Le récit prend place dans un petit village du Massachusetts, Starkfield, au début du siècle dernier. le narrateur, employé par une usine de force motrice y a séjourné quelques mois. Il a rencontré de temps à autre un homme prématurément vieilli et qui a gardé les séquelles d'un grave accident,
Ethan Frome. L'homme, pauvre, d'une fierté farouche, vit dans une ferme délabrée et fraye peu avec ses semblables. Un drame s'est joué bien des années auparavant et le narrateur va petit à petit reconstituer les événements tragiques qui ont brisé définitivement l'existence d'Ethan.
le début du roman m'a fait penser aux Hauts de Hurlevent. Un étranger de passage prend pension chez l'habitant et tente d'interroger sa logeuse sur une personne qui a piqué sa curiosité jusqu'à ce qu'il fasse lui-même sa connaissance. Par ailleurs, l'intrigue se noue aussi dans une demeure reculée à la campagne et si la lande est ici remplacée par la forêt, la même solitude baigne les lieux. le dénuement de la bâtisse qui abrite les Frome n'est pas sans rappeler le décor de plus en plus nu des Hauts de Hurlevent. Enfin, la clé des deux romans est une histoire d'amour interdite. Heathcliff, petit bohémien recueilli par Mr Earnshaw, s'éprenait de la fille de son bienfaiteur, Catherine. Mattie Silver, une cousine pauvre et orpheline de Zenobia Frome, est accueillie à la ferme des Frome pour seconder l'épouse hypocondriaque d'Ethan. Celui-ci s'éprend de la jeune fille qui lui fait oublier son épouse revêche et acariâtre. L'amour amène la déchéance et le malheur parce qu'il échappe au code des bonnes moeurs. Heathcliff devenait un monstre assoiffé de vengeance quand la radieuse Mattie se transforme en une handicapée à la merci de sa parente.
La modernité du roman d'
Edith Wharton est à rechercher dans l'absence de sentiment de culpabilité chez les amoureux. Ils commettent un adultère dans la prude Nouvelle-Angleterre, mais ce qui retient leurs gestes n'est pas la crainte de pécher, mais de découvrir que l'autre pourrait ne pas partager les mêmes sentiments. Quand Ethan a la certitude que Mattie l'aime, il ne pense qu'à fuir avec elle, peu importe l'état de santé de sa femme. Dans la chaleur douillette de la cuisine, ils se comportent déjà comme mari et femme et, très symboliquement, ils cassent (par chat interposé) le cadeau de mariage auquel tenait le plus Zenobia. La fin du roman n'est pas morale : le suicide que réclame Mattie est une violence encore plus grande à celle que leur impose leur situation inextricable. Leur survie n'est pas un châtiment mais une nouvelle absurdité du destin. Ils sont enchaînés non pas l'un à l'autre, dans la mort, mais à Zenobia dans la déchéance physique et la décrépitude matérielle.
Son court roman possède une force extraordinaire en raison de son absence totale de mièvrerie et de la crudité des sentiments des protagonistes.
Edith Wharton livre une oeuvre glacée et pure qui frappe l'imagination par l'intransigeance de la passion que vivent ses personnages. Plus le destin les accule à la séparation, plus ils jettent toutes leurs forces à faire éclater le cadre trop étroit dans lequel ils vivent, en payant le prix le plus élevé : celui de ne plus être à la hauteur de leur amour.