Contrairement à la littérature britannique, la littérature américaine, dans son ensemble, a laissé peu de place aux femmes de lettres. Entre
Harriet Beecher-Stowe (autrice de «
La Case de l'Oncle Tom » - 1850) et
Margaret Mitchell (autrice de «
Autant en emporte le vent » - 1936) peu d'écrivaines ont marqué de leur empreinte cette jeune littérature : la poétesse
Emily Dickinson, les romancières
Louisa May Alcott («
Les quatre filles du docteur March » - 1868),
Edith Wharton,
Willa Cather,
Gertrude Stein et
Pearl Buck. Après elles viendront
Anais Nin,
Carson MacCullers,
Harper Lee,
Sylvia Plath et
Toni Morrison, pour ne citer que les plus célèbres, Si les autrices de best-sellers (
Margaret Mitchell,
Pearl Buck) sont bien connues chez nous, les autres ont une audience plus limitée, hormis chez quelques spécialistes et amateurs de la littérature américaine.
Edith Wharton, (1862-1937) était francophile et passa de longues années en France où elle fréquenta assidûment des écrivains comme
Paul Bourget,
André Gide ou
Jean Cocteau, et y retrouve des compatriotes comme Théodore Roosevelt et
Henry James. Elle nous laisse une quinzaine de romans dont au moins trois chefs-d'oeuvre : «
Chez les heureux du monde » (1908), « Ethan Frome » (1911) et «
le Temps de l'innocence » (1920) qui lui vaudra d'être la première femme à recevoir le prix Pulitzer.
« Ethan Frome » est un très court roman (à peine 220 pages dans l'édition P.O.L) Dans ses premières éditions il était titré «
Sous la neige ».La neige est en effet un des acteurs de cette tragédie, après en avoir été le décor.
Ethan Frome est un jeune homme pauvre qui hérite d'une ferme qui ne lui rapporte pas grand-chose. Son père meurt. Sa mère tombe malade. Il épouse une cousine, Zeena, qui se révèle vite geignarde et malveillante. Pour l'aider à veiller sur sa vieille mère, Ethan fait venir une jeune fille, Mattie. La mère meurt à son tour, Ethan, Zeena et Mattie se retrouve tous les trois. Ethan et Mattie tombent amoureux. Zeena plus acariâtre que jamais, décide d'engager une nouvelle bonne et Mattie doit partir...
« Ethan Frome » est une tragédie rurale qu'aurait pu écrire
Giono. Avec d'autres mots, sans doute, mais il n'aurait pas atteint peut-être ce niveau d'émotion, cette intensité, cette empathie pour ces personnages qu'
Edith Wharton déverse dans ce roman bouleversant. Dans un décor de neige, l'autrice avec un véritable savoir-faire dresse trois portraits inoubliables : Ethan, que son amour pour Mattie rend faible et pathétique et qui culpabilise vis-à-vis de son épouse Zeena ; Zeena, mauvaise femme, soupçonneuse et machiavélique, et enfin Mattie, douce et travailleuse… Tout l'art d'
Edith Wharton réside dans le huis-clos, les non-dits, les regards, la manipulation qu'exerce Zeena sur l'esprit des deux amoureux, et le contraste entre la noirceur de l'une et la pureté (comme la neige) des deux autres.
Un petit roman par la taille, un grand roman par son contenu, qui rappelle un peu les soeurs Brontë, à la fois poétique, pathétique et profond…
Amour, amour, quand tu nous tiens…