, les jardins, de manière si vivante que ce n'est jamais ennuyeux. Je peux même qualifier son écriture de visuelle et ses portraits si réussis, que je m'attache à chaque personnage, les lâchant avec regret pour changer d'époque et en retrouver d'autres.
Si je suis étonné de découvrir l'indigoterie, l'usine textile de Charles Gréault où l'on teinte les tissus de cette fameuse couleur bleue, voilà que le Mahatma Gandhi fait parler de lui en 1930. Il pousse le peuple à se révolter pacifiquement contre l'occupant anglais en refusant de payer la taxe sur le sel.
Habilement, Anne Vantal insère dans sa fiction des personnages historiques essentiels pour l'avenir de l'Inde. Elle réussit aussi à faire comprendre la religiosité du peuple pour ses dieux et pour ceux qui attisent cela dans l'ashram de Pondichéry, par exemple.
Drames familiaux, relations Pondichéry – France par lettre ou par courriel, extraits de presse, tout cela pousse la lecture au plus profond de la psychologie d'Alice, d'Oriane et de Céline tout en éclairant la mentalité de ces Français déchirés entre leur attachement au Comptoir de Pondichéry et leur désir de rentrer en France.
Au cours de ma lecture, j'ai beaucoup apprécié cette histoire en marche sans négliger les parcours familiaux parfois compliqués. J'ai aussi pensé souvent à l'essai que j'avais lu il y a peu : Dans la tête de Narendra Modi, de Sophie Landrin et Guillaume Delacroix.
Enfin, je reste vraiment admiratif pour ce roman d'Anne Vantal et le travail que cela a dû représenter pour notre plus grand plaisir. Cette lecture m'a régalé et j'en remercie d'autant plus Babelio et les éditions Buchet/Chastel qui m'ont permis ce captivant voyage.

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Trois femmes , à des époques différentes, vont rejoindre Pondichéry, l'ancienne capitale de l'Inde française.
En 1930, Alice, une pianiste, jeune mariée part retrouver son mari médecin dirigeant une léproserie.
En 1950, Oriane repart sur les lieux de son enfance. Elle n'a que des souvenirs très flous de cette époque.
En 2012, Céline, une sage-femme ayant vécu un drame dans sa vie privée, fait également le voyage.
On découvre en même temps les évènements historiques liés à ces différentes périodes, la vie des coloniaux et de la population indigène ainsi que leur évolution, leurs castes.
Malgré un passage rapide d'une femme à l'autre, les liens s'effectuent assez aisément. On y retrouve les mêmes problèmes liés à la vie de femme, de mère aussi bien en 1930 qu'en 2012.
J'ai apprécié que l'auteure fasse revivre les éléments liés à Gandhi. D'autres éléments m'étaient inconnus comme l'importance du port de Pondichéry, l'industrie du coton...
Il m'a manqué un langage plus humain, moins journalistique mais c'est un avis tout à fait personnel de goût de lecture.
C'est vraiment une opinion personnelle.

Je remercie l'équipe Babelio et les éditions Buchet - Chastel pour m'avoir permis de découvrir Anne Vantal et son roman sur Pondichéry vu par trois femmes de 1930 à 2012.
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Trois femmes, trois époques et Pondichéry

Pour son premier roman, Anne Vantal a laissé courir sa plume pour raconter Pondichéry à travers trois périodes, les années 1930, 1950 et en 2012 à travers trois portraits de femmes. Alice, Oriane et Céline vont nous faire découvrir cette ancienne colonie française avec leur regard curieux.

Ce n'est pas un premier roman que nous offre Anne Vantal mais plutôt trois romans en un, racontant les vies à Pondichéry d'Alice, Oriane et Céline. Au fil des chapitres qui passent successivement d'une histoire à l'autre, on va voir se dessiner une traversée du siècle à travers les destins de ces trois femmes.
Chronologiquement, c'est d'abord Alice qui entre en scène. Nous sommes en 1930, au moment où Gandhi entame la marche du sel, action non-violente mais aussi démonstration de la puissance et de la détermination de cet homme qui entend redonner son indépendance à son pays.
Si les autorités françaises regardent d'un oeil curieux cette poussée de fièvre, ils ne s'inquiètent pas vraiment de leurs confettis de territoires formant l'Inde française, mais songent plutôt à développer leurs possessions coloniales. La crise qui frappe les Etats-Unis est bien plus préoccupante à leurs yeux.
Quand Alice débarque pour rejoindre son mari médecin, il lui présente les projets d'agrandissement de l'hôpital et la construction d'une léproserie dont il aura la charge. La jeune femme, pianiste virtuose, s'est liée d'amitié durant le voyage avec Mabel, une Britannique installée à Bombay. Grâce à cette dernière, elle réussira un peu à tromper son ennui en donnant quelques concerts et à être informée des soubresauts du pays.
Pour Oriane, c'est un retour au pays, en 1950. Après un événement tragique, dont elle ignore presque tout, la décision avait été prise de rentrer en France alors qu'elle n'était qu'une enfant. Profitant d'un stage au sein d'une association humanitaire, elle va pouvoir partir à la recherche de ses racines et tenter de percer les secrets de famille. Lorsque sa route croise un témoin très proche de ses parents, elle va entamer une quête qui la mènera jusqu'à retrouver son ancienne nounou et découvrir ce qui l'attache à ce pays désormais indépendant. Côté français, Chandernagor est rendue à l'Inde et les autres comptoirs ne vont, on s'en doute de plus en plus, pas tarder à connaître le même sort. de quoi nourrir les conversations et échauffer les esprits.
Enfin, on fait la connaissance de Céline, qui arrive en 2012 dans l'ex-comptoir français. La sage-femme, qui découvre une ville en pleine mutation, va tomber sous le charme suranné du lieu, se découvrir en Sandrine bien plus qu'une collègue et trouver dans un hydrologue allemand un compagnon qui va au fil des jours, réussir à transformer leur liaison en un amour grandissant. Alors qu'elle songe à prolonger son séjour, elle découvre dans la cuisine de la maison qu'elle loue de vieilles photos qui vont l'intriguer. Avec l'aide de Sandrine, elle va tenter d'en savoir plus sur ces visages et sur leur vie à Pondichéry. Leur enquête va permettre, on s'en doute, de boucler la boucle de ce roman ambitieux.
Anne Vantal s'est beaucoup documentée pour nous offrir un panorama de près d'un siècle sur ce bout de France coloniale dont le nom, avouons-le, continue à faire rêver. Mais rassurez-vous, le romanesque prend ici le pas sur L Histoire et la politique. Intrigues familiales, relations entre colons et autochtones, drames et catastrophes naturelles forment les ingrédients de cette riche saga.
Mais, comme le suggère le titre, Pondichéry ou le rivage des ombres, est aussi un roman de la transmission. «Car il ne faut jamais chercher à effacer les morts, (…) on doit les laisser partager nos vies, car ils y ont leur place, s'ils savent se tenir bien, juste au bord de nous, sans nous envahir, sans nous jeter à tout instant dans un chagrin mortel. Nos disparus nous accompagnent silencieusement, nous guidant la main et éclairant notre chemin : à nous d'accueillir, avec respect et indulgence, la cohorte de ces ombres qui nous lient au passé et reviennent à nos côtés jouer avec la lumière.»
Ajoutons, pour ceux qui s'intéressent à Pondichéry, une bibliographie succincte. Je vous conseille tout d'abord le roman de Dominique Marny intitulé du côté de Pondichéry et qui traite de présence française sous le Second Empire. Sur les dernières années de la Pondichéry française, Terminus Pondichéry de Hubert Huertas montre bien le drame vécu par les populations. Enfin La dernière fois à Pondichéry de Catherine Brai propose, derrière le personnage d'une prof de français, un bel aperçu du choc des cultures.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre et en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.



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1930, tandis qu'Alice va rejoindre Jules son mari, médecin dans une léproserie à Pondichéry, Gandhi entame sa longue marche non violente contre l'occupation anglaise. Les conséquences de la crise américaine de 1929 commencent à se faire ressentir en Europe.
1950, Oriane revient dans le pays qui l'a vue naître pour retrouver ses racines, L'inde a accédé à l'indépendance depuis 3 ans, Gandhi a été assassiné il y a deux ans. La France va perdre ses derniers comptoirs en Inde, elle va aussi perdre l'Indochine.
2012 Céline est sage-femme dans un hôpital, en ce début du XXIe siècle en Inde, la naissance d'une fille fait toujours figure de malheur, deux millions de fillettes âgées de dix ou 11 ans sont vendues à des mères maquerelles.

Trois époques, trois femmes, dans ce roman Anne Vantal nous entraîne à Pondichéry, elle nous raconte l'histoire de ce comptoir français qui se mélange à l'Histoire du monde.
À travers ces trois destinées, l'auteure nous décrit la pauvreté, la saleté, les castes dont celle des intouchables, considérées comme des sous-hommes, la chaleur moite, les odeurs, la force destructrice des cyclones. L'inde avec sa foi, ses fièvres, son dénuement et sa cohorte de laissés-pour-compte, les traditions y sont solides et l'étranger y est souvent méprisé.
C'est à un voyage agréable auquel nous convie l'auteure, un roman très bien écrit, un dépaysement total.
Je remercie Babelio et les éditions Buchet Chastel de leur confiance.
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Voici mon retour de lecture sur le roman Pondichéry ou le rivage des ombres d'Anne Vantal, reçu dans le cadre d'une masse critique privilégiée. Je remercie Buchet-Chastel et Babelio pour la découverte.
A des époques différentes, trois femmes sont amenées à quitter la France pour Pondichéry, en Inde.
Alice, en 1930, rejoint son mari médecin chargé de diriger la léproserie ; Oriane, en 1950, veut revisiter les lieux d'une petite enfance dont elle ne conserve que de vagues souvenirs ; Céline, enfin, en 2012, a fui une situation familiale dramatique.
Ce séjour dans un ancien comptoir français va bouleverser leur vie.
Pondichéry ou le rivage des ombres est un premier roman qui nous emmène en Inde, plus précisément à Pondichéry ; à trois époques différentes : en 1930, en 1950 et en 2012 avec trois femmes : Alice, Oriane, Céline.
Il est intéressant de voir l'évolution de l'Inde, dont Pondichéry était un comptoir français en 1930 et 1950 ; mais pas en 2012. D'ailleurs, dans les années 50 la situation était compliquée car le comptoir a cessé d'être français à cette époque là, il y a donc des tensions avant que la décision ne soit prise.
J'aime lire des ouvrages sur l'Inde, sur Pondichéry, sur Auroville (évoqué ici) car je sais que jamais je n'irais. En effet, mon mari est catégorique : cela ne le tente pas du tout, trop de monde, de bruit, de saleté.. Alors, je lis :)
Pondichéry ou le rivage des ombres est un très joli roman, qui m'a charmé de la première à la dernière page.
Bravo à l'autrice pour tout le travail de documentation, on sent qu'elle sait où elle nous emmène. La plume est fluide.
Alice, Oriane et Céline sont toutes trois différentes autant de part l'époque à laquelle elles vivent que part leurs caractères, leurs façons de voir les choses.
J'ai trouvé plaisant de les suivre toutes les trois tour à tour.
Il est important de bien suivre car leurs trois vies s'entremêlent.
Toutefois, comme on sait où et à quelle année nous sommes, il est impossible de se perdre.
J'avoue que je n'ai pas réellement de préférence entre Alice, Oriane ou Céline. Toutes trois m'ont plu même si leurs vies sont différentes. Alice est femme au foyer, Oriane est venue sur les traces de son enfance, alors que Céline est sage-femme,
Il est passionnant de découvrir comment Pondichéry a évolué au fil des années.
Il y a évidemment un lien entre elles à un moment ou un autre, mais pour le découvrir il faut lire ce roman :)
Pondichéry ou le rivage des ombres est une réussite, je suis ravie d'avoir pris le temps de le lire tranquillement ; un petit peu chaque jour ; sans me presser.
J'ai terminé ma lecture il y a deux jours et j'avoue qu'elles me manquent toutes les trois.
Je vous invite à découvrir vous aussi le destin de ces trois femmes.
Ma note : cinq étoiles.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
1930
Prologue
Golfe d’Oman, 10 mars 1930
Enfant, elle avait vu la mer en deux occasions. La première fois, au début de l’été 1914, quelques semaines à peine avant la déclaration de guerre, quand son oncle Paul, le frère de son père, qui était aussi son parrain, lui avait offert, pour son neuvième anniversaire, une journée à Honfleur ; ils s’y étaient rendus dans la DP Torpédo que Paul venait d’acquérir dans les ateliers Renault et, au terme d’une route cahotante et inconfortable, elle avait découvert, émerveillée et tremblante, le petit port de pêche si cher à ces peintres impressionnistes qu’elle devait plus tard admirer beaucoup, et les mouvements ondulés de la Manche en ce jour calme et ensoleillé qui allait rester, de tous ses souvenirs d’enfance, le plus précis dans sa mémoire. La seconde fois ne s’était produite que bien des années plus tard, longtemps après la fin des terribles hostilités, quand le son du canon s’était enfin tu et qu’il avait bien fallu prendre la mesure des dommages. Paul n’était plus à ce moment-là : il avait été transpercé de part en part par un éclat d’obus du côté de la butte du Mort-Homme, au début de l’offensive de Verdun, et avait disparu sans sépulture particulière, englué comme tant d’autres dans un amas abject de chairs, d’os et de sang qu’on avait, plus tard, pieusement enseveli avant de quadriller l’espace de croix anonymes régulièrement espacées. Cette seconde fois, qu’elle ne pouvait évoquer sans se rappeler l’insouciance et le bonheur de la première, elle avait poussé jusqu’à la côte bretonne, dans les alentours de Perros-Guirec, pour obéir à l’injonction d’un notaire de Rennes qui exigeait qu’elle vînt mettre de l’ordre dans les effets d’une grand-tante récemment décédée ; elle avait profité de l’ennuyeuse obligation pour se rendre, les larmes aux yeux, sur une grève battue par les vents, se faisant ce jour-là accompagner de sa sœur cadette Jeanne, dont les années d’enfance avaient trop longtemps pâti de l’ombre portée par les décès familiaux.
Et voici que, devenue adulte, elle avait enfin trouvé l’occasion non pas de voir simplement, mais d’expérimenter la mer. Un train de nuit, parti de Paris, l’avait menée jusqu’à Marseille ; au petit matin, elle avait trouvé l’antique cité noyée dans un crachin maussade et froid qui l’avait fait frissonner ; de la brume émergeait vaguement le campanile de Notre-Dame-de-la-Garde : elle y avait vu un heureux présage. Elle avait parcouru avec curiosité les ruelles populeuses du quartier du Vieux Port jusqu’au moment d’embarquer pour son long voyage. Elle était montée à bord du SS Neptunia sans angoisse, mais imprégnée de la sourde excitation qui saisit une toute jeune femme à l’idée de se lancer dans l’inconnu. Elle voyageait seule, et pour aller très loin : c’était la première fois. Puisqu’elle était mariée, et son époux ayant consenti, personne n’avait trouvé à y redire. Le navire, qui battait pavillon britannique, avait le soir même mis cap au sud et traversé jusqu’à Tunis une Méditerranée dont la couleur intense, où se lisaient au fil des heures d’imperceptibles variations, ne cessait de provoquer chez Alice un authentique ravissement.
À Tunis, le Neptunia s’était déchargé d’un grand nombre de ses passagers, pour la plupart des officiers français qui rejoignaient leur poste aux colonies, ou encore les épouses de ceux-ci, parfois chargées d’enfants, qui s’apprêtaient, avec des sentiments mitigés, à retrouver leur mari, militaire de garnison, et la vie de famille à la caserne. On n’était pas resté à Tunis, le temps seulement d’entrevoir une ville plate et blanche sous un soleil d’hiver plutôt vif, et le Neptunia avait poursuivi vers l’est, comme il était prévu. Le seul incident notable s’était produit au large de la Libye lorsqu’un coup de vent aussi bref que brutal, de ceux dont la Méditerranée a le secret, avait contraint chacun à s’agripper aux rampes. Comme les autres, elle s’était alitée pour résister aux brusques embardées que la houle imprimait au vaisseau, mais sans s’attarder trop dans la cabine confinée, car elle ne souffrait ni de vertiges ni de nausées : elle se découvrait le pied marin. Elle avait connu, dans les heures qui avaient suivi la bourrasque, plusieurs moments de solitude car le bateau, vidé de ses passagers à Tunis, offrait de grands espaces libres à sa jeune personne. Elle en avait profité pour explorer le pont intermédiaire où se trouvaient quelques voyageurs moins fortunés, des commerçants surtout, et s’était liée avec une famille de négociants turcs qui faisait, chaque année, ce même trajet, de la côte d’Asie Mineure à Marseille puis à Alexandrie, avant de rentrer à Izmir, dans le but de dénicher et de vendre les meilleures pièces de coton que l’Égypte fût capable de produire. Elle n’avait guère approché le chef de famille, un Juif taciturne et économe de ses mots, dont l’épouse restait en retrait, soit qu’elle supportât mal le roulis du bateau, soit qu’elle préférât la relative tranquillité de sa chambre ; mais elle s’était beaucoup entretenue, durant quelques jours de mer, avec leur fille Gaby, une brune splendide et volubile d’à peine vingt ans qui parlait un français chantonnant et désuet.
Une escale de plusieurs jours était prévue à Alexandrie, le temps de décharger les cales de leurs marchandises – dont elle ne savait en quoi elles consistaient exactement –, de renouveler l’équipage, de refaire le plein de passagers en partance et de régler avec les autorités britanniques la paperasserie nécessaire au passage du Canal, au-delà de Port-Saïd. Elle avait été logée avec d’autres voyageurs qui, comme elle, poursuivaient leur route, dans un hôtel assez convenable du quartier européen. Malgré les recommandations de Gaby et de son père, qui tenaient les Alexandrins pour des bandits, elle avait surmonté ses appréhensions et marché au hasard dans les rues de la ville ; un chemin bordé de maisons ocre l’avait conduite jusqu’au lac Maréotis, où elle s’était attardée longuement ; elle avait alors tenté d’imaginer le grand Alexandre choisissant le lieu de la cité à venir, en confiant l’édification à quelques architectes de bonne réputation, et lui tournant le dos pour n’y jamais revenir, courant au-devant de son destin jusqu’aux rives de l’Indus. À Alexandrie, elle avait aimé l’animation des marchés aux légumes, les vendeurs qui, pour quelques piastres, vous servaient des galettes et des fèves, la fraîcheur des églises coptes et l’austère beauté des mosquées. Elle avait aimé plus encore l’exotisme d’une population bigarrée où se mêlaient des Égyptiennes voilées de noir aux yeux cernés de khôl, de riches Anglaises au teint pâle et aux avant-bras couverts d’éphélides, des commerçants grecs, libanais ou syriens, de petites bonnes italiennes ou espagnoles qui promenaient des enfants dans d’immenses landaus et, enfin, des diplomates de toutes nationalités, pleins de morgue et de nonchalance qui, aux dires de Gaby, habitaient de belles villas et se retrouvaient, le soir, du côté de la baie d’Agami ; elle s’était surtout entichée de cette foule anonyme des petites gens qui travaillaient sans relâche dans les rues, les marchés ou les restaurants de la plage : balayeurs soulevant la poussière des trottoirs, marchands d’épices à demi assoupis derrière leurs bocaux de poudres de couleur, porteurs d’eau, vendeuses de fruits dissimulées sous leur voile sombre ou encore serveurs en livrée qui portaient à bout de bras des plateaux de brochettes d’agneau et de boulettes de fèves.
L’escale d’Alexandrie lui avait paru bienvenue, après le tourbillon qui avait secoué sa vie depuis la Noël. Elle se remémorait avec un étonnement sincère les semaines qui avaient précédé son départ, cette course éperdue pour tenter de songer à tout, sauf à ce qui l’effrayait : l’absence de Jules et la séparation prochaine d’avec les siens. Elle s’était étourdie à faire mille emplettes, elle avait choisi avec un serrement de cœur les objets qui l’accompagneraient dans l’avenir, avait pris congé de tous ses amis, avait tenu dans ses bras avec une émotion non feinte Mme Grigoriev, à qui elle devait tout, et n’avait pas ménagé ses visites aux concerts ou aux théâtres en songeant, non sans quelque inquiétude, que la vie qui l’attendait la laisserait peut-être, dans ce domaine, sur sa faim. Pour sa dernière soirée, elle avait emmené Jeanne à la Comédie-Française, où l’on donnait la première d’une nouvelle pièce de Jean Cocteau écrite pour Berthe Bovy, qui d’ailleurs en était l’unique interprète – pièce qu’elle avait appréciée d’un peu loin, car elle était déjà à moitié partie, mais qui lui laissait une impression persistante de profondeur et d’étrangeté. Elle avait appris le jour même du départ la démission du président du Conseil, Tardieu, et était montée à bord de l’express de Marseille sans que fût connu le nom de son successeur : la politique lui jouait là un petit tour de malice, puisqu’elle quittait son pays sans même en connaître le chef de gouvernement. Maintenant, marchant au hasard des rues d’Alexandrie, elle prenait enfin le temps de respirer, sans trop regretter ce séjour forcé qui n’en repoussait pas moins l’instant de ses retrouvailles avec Jules. Elle aurait aimé, si elle n’avait été si pressée d’aller vers son but, prolonger encore la visite de cette ruche gigantesque et multiforme qui la fascinait ; elle avait pourtant retrouvé sans déplaisir le Neptunia et sa cabine exiguë qui s’ouvrait, par une porte étroite en lattes de bois sombre, sur une coursive du pont supérieur. Elle avait auparavant fait ses adieux à Gaby et à sa famille, qui demeuraient en Égypte pendant plusieurs semaines. On s’était dit au revoir à grand renfort d’embrassades et de larmes essuyées au coin de l’œil, avec la promesse, à laquelle personne ne croyait, de se retrouver un jour, dans cette partie du monde ou dans une autre, plus lointaine et mystérieuse, où elle-même se rendait à présent.
Elle avait franchi le canal de Suez en se
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Pondichéry, 5 avril 2012
Ici, au dernier étage, Céline parvient à entrevoir par le carreau supérieur un petit rectangle de mer, juste derrière les terrasses couvertes de chaume qui bouchent presque entièrement l’espace. Un petit rectangle bleu azur, pas plus, même lorsqu’on se hausse sur la pointe des pieds. Ou alors, pour augmenter la surface visible, il faudrait sortir le buste au-dessus du châssis, se pencher sur la gauche et porter le regard par-delà l’ancien clocher. Mais c’est impossible : dans cette pièce on tient les fenêtres hermétiquement closes, à cause de la climatisation. Malgré cela, l’humidité de l’air, dans l’aile de la maternité, enveloppe tout d’une tiédeur spongieuse.
Céline vient de reposer l’enfant nouveau-né dans le petit couffin d’osier. Elle soupire en regardant la bouche minuscule qui continue à s’ouvrir et à se fermer en cadence sur le vide. L’enfant a réussi à boire, c’est l’essentiel. Céline attrape le biberon qu’elle a laissé sur la table et s’approche de l’évier pour le rincer. Puis elle quitte la pièce, laissant la petite en train de s’endormir, juste enveloppée dans un lange de coton blanc. Céline pénètre dans l’office attenant avec la ferme intention de se réconforter à l’aide d’une tasse de thé.
L’enfant vient de naître, au terme d’un accouchement long et pénible. La mère, une primipare affolée, raidie dans sa souffrance, a refusé d’écouter les conseils de la sage-femme : tout du long, elle n’a cessé de murmurer des prières en tamoul sans chercher à dissimuler sa terreur. On a tout de même sorti un bébé bien vivant, une petite fille d’à peine deux kilos quatre dont le cri puissant trahit la volonté de vivre.
Derrière Céline, la porte s’ouvre doucement. C’est Gayithri. « Alors ? »
Gayithri relève lentement le menton en haussant les sourcils, signe que les nouvelles ne sont pas fameuses.
« Rien de plus », répond-elle en français.
Céline sent sa lassitude gagner du terrain. « Elle pleure toujours ?
– Beaucoup, et fort. »
Encore une, songe Céline, au bord du désespoir. Comme chaque jour, ou presque, depuis qu’elle a pris ce poste au Devâni Mother and Child Hospital de ce faubourg de Pondichéry, elle a le sentiment cruel d’être inutile.
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Pondichéry, 19 janvier 1950
Oriane avait détesté le voyage en mer. Dès que le capitaine eut donné l’ordre de descendre les passerelles, elle n’eut plus qu’une idée en tête : quitter en vitesse ce rafiot de malheur où elle venait de vivre les journées les plus pénibles de sa vie.
Au moment de prendre son billet, quelques semaines plus tôt, elle avait hésité entre deux solutions : emprunter la ligne anglaise – la P&O, Peninsular and Oriental Company – entre Marseille et Bombay et terminer son voyage par le rail, ou rallier le comptoir français de Pondichéry directement par la mer, sur un paquebot des Messageries maritimes qui desservait la côte de Coromandel avant de poursuivre vers l’Indochine. Elle avait décidé, un peu par mollesse, un peu par défiance à l’égard de la flotte britannique et des trains indiens, d’arriver à Pondichéry par bateau. Elle le regrettait amèrement. Le contournement du sud de la Péninsule lui avait paru un enfer, à cause d’une queue de cyclone qui avait balayé tout le golfe du Bengale en malmenant sérieusement les flots. Depuis qu’on avait passé le détroit de Ceylan, Oriane n’avait pas cessé d’être malade, incapable de quitter son mince matelas et la cabine qu’elle partageait avec une autre jeune Française, Micheline, qui partait prendre un poste d’institutrice à Saigon et paraissait autant qu’elle souffrir de la longue traversée.
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Car il ne faut jamais chercher à effacer les morts, pense encore Céline, tout étonnée de son propre accès de sagesse. Il ne faut ni les craindre ni les rejeter comme des fantômes malfaisants. Au contraire, on doit les laisser partager nos vies, car ils y ont leur place, s'ils savent se tenir bien, juste au bord de nous, sans nous envahir, sans nous jeter à tout instant dans un chagrin mortel. Nos disparus nous accompagnent silencieusement, nous guidant la main et éclairant notre chemin : à nous d’accueillir, avec respect et indulgence, la cohorte de ces ombres qui nous lient au passé et reviennent à nos côtés jouer avec la lumière. p. 588
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" Nous allons te rhabiller , Aru ! Et pas au bazar : nous allons te faire couper un pantalon et des chemises chez le tailleur de Monsieur Jules ! Tu auras l'air d'un vrai monsieur ! "
Alice, qui s'attendait à un sourire, et peut-être même à une démonstration de joie plus bruyante, fut toute décontenancée par le regard suppliant de l'enfant.
" Quoi ? Tu ne veux pas ?
- C'est que...Madame Alice ! Je vous en supplie !
- Eh bien .
- Pas de chaussures, s'il vous plaît, Madame Alice, pas de chaussures ! "
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